Jeudi 11 septembre 2014, la Commission européenne rejetait l’Initiative citoyenne demandant l’arrêt des négociations en cours pour les accords de libre-échange avec le Canada (CETA) et les Etats-Unis (TTIP). Revenant mardi 16 septembre depuis le Parlement européen de Strasbourg sur cette décision, l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot, reconnait certes le «flou» juridique de la formulation de l’Initiative soutenue par le groupe des Verts européens, mais n’en relève pas moins «une faute politique grave qui éloigne un peu plus la Commission des citoyens» alors que son nouveau président Jean-Claude Juncker «s’est engagé à davantage de transparence» législative. Une inquiétude pour partie partagée par Jean-Paul Jacqué, Professeur émérite à l’Université de Strasbourg et Président du Pôle européen d’administration publique de Strasbourg (PEAP), qui s’inquiète d’une interprétation juridique «étriquée» par les services de l’exécutif bruxellois. Une interprétation susceptible de «faire sombrer en grande partie les tentatives de développer la démocratie participative introduite par le traité de Lisbonne».
L’Initiative «STOP TIPP» visait à utiliser la voie offerte par l’Initiative citoyenne prévue à l’article 11, paragraphe 4, TUE en vue de tirer profit du mouvement de protestation contre les négociations du partenariat transatlantique sur le commerce et les investissements (TIPP) pour amener la Commission à proposer au Conseil de mettre fin aux négociation et pour la conduire à s’abstenir de proposer au Conseil la signature et la conclusion du traité déjà négocié avec le Canada.
Le règlement 211/2011 confie, dans son article 4, à la Commission le soin d’enregistrer les propositions d’Initiative après vérification de leur compatibilité avec les dispositions du traité et du règlement. L’une de ces conditions qui résulte du traité est que l’Initiative entre dans le cadre des attributions de la Commission et que ses auteurs considèrent qu’un «acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application du traité» (article 13, paragraphe 4 TUE).
Pour la Commission, l’Initiative n’entre pas dans le cadre prévu par les traités, et est de fait irrecevable pour deux raisons de nature strictement juridique. D’une part, l’autorisation d’ouvrir des négociations est un acte préparatoire et non un acte juridique de l’Union en tant que tel. D’autre part, une Initiative a pour objet de solliciter l’adoption d’un acte juridique et non le retrait de celui-ci.
Un acte préparatoire ne pourrait faire l’objet d’une Initiative citoyenne
La Commission analyse correctement la décision du Conseil d’ouvrir des négociations comme un acte préparatoire, l’acte définitif étant la décision de signature et de conclusion. Il est exact que cet acte préparatoire ne déploie ses effets que dans les relations interinstitutionnelles. C’est pour cette raison que cet acte ne peut être contesté devant la Cour que dans le cadre du contentieux interinstitutionnel, mais non par les particuliers puisqu’il ne constitue pas un acte produisant des effets à l’égard des tiers.
La question est de savoir s’il convient de reproduire les règles relatives au contentieux dans le cadre de l’Initiative citoyenne. En effet, le processus est différent, il ne s’agit pas de demander à un juge de se prononcer sur la validité d’un acte juridique, mais de permettre aux citoyens de s’exprimer sur son opportunité politique. Le résultat d’une Initiative couronnée de succès est simplement l’ouverture d’un débat laissant libre la Commission d’agir comme elle l’entend et ne l’obligeant qu‘à justifier sa position. Dans ces conditions, le principe de démocratie et de participation des citoyens consacré par le traité ne devrait-il pas l’emporter sur une analyse purement contentieuse de la notion d’acte juridique. De plus, si la Commission admet que dans le cadre institutionnel, un acte préparatoire peut être considéré comme un acte juridique parce qu’il déploie des effets dans leurs relations spécifiques («As such, it deploys legal effects only between the institutions concerned without modifying EU law»), ne serait-il pas justifié de lui accorder également ce statut d’acte aux fins de l’Initiative européenne?
Une Initiative ne peut demander le retrait d’un acte
Le second élément de la réponse de la Commission est plus troublant. En effet, elle admet que l’on ne sera en présence d’un acte juridique qu’au moment de la décision de signature et de conclusion, mais estime qu’à ce stade, une Initiative n’est pas non plus possible. En effet, le but de l’Initiative est de demander à la Commission de faire une proposition et non pas de s’abstenir de proposer. Elle ajoute qu’adopter un acte juridique modifie l’ordre juridique ce qui doit être le but de l’Initiative, mais que demander de ne pas faire de proposition ne peut, à l’évidence, conduire à une telle modification. La demande n’est pas recevable parce qu’elle ne conduirait à un «autonomous legal effect». Il en va de même lorsque la proposition de signature et de conclusion est déjà intervenue ce qui était le cas de l’accord avec le Canada (CETA). En effet, s’il est permis aux citoyens de demander par voie d’Initiative la conclusion d’un accord, il ne l’est pas de demander de ne pas poursuivre une procédure en cours.
Demander le retrait d’un acte préparatoire n’est pas possible parce qu’il ne produit pas d’effet juridique et demander le retrait d’une proposition d’acte produisant des effets ne l’est pas non plus parce que le traité ne prévoit le recours à l’Initiative que pour proposer un acte. Une décision de retrait n’est donc pas un acte juridique…
Une décision susceptible d’affaiblir la démocratie participative?
On ne peut qu’être émerveillé par le juridisme étroit, mais surtout par le sophisme, des auteurs de la réponse de la Commission. En effet, ce qui est sollicité est un acte de la Commission retirant une proposition. Il est évident qu’elle produira des effets en empêchant une modification de l’ordre juridique de l’Union. En outre, après la conclusion de l’accord, une Initiative demandant à la Commission de proposer au Conseil de mettre fin à l’accord serait recevable puisqu’elle viserait à modifier l’ordre juridique de l’Union. Si la Commission admet qu’une Initiative citoyenne peut porter sur une demande de conclusion d’un accord («As already stated, as a matter of principle, the signature and conclusion of an international agreement with a given subject and content may be requested by a citizens’ Initiative»), elle doit pouvoir porter aussi sur une demande de dénonciation d’un accord. Faut-il attendre qu’un accord soit conclu pour engager avec les citoyens un débat sur son opportunité?
Les auteurs de l’Initiative ont indiqué leur intention de soumettre le refus de la Commission au Tribunal. Il est souhaitable qu’ils aillent jusqu’au bout de leurs intentions afin de vérifier la portée exacte de l’Initiative citoyenne. Mais il faut bien constater que, sur un sujet aussi sensible, une interprétation étriquée du traité ferait sombrer en grande partie les tentatives de développer la démocratie participative introduite dans le traité de Lisbonne. Le déficit démocratique porterait alors sur la participation des citoyens au fonctionnement de l’Union.
Copyright : Études européennes. La revue permanente des professionnels de l’Europe. / www.etudes-europeennes.eu – ISSN 2116-1917 / Crédits photo : JPJ
À propos de l’auteur : Jean-Paul Jacqué est Professeur émérite à l’Université de Strasbourg et Président du Pôle européen d’administration publique de Strasbourg.
© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.