Rencontre organisée à Strasbourg, le mercredi 17 septembre 2014, dans le cadre du Cycle 2014 des Petits déjeuners européens de l’ENA consacrés à « L’Union européenne et la Méditerranée ».
Alors que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) vient de confirmer la thèse selon laquelle ce seraient bien les passeurs qui auraient, au cours de la deuxième semaine de septembre, volontairement provoqué le naufrage en Méditerranée du bateau de centaines de migrants en route pour les côtes européennes, Sylvie Guillaume appelait l’Union européenne à définir une véritable «stratégie commune en matière d’immigration ». Pour la vice-présidente du Parlement européen, «ce dont nous avons aujourd’hui besoin est de politiques migratoires européennes plus efficaces, plus cohérentes et plus élaborées». Entre autres pistes de réflexion envisagées: la définition d’«outils de troisième génération au service des politiques migratoires sur les identifications des dysfonctionnements des mécanismes nationaux de politique d’asile», un meilleur «partage des responsabilités de traitement des demandes d’asile» ou encore «un renforcement des opportunités d’accès à l’immigration légale», parallèlement susceptible de répondre au défi démographique d’une Europe vieillissante.
Quelques jours à peine après une nouvelle tragédie au large des côtes méditerranéennes de l’Union – dont le bilan est estimé à plus de 500 morts -, la vice-présidente du Parlement européen ne cache pas ses inquiétudes quant à l’efficacité réelle des politiques migratoires mises en place par l’Union. «Une année d’écart entre 2013 et 2014, et une histoire qui se répète», relève-t-elle en filigrane, à l’occasion d’une intervention à Strasbourg, dans le cadre du cycle 2014 des petits déjeuners européens de l’ENA consacré à «L’Union européenne et la Méditerranée».
20 000 migrants clandestins décédés depuis 1993
500 disparus cette semaine : un chiffre qui, selon l’OIM, confirmerait aussi le nombre croissant de décès au large des côtes européennes: 3.000 déjà, cette année, contre 700 en 2013. Des chiffres que complète Sylvie Guillaume en soulignant que «40.000 personnes auraient gagné les côtes de l’Union européenne en 2013. «626.000», si l’on cumule les données depuis 1998. Depuis 1993, 20.000 migrants clandestins seraient quant à eux décédés» en cherchant à rejoindre la rive nord de la Méditerranée. Parallèlement, poursuit l’eurodéputée membre de la commission parlementaire des Libertés publiques (LIBE), «3 millions de Syriens se seraient déjà déplacés dans des pays limitrophes depuis le déclenchement de la crise dans leur pays», participant de fait à une forte hausse des flux migratoires en Méditerranée. «Alors qu’entre janvier et août 2013, un peu plus de 60.000 migrations auraient été détectées par l’agence Frontex, ce chiffre dépasserait déjà les 120.000 sur la même période en 2014».
De nombreux instruments visant à encadrer ces migrations existent pourtant, reconnaît Sylvie Guillaume. Mais «les politiques migratoires de l’Union sont très morcelées, presque à tiroirs. Ce qu’il nous faut développer aujourd’hui est une approche basée sur la responsabilité et la solidarité». «Après Lampedusa, la réaction du Parlement européen a été plutôt rapide, celui-ci affichant sa volonté de marquer un tournant dans les politiques migratoires et de gestion des frontières, ainsi que de renforcer l’assistance financière aux pays touchés par les phénomènes de migrations». Reste que si l’Union européenne a une responsabilité en ce domaine, celle-ci n’est pas exclusive et «les Etats membres conservent de nombreuses prérogatives en matière d’immigration». Ceci, avec trop souvent pour conséquence, une logique du «chacun pour soi».
Les politiques restrictives ne font que déplacer le problème un peu plus loin
«Plusieurs exemples flagrants de replis nationaux impactant le phénomène migratoire peuvent ainsi être relevés», précise Sylvie Guillaume. L’arrivée massive de populations en provenance des pays tels que la Tunisie, suite au «Printemps arabe», ont ainsi conduit certains Etats, comme l’Italie, à vouloir renforcer leurs contrôles aux frontières. De même, la Grèce a-t-elle investi, à hauteur de 3,2 millions d’euros, dans «la construction d’un mur de 12,5 km de long dans la région du fleuve Evros, les villes d’Orestiasa et de Vissa, afin de surveiller et stopper l’arrivée des clandestins, avec toute une panoplie de barbelés, caméras thermiques et autres capteurs ultrasensibles». Et Sylvie Guillaume d’ajouter: «Or, ce type de politique restrictive ne tarit pas la source de ces mouvements de populations; elle ne fait que déplacer le problème un peu plus loin, en incitant les migrants à prendre chaque fois plus de risques pour faire ce long voyage». Et, aujourd’hui, de prendre une «Libye incontrôlable», comme port de départ.
De nombreux outils déconnectés les uns des autres
Pour faire face à ces défis, l’Union a certes «depuis longtemps mis en place une boîte à outils. Ceux-ci sont nombreux, mais ils restent déconnectés les uns des autres», regrette l’eurodéputée. Entre autres exemples, «Triton», la nouvelle opération d’aide à l’Italie, destinée à faire face à l’afflux de migrants – présentée le 4 septembre dernier au Parlement européen par le directeur général de l’Agence Frontex et dont «les contours restent un peu flous» – venant en complément de l’opération «Mare Nostrum», mise en place en octobre 2013 et soutenue par l’Union pour récupérer des bateaux en mer. Une opération, aussi, dont les «effets délétères» ont rapidement été rendus visibles, déplore Sylvie Guillaume. En effet, suite à la mise en place de «Mare Nostrum», «les passeurs mettaient moins de carburant dans les embarcations, moins d’eau, moins de vivres, moins de gilets de sauvetage mais davantage de gens, ayant la quasi-certitude que les migrants allaient être récupérés par les autorités douanières».
Egalement mis en place en 2013, le système européen de surveillance des frontières EUROSUR qui poursuit trois objectifs : réduire l’immigration clandestine en Europe, lutter contre la criminalité transfrontalière et assurer la protection et le sauvetage des migrants en mer. Un outil là encore créé en réponse à la tragédie de Lampedusa.
Autre ressort, l’Agence Frontex qui, pour sa part, «continue de coordonner la réponse opérationnelle des Etats membres face aux migrations» mais dont «l’accès aux statistiques précises de ses actions de terrain reste difficile, et dont le fonctionnement fait régulièrement l’objet de nombreuses critiques», tant en termes de transparence que de respect des droits fondamentaux. Une agence dont le budget atteint désormais 90 millions d’euros contre 6 millions à sa création et sur laquelle le Parlement souhaite «renforcer le contrôle démocratique»; une évolution dans des propositions rares et qui mérite donc d’être soulignée.
Perfectionner les instruments ne suffit pas à créer une politique migratoire
Moins répressifs, le resserrement des liens avec les pays tiers méditerranéens et la mise en place de partenariats avec les pays source d’immigration fait également partie de la «boîte à outils» dépeinte par Sylvie Guillaume. Même si des progrès significatifs ont été enregistrés avec le Maroc ou la Tunisie, les effets de telles actions «restent néanmoins limités» dans la pratique au regard des «avancées extrêmement importantes» imposées aux pays concernés. A destination des Etats membres de l’Union, un Fonds européen pour les réfugiés a également été mis en place, afin de gérer quelquefois des situations d’urgence en Grèce (24 millions d’euros entre 2011 et 2013) ou en Italie (plus de 10 millions d’euros pour Lampedusa). «L’aide logistique et financière européenne existe donc bel et bien». De même que la mise en place – bien qu’encore modeste – d’une politique commune d’asile, avec l’ouverture du Bureau européen d’appui en matière d’asile, afin de réduire les écarts entre les Vingt-huit en la matière.
Reste que «les Etats auront beau perfectionner ces instruments, cela ne créera pour autant pas une politique européenne en matière de migrations», nuance Sylvie Guillaume. Et la vice-présidente du Parlement européen d’appeler à la définition et au développement d’«outils de troisième génération au service des politiques migratoires sur les identifications des dysfonctionnement des mécanismes nationaux de politique d’asile », à un meilleur «partage des responsabilités de traitement des demandes d’asile» ou encore au renforcement des opportunités d’accès à l’immigration légale, susceptible de diminuer le flot de migrants clandestins tout en répondant au défi démographique d’une Europe vieillissante. Car, pour l’heure, conclut l’eurodéputée socialiste, «aucun des outils existants n’est à mon sens à la hauteur des enjeux qui nous attendent. Ceci, simplement parce que les mouvements de migrations vont encore s’amplifier et nous obliger, à un moment ou à un autre, à nous entendre sur une politique migratoire plus cohérente. Une politique qui travaille à une chaîne beaucoup plus efficace, qui agisse à la source et s’inscrive dans une logique, non pas seulement de réaction, mais d’anticipation».
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