Article rédigé dans le cadre de la rencontre organisée à Strasbourg, avec Ernest Urtasun*, le mercredi 22 octobre 2014, dans le cadre du Cycle 2014 des Petits déjeuners européens de l’ENA consacrés à «L’Union européenne et la Méditerranée».
Paris 2015 sera-t-il le sommet environnemental de la dernière chance pour la «Commission de la dernière chance»? Hausse du nombre de réfugiés climatiques, tensions migratoires, restrictions d’accès aux ressources naturelles, impact sur l’économie locale…, le bassin méditerranéen pourrait être l’une des premières victimes d’une tragédie annoncée sur laquelle s’accordent tous les experts du GIEC si la COP21 française débouchait sur un nouveau Copenhague. Si l’Union arrivait désunie à Paris et sans ambition politique forte, ce serait une «catastrophe», prévient le député européen écologiste espagnol Ernest Urtasun pour qui le succès de l’Union ne pourra émerger sans s’appuyer sur une stratégie euro-méditerranéenne.
8h du matin, Strasbourg. «Soucoupe» de l’Ecole nationale d’administration. En marge de la session plénière d’octobre, à quelques heures du vote de l’investiture de la Commission Juncker et à la veille du sommet européen dédié aux questions climatiques, Ernest Urtasun , invité dans le cadre du Cycle 2014 des Petits déjeuners européens de l’ENA consacrés à «L’Union européenne et la Méditerranée», ne cache pas ses craintes pour l’avenir. La veille au soir, le co-président belge de son groupe parlementaire, Philippe Lamberts, donnait déjà le «la». Presqu’une marotte, tant les écologistes n’ont cessé de rappeler, jusque-là en vain, de Copenhague à Nagoya, les dangers d’un immobilisme en matière climatique: «La transition de l’Union vers les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique est la seule manière de répondre au défi climatique, déclarait ainsi Lamberts. L’Europe doit investir dans l’avenir, pas dans le passé. C’est un choix que doivent faire nos dirigeants européens sans plus attendre».
Le lendemain de l’intervention d’Ernest Urtasun à l’ENA, suite à la décision des Vingt-Huit, la déception prévalait. Alors que le Parlement européen réclamait trois objectifs contraignants – 40% pour la réduction des émissions, 30% d’énergie renouvelable, 40% d’efficacité énergétique –, les Vingt-huit ne se sont accordés que sur des objectifs respectifs de 40%, 27% et d’au moins 27% «à l’horizon 2030». Bien plus éloignées encore des aspirations initiales des Verts européens qui plaident pour une diminution de 60% de CO2, 45% de part de renouvelables et pour une amélioration de 40% de l’efficacité énergétique… Autant dire, un nouvel échec, malgré les satisfecit du Conseil et du collège combiné de Commissaires entrants et sortants, Jean-Claude Juncker ayant rappelé durant la plénière d’octobre que, tous deux, avec José Manuel Barroso, défendraient un positionnement commun, le temps de la passation de pouvoir à la tête de l’exécutif européen.
Pourtant, entre ces deux instants, depuis la «soucoupe» de l’ENA, Urtasun n’avait pas manqué d’alerter sur les dangers d’un réchauffement climatique de 2 degrés, posant sobrement, et sans militantisme exacerbé, la réalité des enjeux. Si rien n’est fait d’ici à la prochaine COP 21 qui se tiendra à Paris en 2015, la Méditerranée, qui borde l’Union européenne, sera l’une des régions les plus peuplées. Dans une région déjà fragilisée par les tensions interétatiques et l’instabilité de ses composantes intra-territoriales, celle-ci risque de voir le nombre de réfugiés climatiques atteindre une ampleur sans précédent. Suivront inévitablement un accroissement des tensions migratoires, une difficulté accrue d’accès aux ressources naturelles – dont l’eau – ou encore un impact majeur sur l’industrie touristique de cette région qui y puise encore une grande part de ses ressources budgétaires. Mais pour «faire», faut-il encore que l’Union arrive unie à Paris, et avec des objectifs ambitieux et contraignants. Plus ambitieux, du moins, que ceux qui viennent d’être définis au sommet européen de Bruxelles.
22 millions de nouveaux réfugiés climatiques sur la seule année 2013
«A Copenhague, les responsables politiques n’ont pas réussi à s’accorder sur un objectif contraignant». A ce stade, «nous ne sommes pas dans un cas de figure mineur, car si Paris est un nouvel échec, nous pourrions commencer à parler d’une crise profonde en matière de négociations climatiques». Et l’homme de rappeler pour exemple, un rapport du Conseil norvégien pour les réfugiés relevant que 22 millions de nouveaux réfugiés climatiques avaient été recensés dans le monde sur la seule année 2013. «Trois fois plus que le nombre des réfugiés de guerres sur la même période». Un échec à Paris ne ferait qu’amplifier le phénomène, s’inquiète-t-il. Car au-delà du seul impact écologique, il est essentiel de «ne pas sous-estimer la dimension humaine de l’impact du changement climatique et de ses conséquences sur la stabilité politique et économique des Etats ou les flux migratoires euro-méditerranéens».
Les mots prononcés, reste encore à les traduire en actes. Et cela, prévient Ernest Urtasun, ne pourra se faire sans chercher à contrebalancer une certaine «fatigue du multilatéralisme», qui reste le «seul moyen de gérer démocratiquement les affaires internationales». «Si nous entrons dans une dynamique de blocs», entre Europe et Etats-Unis ou entre Etats occidentaux et BRICS, qui se dessine depuis plusieurs années, nous ne laissons pas la possibilité aux petits Etats d’avoir voix au chapitre dans les négociations», ce qui, de fait, a «quelque chose de pervers». Le résultat de cette absence de multilatéralisme, «a été flagrant à Copenhague, avec les présidents américain et chinois qui, lors de la dernière journée, ont conclu un accord de dernière minute sans l’Europe», se souvient Ernest Urtasun. Pour le député européen écologiste, l’issue d’une désunion européenne et toute absence de volonté de fédérer au-delà des Vingt-Huit ne laisserait pas de place au doute: «Si l’Union ne fait pas ses devoirs, personne ne les fera». Et «le rôle de la Commission Juncker, mais également de la France, sera essentiel» de ce point de vue. «Si l’Union arrive à Paris sans parler d’une seule voix, ce sera une catastrophe». Vigilance, donc, et plus particulièrement envers Miguel Arias Cañete, le nouveau Commissaire européen en charge du Climat et de l’Energie. «Une personne qui, en Espagne, n’a jamais cru dans la lutte contre le changement climatique», relève encore l’élu du groupe Verts/ALE.
«Penser une voie méditerranéenne à Paris»
L’objectif des écologistes européens sera donc de «mettre la pression sur Miguel Arias Cañete» pour qu’il «aille à Paris avec une certaine ambition», poursuit-il. «Pour y parvenir, nous aurons besoin de la société civile. Les décideurs et personnes en charge des négociations doivent avoir le sentiment que Paris 2015 est important pour les opinions publiques. Et le Parlement européen a un rôle à jouer en ce domaine, analyse Ernest Urtasun: il peut non seulement mettre une pression très forte sur la Commission et le Conseil mais il peut aussi intervenir en tant que relais de l’opinion publique européenne dans nos états membres». Ensuite, il faudrait également ouvrir la COP21 aux ONG et associations, suggère l’eurodéputé: «Penser une nouvelle dynamique qui reste à inventer et qui favorise le dialogue au sein même de la société civile, entre le nord et le sud, qui se parlent peu, notamment de part et d’autre de la Méditerranée. Il est important de penser et d’imaginer une voie méditerranéenne à Paris. Et la personne la mieux placée pour cela est Fathallah Sijilmassi, le Secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée. Il doit pouvoir présenter son travail lors de la COP21 de Paris». Un travail qui ne repose pas seulement sur une dimension politique ou sociétale mais également légale et entrepreneuriale en favorisant la mise en place des outils d’investissements d’avenir. Financiers, certes, mais également juridiques. «Nous devons prendre exemple sur l’Allemagne qui, au cours de ces dernières années, a créé un cadre légal favorisant l’essor des énergies renouvelables, pour multiplier leur développement par quatre» ou encore trouver une solution à «l’insécurité juridique» des investissements dans les pays sud-méditerranéens. Un point là encore où l’UpM et son Secrétaire général auraient toute légitimité à essaimer à l’occasion de la Conférence Climat de Paris.
*Ernest Urtasun est député européen, espagnol, membre du groupe Verts/ALE
Copyright : Études européennes. La revue permanente des professionnels de l’Europe. / www.etudes-europeennes.eu – ISSN 2116-1917
À propos des auteurs : Christophe Nonnenmacher est chargé de mission au Pôle européen d’administration publique de Strasbourg (PEAP). Journaliste spécialisé sur les questions européennes, il a notamment travaillé pour La Semaine de l’Europe, La Quinzaine européenne et l’Européenne de Bruxelles, avant de diriger, jusqu’en 2009, le site Europeus.org, qu’il cofonda en 2004 avec Daniel Daniel Riot, alors directeur de la rédaction européenne de France3. Il a également travaillé cinq ans au Parlement européen. Article rédigé avec Héloïse de Montgolfier et France Weber, étudiantes en Master 2 Politiques Européennes et Affaires Publiques à l’Institut d’études politiques de Strasbourg.
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