Mariya Gabriel : « Notre politique euro-méditerranéenne doit se concentrer sur des réalités concrètes »
Article rédigé dans le cadre de la rencontre organisée à Strasbourg, avec Mariya Gabriel, le mercredi 17 décembre 2014, dans le cadre du Cycle 2014 des Petits déjeuners européens de l’ENA consacrés à «L’Union européenne et la Méditerranée». Propos recueillis par Natacha Ficarelli.
Quelle politique euro-méditerranéenne demain? Alors que la Commission européenne devrait présenter au printemps sa réforme de la politique de voisinage, Mariya Gabriel, vice-présidente du PPE au Parlement européen, en charge des relations euro-méditerranéennes, appelle à une large refonte de nos politiques en la matière.
«Nous devons réviser notre politique euro-méditerranéenne en matière de résolution des conflits et du développement de la démocratie. Nous devons également relever des défis beaucoup plus précis comme ceux du terrorisme et de la radicalisation religieuse». Invitée en décembre dernier pour la clôture du cycle des Petits déjeuners européens de l’ENA consacrés à «l’Union européenne et la Méditerranée», l’eurodéputée bulgare Mariya Gabriel ne cachait alors ni sa déception ni ses craintes face à l’impuissance politique de l’Union à construire des ponts durables entre les deux rives méditerranéennes.
Au rang des critiques, le Processus de Barcelone, «trop économique» et pas assez politique, mais également l’Union pour la Méditerranée (UpM), fondée en 2008, dont la vice-présidente du PPE au Parlement européen, en charge des relations euro-méditerranéennes, juge l’action au mieux «mitigée», la politique menée en son sein n’ayant «pas menée aux résultats escomptés».
Alors que Johannes Hahn, le nouveau Commissaire à la politique de voisinage, a annoncé une série de réformes pour le printemps 2015, le message porté par Mariya Gabriel sonne à peu de choses près comme un avertissement parlementaire: «Notre rôle est aujourd’hui de veiller à ce que cette nouvelle politique de voisinage ne se limite pas à de simples ajustements techniques mais qu’elle propose une véritable vision européenne pour ces pays». Sur le plan démocratique, économique, migratoire mais aussi sécuritaire, en veillant à concilier – cette fois – accompagnement et adaptation aux particularismes nationaux, une donnée non prise en compte, regrette l’eurodéputée, dans le suivi des «Printemps arabes».
«Nous n’avons pas clairement défini ce qu’est le moins pour moins»
Car si la Tunisie, malgré une situation encore fragile, reste à ce jour pour Mariya Gabriel l’exemple de transition démocratique le plus abouti, elle le doit principalement à «un processus inclusif et participatif au cours des débats sur le projet de constitution» auquel il convient d’ajouter l’existence d’une société civile très active et engagée». Une spécificité tunisienne, loin, très loin de l’exemple libyen, pays qui a depuis sombré dans le chaos et où «force est de constater que non seulement l’Union n’a pas été à la hauteur des attentes mais n’y est encore moins perçue comme un acteur capable de prendre le leadership, surtout sur le plan sécuritaire».
Quant à l’Egypte, les élections post Hosni Moubarak ont certes donné un président démocratiquement élu – Mohamed Morsi –, mais le pays s’est rapidement après engouffré dans un processus de «changements clairement anticonstitutionnels» sans que l’Union n’ait eu le courage de dire que la démocratie était en danger». «Nos partenaires savent très bien que c’est une faiblesse de notre part, analyse la députée européenne. Le problème de la méthode ‘plus pour plus’ – consistant à appuyer davantage les pays qui se réforment le plus rapidement – est que nous n’avons pas clairement défini ce qu’est le moins pour moins».
Enfin, restent le Maroc, l’Algérie ou encore la Jordanie. Des pays qui «ne sont pas des pays révolutionnaires mais réformateurs», avec un enjeu partagé que l’Europe se doit là aussi de prendre en compte dans sa dimension spécifique: celui de leur intégration régionale et de leur porosité aux sensibilités géopolitiques de l’ensemble de la région. Une réalité dont le Liban est, non loin de là, peut-être à ce jour, l’une des plus grandes victimes. Un pays, relève l’élue, «confronté à une situation toute particulière ébranlant son équilibre démographique, ainsi qu’en matière d’infrastructures économiques et sociales, avec une population désormais composée de 25% de réfugiés syriens»…
«Un potentiel inexploité qui engendre de multiples déceptions»
Le constat passé, se pose encore la question des réformes à mener. Celles que l’Union n’a toujours pas su, voulu ou réussi à mettre en place. Sur la méthode, «le défi est double, poursuit Mariya Gabriel, pour les pays de la Méditerranée et pour nous. Pour l’Union, l’une des premières questions à se poser est : que faisons-nous avec les pays qui n’avancent pas aussi rapidement que nous le souhaitons?» Et de savoir comment «transformer la politique du ‘plus pour plus’ en quelque chose de véritablement incitatif pour obtenir des résultats sur le long terme», quitte, pour y parvenir, à devoir envisager des «sanctions sur le court terme» lorsque les objectifs fixés ne sont pas atteints. Concernant les pays méditerranéens, il leur appartient quant à eux d’«acquérir une légitimité par les résultats: économiques, avec une croissance qui doit profiter au développement, mais des résultats aussi en termes d’innovation – notamment dans le domaine énergétique –, de propositions de véritables alternatives et perspectives pour des jeunes au «potentiel inexploité qui engendre à ce jour de multiples déceptions parmi eux», ou d’équilibre territorial.
«Nous devons avoir le courage de dire que l’UpM n’a pas fonctionné»
Quant à l’UpM, poursuit Mariya Gabriel, «nous devons également avoir le courage de dire qu’elle n’a pas fonctionné et de la repenser. Nous devons favoriser l’émergence d’un leadership sud-méditerranéen et non plus seulement européen, arrêter de discuter avec nos partenaires comme avec un ensemble uniforme» niant la réalité des sous-ensembles régionaux. Autre proposition majeure, en termes de gouvernance, repenser, réformer le dialogue 5+5 qui met au cœur des relations nord-sud des pays européens «ayant des relations historiques lourdes avec les pays méditerranéens». D’autres pays, du Nord de l’Europe ou d’anciens PECO doivent davantage s’impliquer.
«Les financements sectoriels de l’Union ont été trop longtemps dispersés»
Enfin, reste la question de la réforme de la politique de voisinage annoncée pour le printemps prochain par Johannes Hahn. «Celle-ci doit nous permettre de nous poser les bonnes questions. Nous devons avoir le courage de faire en sorte que l’Union se concentre sur des réalités concrètes. De véritablement définir ce que nous proposons. A quel type de partenariat aspirons-nous? Parlons-nous de partenariat renforcé et si oui, sur quelles bases? Parlons-nous d’un partenariat de mobilité, de libre échange?». Dans ce cadre se posera inévitablement la question des financements de l’Union, ajoute l’eurodéputée, «trop longtemps dispersés». «Notre aide va à plus de dix à vingt secteurs différents alors que d’autres puissances comme la Chine, le Brésil, les Emirats Arabes Unis et maintenant le Qatar se focalisent sur un ou deux secteurs qui permettent une avancée rapide et visible de leur action auprès des opinions publiques de ces pays. Certes, notre force est notre soft power. Certes, notre force est la valeur ajoutée de tout ce qui est démocratie et droits de l’homme mais je pense qu’il y a vraiment besoin aujourd’hui de repenser la manière de faire et de choisir quelques priorités pour lesquelles nous pourrions avoir des résultats plutôt que de donner notre aide sur tout un tas de secteurs qui peinent au final à donner une visibilité de l’action de l’Union».
Ce processus sera long, comme toute aide aux transitions démocratiques, reconnaît la vice-présidente du PPE. Mais il est aussi un processus nécessaire, confie-t-elle en conclusion, si l’Union n’entend pas continuer à décevoir et, notamment, à laisser germer une radicalisation religieuse «particulièrement dangereuse au nord de l’Afrique» et qui, comme l’ont encore montré les événements des 7 au 9 janvier en France, n’est pas non plus sans conséquences sur le devenir de nos propres démocraties.
*Mariya Gabriel est députée européenne bulgare, vice-présidente du groupe PPE au Parlement européen, en charge des relations euro-méditerranéennes
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À propos des auteurs : Christophe Nonnenmacher est chargé de mission au Pôle européen d’administration publique de Strasbourg (PEAP). Journaliste spécialisé sur les questions européennes, il a notamment travaillé pour La Semaine de l’Europe, La Quinzaine européenne et l’Européenne de Bruxelles, avant de diriger, jusqu’en 2009, le site Europeus.org, qu’il cofonda en 2004 avec Daniel Daniel Riot, alors directeur de la rédaction européenne de France3. Il a également travaillé cinq ans au Parlement européen. Natacha Ficarelli est rédactrice en cheffe adjointe de la Revue Etudes européennes.
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