Libre circulation des personnes, police et justice, Union sans cesse plus étroite, Eurozone, question des compétences communautaires et de leur exercice: à la veille des élections législatives britanniques du 7 mai prochain, la perspective d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne occupe l’espace politique outre-Manche. Véritable risque de Brexit en cas de reconduction de David Cameron au 10. Downing Street ou simple stratégie électorale afin d’endiguer la poussée du parti nationaliste UKIP? Analyse des causes du conflit entre Londres et Bruxelles et de ses possibles sorties de crise.
Depuis le discours de David Cameron à Bloomberg le 23 janvier 2013, le lien entre les élections et le statut du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne est clair. Si le parti conservateur remporte les élections, il considérera qu’il dispose d’un mandat pour renégocier la participation britannique et organiser, à l’issue des négociations, un référendum à l’occasion duquel les électeurs devront se prononcer sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union. Il est trop tôt pour spéculer sur le résultat de la consultation électorale. Les travaillistes et les conservateurs sont au coude à coude, mais le bipartisme est mis à mal et il faudra compter sur les résultats de l’UKIP, du Scottish National Party et des libéraux démocrates, bien affaiblis par leur participation au gouvernement. On s’oriente vraisemblablement vers un gouvernement de coalition au sein duquel l’accord sur la manière de traiter la question européenne ne sera pas aisé.
Il est plus intéressant de se pencher sur les questions qui sont au cœur des revendications conservatrices et de voir dans quelle mesure elles peuvent avoir une chance de trouver une oreille attentive des autres Etats membres, surtout si elles supposent une révision des traités. Il est vrai que la porte n’a pas totalement été fermée par le Conseil européen qui, dans ses conclusions des 26 et 27 juin 2014, montrait une certaine attention à la position britannique: «Le Royaume-Uni, était-il alors mentionné, a exprimé des préoccupations liées à l’évolution future de l’UE, auxquelles il faudra répondre. Dans ce contexte, le Conseil européen a noté que la notion d’union sans cesse plus étroite permet aux différents pays d’emprunter différentes voies d’intégration, en laissant aller de l’avant ceux qui souhaitent approfondir l’intégration, tout en respectant la volonté de ceux qui ne souhaitent pas poursuivre l’approfondissement».
Ce que demande David Cameron
Reprises dans un article du Telegraph daté du 15 mars 2014, les revendications de David Cameron ont pour premier objectif de préserver et de compléter le Marché intérieur tout en apportant certains changements, principalement en ce qui concerne la libre circulation des personnes. Pour l’essentiel, les demandes portent sur les compétences de l’Union et la manière dont elles sont exercées, la police et la justice, le rôle des parlements nationaux et l’existence d’une Union sans cesse plus étroite. Certaines d’entre elles exigent une révision des traités, d’autres non. Dans certains cas, la Premier ministre britannique formule des exigences qui sont déjà inclues dans le droit existant ou qui n’ont pas de rapport avec l’Union elle-même. Ceci n’est pas surprenant puisque le discours est adressé à une opinion publique nourrie des déformations de l’UKIP et des tabloïds. En outre, il est plus facile d’obtenir ce qui existe déjà que ce qui exigerait une révision des traités. Le phénomène n’est pas nouveau: après l’échec du référendum irlandais sur le traité de Lisbonne, les assurances données à l’Irlande se limitaient pour l’essentiel à confirmer le contenu du traité, ce qui a suffi à rassurer l’électorat irlandais.
1° La question des compétences et de leur exercice
Dans un premier temps, la campagne britannique s’était déroulée sur le thème de la «repatriation» de certaines compétences. Le gouvernement avait mis en place une «review of the balance of competences» menée dans tous les ministères et avec le concours des secteurs socio-professionnels. Les résultats de l’opération ont été très décevants. Si l’on déplore dans certains secteurs quelques interventions inutiles de l’Union, aucun d’entre eux ne semble être candidat à un retrour en arrière. Le discours a donc évolué. Plus que de retour des compétences au Royaume-Uni, il s’agit de supprimer les contraintes bureaucratiques excessives.
Dans ce cas, il s’agit d’une politique menée depuis des années par l’Union – «cutting the red tape» – avec plus ou moins de succès, mais qui n’exige en aucun cas de révision du traité. De plus, l’Union peut toujours revenir sur une compétence exercée en abrogeant la législation en cause. Par contre, ce qui est plus difficile est de centrer toutes les politiques sur le Marché intérieur sans tenir compte des politiques d’accompagnement. En fait, bien avant que les traités contiennent des compétences sociales ou environnementales, l’Union intervenait déjà dans ces secteurs ne serait-ce que pour éviter des distorsions de concurrence. Sans politiques d’accompagnement, il ne peut y avoir de concurrence sur un pied d’égalité.
2° La libre circulation des personnes
Après avoir été favorable par le passé à la libre circulation des personnes, le Royaume-Uni a modifié sa position principalement en réponse aux campagnes de l’UKIP sur la lutte contre l’immigration. Il s’agit d’un débat bien connu, qui n’est pas propre au Royaume-Uni, mais qui alimente les courants populistes dans un grand nombre d’Etats membres. En fait, dans ce domaine, tout dépend de ce qu’exigerait rééellement le futur gouvernement britannique.
S’il s’agit de mettre fin au tourisme social de personnes qui ne sont pas de réels demandeurs d’emploi, la Cour de justice a déjà apporté une réponse dans l’affaire Dano en excluant du bénéfice des prestations sociales non contributives les citoyens de l’Union qui sont économiquement inactifs et ne recherchent pas un emploi parce qu’ils ne bénificient pas, de ce fait, d’un droit de séjour permanent. Si le gouvernement britannique désire aller plus loin, il est possible de réviser la législation de l’Union en vigueur. Mais cette possibilité trouve ses limites dès lors qu’elle est restrictive à un point tel qu’elle met en cause le principe de la liberté de mouvement ou qu’elle instaure des discriminations entre citoyens de l’Union. Dans ce cas, seule une révision du Traité pourrait apporter une solution, mais elle rencontrerait certainement les objections des nouveaux Etats membres, ainsi que celle de l’Allemagne, très attachée à ce principe. En outre, elle pénaliserait les citoyens britanniques établis dans d’autres Etats membres qui leur octroyent des avantages bien supérieurs à ceux offerts par le Royaume-Uni.
En ce qui concerne l’élargissement, le Royaume-Uni y est favorable, pour autant que les accords d’adhésion contiennent des dispositions limitant la libre circulation des personnes. Ici encore, tout est question de mesure. Une prohibition complète serait contraire aux traités et exigerait donc un amendement.
3°Police et justice
Les exigences de David Cameron sur ce point sont curieuses. En effet, le Royaume-Uni dispose d’un «opting out» dans le domaine de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Une législation de l’Union ne peut en effet lui être appliquée que s’il a librement choisi que ce soit le cas. Personne n’envisageant de modifier la situation sur ce point, aucun amendement des traités n’est nécessaire. En fait, le réel problème vient de la Convention européenne des droits de l’Homme, mais il s’agit d’une convention qui se situe dans le cadre du Conseil de l’Europe, et une renégociation avec l’Union ne pourrait rien apporter sur ce point.
4° Une Union sans cesse plus étroite
David Cameron souhaite également que le Royaume-Uni ne soit plus lié par cette formule qui d’ailleurs affiche un objectif politique sans effets juridiques concrets. La revendication est donc symbolique, mais sa disparition exigerait une révision des traités. Peut-être suffirait-il d’une déclaration indiquant que le Royaume-Uni ne partage pas cet objectif, déclaration dont les autres Etats membres prendraient note.
5° L’Eurozone
Enfin, David Cameron ne critique pas l’Eurozone et, au contraire, souhaite qu’elle soit renforcée. Ce qui le préoccupe, c’est que les non-membres de la zone puissent être affectés par les mesures adoptées au sein de celle-ci. Ce qu’il exige est ainsi un certain droit de regard sur son évolution. Cette revendication a été accentuée par les effets qu’aurait l’institution de la taxe sur les transactions financières en coopération renforcée sur la City. Cette demande est raisonnable et pourrait être accomodée au sein de la zone.
En conclusion, la véritable question est celle de la libre circulation des personnes. Sur ce point, tout dépend du niveau des exigences britanniques. Si celles-ci impliquent une révision des traités, la tâche sera difficile. Les autres Etats membres ne sont pas demandeurs d’une révision qui devra être ratifiée par les Vingt-huit. En outre, l’ouverture d’une procédure de révision sur ce point risque de faire boule de neige et de susciter des demandes sur d’autres questions, au risque de se trouver face à un processus incontrôlable. Le cas britannique doit être traité de manière isolée. Si les demandes restent en deçà du seuil de la révision, dans la mesure où le Royaume-Uni aurait besoin pour des raisons électorales d’un texte juridique de la même valeur que les traités, il serait possible de recourir à la solution irlandaise et d’imaginer un protocole spécial qui reprendrait les termes d’un accord qui ne réviserait pas le traité. Ce serait la solution «Canada Dry» et prendrait la forme d’uneévision sans être une révision. En effet, les membres de l’Union sont désireux de conserver le Royaume-Uni au sein de l’UE et à entendre certaines demandes; de son côté, le Royaume-Uni connaît le coût économique et politique d’une sortie de l’Union contre laquelle se mobilisent tant les milieux d’affaires britanniques que des partenaires de l’UE comme les Etats-Unis d’Amérique. Le malheur est que pour conserver le pouvoir, les gouvernants britanniques actuels jouent au «poker aveugle» (1) avec les intérêts permanents du Royaume. Cela étant, il appartient au peuple britannique de décider démocratiquement et souverainement de son avenir.
(1) Au poker, on appelle «blind» la ou les mises obligatoires faites avant toute distribution de cartes. C’est donc une «mise à l’aveugle», d’où son nom, «blind» signifiant «aveugle» en anglais.
A propose de l’auteur : Jean Paul Jacqué, Professeur émérite à l’Université de Strasbourg / Président du Pôle européen d’administration publique de Strasbourg
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Photo : Poker Chips and Face Cards – Poker
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