15Peu influent sur la scène internationale jusqu’à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui lui a conféré de nouveaux pouvoirs législatifs en matière de politique commerciale internationale, le Parlement européen n’en a pas moins développé au cours des dernières années des liens resserrés avec certains Etats tiers dont le Japon. Simple forum d’échanges ou véritable outil d’influence, à quoi sert vraiment la délégation parlementaire UE-Japon?
44. C’est actuellement le nombre de délégations parlementaires avec des pays ou organisations internationales tierces répertoriées au sein du Parlement européen. Parmi les plus anciennes, celle pour les relations avec le Japon a tenu sa première réunion annuelle en 1979, en alternance, depuis, entre les sols européen et japonais. 1979, l’année aussi où le Parlement se voyait pour la première fois élire au suffrage universel. L’année, surtout, où à plus de 9.500 kilomètres du siège parlementaire strasbourgeois de ce qui était encore appelé «Communauté économique européenne», Kosuke Hori faisait son entrée à la Chambre des Représentants de la Diète japonaise.
«Une appellation bien moins engageante politiquement du côté nippon»
Joint par téléphone, celui qui n’avait alors que 44 ans et qui prit près de 30 ans plus tard la tête de la délégation parlementaire japonaise engagée dans les relations entre l’Union et le Japon, a la voix des années égrainées. A 80 ans révolus, l’homme, qui s’est retiré depuis un an de la vie politique de son pays, a la voix parfois tremblotante, mais les souvenirs restent intacts : « C’est moi qui ai proposé la création de cette délégation. A l’époque, il m’apparaissait en effet fondamental que le Japon développe un dialogue politique avec l’Europe alors que nos relations économiques allaient en se développant». Une priorité, presque, pour celui qui avait alors construit sa carrière professionnelle dans le monde des affaires entre le Japon et la France. Un moyen, aussi, analysait-il alors, de rééquilibrer des relations politiques et commerciales entre la Communauté économique européenne et l’Archipel, dont les politiques étaient encore «fortement influencées par les États-Unis». Et, dans ce contexte d’influence nord-américaine, d’adoucir parallèlement les frictions commerciales euro-nippones du moment. Tout juste élu, Kosuke Hori n’aurait toutefois sans doute pas réussi à se faire entendre s’il n’avait pu compter sur le soutien de son père, Shigeru Hori. Alors Président de la Chambre des Représentants, l’homme le suivit dans son raisonnement et concrétisa la constitution de cet organe dénommé – côté japonais – « Association parlementaire pour l’amitié entre le Japon et l’UE ». Une appellation bien moins engageante politiquement du côté nippon, mais qui s’explique sans doute par son caractère particulier sur lequel revient Norio Hibi, Secrétaire au parlement japonais, détaché au Consulat du Japon de Strasbourg depuis juillet 2014.
Un organe «non officiel» de la Diète
Dans l’une des salles de réunion de la représentation diplomatique strasbourgeoise, Norio Hibi prend le temps de l’explication. La conversation est posée, presque pédagogique. Son analyse : le caractère particulier de la délégation japonaise relève d’une forme de statut « semi-officieux», défini comme tel lors de sa création par le Comité de pilotage de la Diète. Semi-officieux pour cette raison première que la composition de la délégation japonaise ne répond pas à la règle officielle d’une proportionnalité de membres nommés en fonction de la représentativité des groupes politiques siégeant à la Diète, mais à la seule règle du volontariat. Parce qu’aussi, bien que ne disposant pas de statut officiel, celle-ci voit toutefois, «à titre exceptionnel», le financement de ses réunions directement pris en charge par l’institution parlementaire. Une sorte d’entre-deux entre délégation informelle et délégation statutairement reconnue comme influente dans la conduite des politiques publiques, et soutenue financièrement comme tel. Un entre-deux, aussi, qui a sans doute aidé au renforcement des liens entre les deux délégations, nippone et européenne. Entre autres exemples, en plus de visites d’études ciblées, la mise en place d’une rencontre annuelle, depuis 2006, entre les bureaux des délégations respectives. Des rencontres qui, de l’avis de Kosuke Hori, facilitent une «meilleure compréhension des évolutions politiques entre les deux parties» et qui ont progressivement permis d’élargir le champ d’échanges interparlementaires des simples «frictions commerciales» des débuts à des dossiers touchant tant aux questions commerciales qu’économiques, financières, environnementales, climatiques, de sécurité régionale, de droits de l’Homme ou de coopération dans le domaine scientifique», et désormais «régulièrement inscrits à l’agenda de l’Association».
Simples rencontres informelles ou véritable outil d’influence législative?
Reste le débat sur la portée réelle de ces travaux et cette question lancinante, au-delà du story telling politique: à quoi servent véritablement ces échanges interparlementaires en matière de policy making? Simples rencontres informelles ou véritable outil d’influence législative? Si, du côté de la délégation japonaise, la question reste relativement floue en raison de la prépondérance de l’Exécutif sur le Législatif en matière de relations extérieures et du statut semi-officieux de sa délégation, la réciproque n’est pas forcément vraie du côté européen, notamment depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, qui donne désormais au Parlement un pouvoir «de vie ou de mort» sur les accords commerciaux internationaux, et dont le rejet de l’Accord anti-contrefaçon ACTA, en juillet 2012, reste à ce jour l’illustration la plus significative de l’ère «post-lisboète».
En Europe, un outil de diplomatie parlementaire?
Si les relations entre les deux délégations se sont en effet renforcées au cours des trente-cinq dernières années, les structures n’ont en effet rien d’identique. Alors que la délégation nippone garde ce «semi» statut, la délégation parlementaire européenne pour les relations avec le Japon répond à l’inverse bien plus à une logique officielle. Composée de 45 membres – dont 25 titulaires –, la structure européenne voit ses membres désignés pour cinq ans sur la base de la de la règle d’Hondt, qui favorise la représentation des grands partis et, de fait, une influence, en terme de «policy making» potentiellement plus grande au sein du Parlement européen que ne peut l’avoir la délégation japonaise au sein de la Diète. Ainsi, si l’on en croit Petr Ježek, le président tchèque de la délégation UE-Japon, contacté par échange de mails, le rôle de celle-ci « n’a cessé d’augmenter, allant jusqu’à prendre les contours d’une diplomatie parlementaire». Un rôle notamment permis en matière commerciale par la proximité des liens développés avec la commission parlementaire Commerce international (INTA), dont certains membres sont commun à ceux de la délégation et où il n’est plus rare de voir Petr Ježek invité à échanger avec le rapporteur sur le dossier et le négociateur en chef de la Commission européenne. Une façon certes indirecte mais non moins réelle dans la pratique, pour la délégation, de dépasser son seul cadre de représentation «diplomatique» initial et de progressivement jouer de toute son influence bilatérale dans le champ des négociations commerciales. Un travail d’équipe parlementaire, presque, la délégation jouant d’une certaine manière le rôle d’informateur et de médiateur entre les deux ensembles régionaux là où les membres d’INTA utilisent cette interface pour faire entendre leur voix tant auprès de la Commission européenne que de la Diète japonaise. Un outil, enfin, qui sera sans doute progressivement amené à être encore développé mais qui, déjà, sort la délégation de son cadre de représentation initial à mesure que le Parlement européen gagne en nouveaux pouvoirs.
Reste qu’en tous les cas, relève en substance Petr Ježek, il est indéniable que ce genre de dialogue, même à ce jour encore quelque peu asymétrique, peut jouer un rôle important pour les deux parties, en contribuant, a minima, à une «compréhension mutuelle plus approfondie» et à une «meilleure sensibilisation des opinions publiques» européennes et japonaises aux enjeux des négociations en cours. Une avancée non négligeable, déjà, dans le cadre notamment des négociations de l’accord de libre-échange UE-Japon dont, au moins du côté européen, on espère une progression de l’économie de l’Union de 0,6% à 0,8% de son PIB, et la création de 400.000 emplois associés à une hausse des exportations vers le Japon de 32,7%.
A propos de l’auteur : Daisuke Sanuki est étudiant en Master 2 «Etudes européennes» à Science Po Strasbourg
Photo : Service audiovisuel du Parlement européen. En photo: Kosuke Hori
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