A l’heure où Grexit et Brexit occupent l’espace politique et médiatique européen, Bert Koenders, ministre néerlandais des Affaires étrangères, appelle à la mise en place de réformes visant à renforcer la légitimité démocratique de l’Union. Une ligne qui devrait être celle de la présidence néerlandaise du Conseil de l’Union qui s’ouvrira le 1er janvier 2016.
Hors de l’Union, les populations rêvent de l’Europe. Elles manifestent pour obtenir des droits comparables et la seule perspective d’une association avec elle mobilise des milliers de personnes. Non seulement pour les avantages commerciaux, mais surtout car elle est porteuse de valeurs fondamentales comme la liberté et la bonne gouvernance. Hors de ses frontières, l’Union européenne est vue comme une garantie de sécurité et d’espoir. Mais en son sein, l’incertitude et le manque de confiance et d’assurance vont croissant. L’irritation monte devant l’influence grandissante de Bruxelles et la multiplication de règlements et de subventions complexes. Parallèlement, c’est son indolence qui lui est reprochée, lorsque de grandes banques tombent, que l’éruption d’un volcan paralyse la circulation aérienne, que des médecins déclarés incompétents peuvent continuer tranquillement leurs activités à l’étranger ou en cas de dangereuse épizootie. Suite à la crise de l’euro, la solidarité européenne a été durement mise à l’épreuve et le fossé entre les États membres se creuse davantage. L’intensification de la coopération européenne est également ressentie par beaucoup comme une perte d’identité et de contrôle, même si elle permet de prévenir des crises futures de façon appropriée. Mais les termes de Grexit ou de Brexit ne concernent pas uniquement la Grèce ou le Royaume-Uni. Il y va de l’avenir de l’Europe et de nous tous.
La solution ne vient pas toujours de Bruxelles; il faut la chercher chez nous
Dans un tel contexte, les gouvernements européens, ainsi que les institutions communautaires, ne pourront faire l’économie de réformes visant à renforcer la légitimité démocratique de l’Union, dont en premier lieu celle d’une meilleure gouvernance. Miser sur une meilleure gouvernance revient essentiellement à miser sur la confiance au niveau des États membres, des entreprises et des citoyens. La confiance envers les institutions nationales propres, mais aussi envers celles des autres États membres. Tous doivent pouvoir compter sur le fait que ce dont ils conviennent ensemble à Bruxelles est mis en œuvre et appliqué au niveau national. Que, par exemple, les réformes structurelles décidées sont menées et que la politique économique est basée sur des données nationales fiables. Les entreprises doivent pouvoir tabler, où qu’elles opèrent, sur l’application cohérente des règles du marché intérieur et sur un déroulement correct et rapide des procédures de faillite. Enfin, le citoyen doit savoir que dans aucun des États membres il ne sera en butte à la corruption de l’appareil administratif ou du pouvoir judiciaire. Il nous faut donc repenser les termes du problème: la solution ne vient pas toujours de Bruxelles; il faut la chercher chez nous. Seuls des États membres forts garantiront une Union européenne forte.
Préciser ce que nous voulons régler au niveau européen et pourquoi
Il y a quelques semaines, la Commission a proposé un nouvel accord interinstitutionnel. Un point majeur de ce projet vise à la transparence du processus décisionnel européen; ce que les Pays-Bas considèrent comme essentiel. Sans transparence, il ne peut être question de bonne gouvernance, de légitimité démocratique de l’Union ni de citoyens satisfaits. Ce dont nous avons besoin est d’une Union qui corresponde aux souhaits et aux intérêts des citoyens et des entreprises. Cela implique en premier lieu de préciser ce que nous voulons régler au niveau européen et pourquoi. C’est la raison pour laquelle nos gouvernements respectifs plaident ensemble depuis un certain temps déjà en faveur d’une meilleure définition des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Nous pouvons décider de beaucoup de choses, voire de tout, au niveau européen, mais il nous faut aussi fixer des priorités.
Valoriser le travail des Européens
Améliorer la réglementation relative à la liberté des citoyens européens revient à valoriser leur bien le plus précieux: leur propre travail. La liberté d’entreprendre et de commercer. La liberté, pour les petites entreprises, de ne pas subir les pratiques déloyales des grosses sociétés. Et la liberté, pour les entrepreneurs, de prendre des risques, d’échouer et de refaire une tentative; ce qui constitue le fondement d’une économie innovante. L’amélioration de la réglementation n’est pas un objectif bureaucratique, c’est une nécessité politique pour donner à nos citoyens, et donc à notre économie, davantage de liberté dans le déploiement de leur travail. Meilleure réglementation n’est pas synonyme de froide dérégulation. Il ne s’agit pas de démanteler les normes en matière de défense des consommateurs, d’écologie ou de protection sociale. Il s’agit en revanche de réfléchir aux moyens de conserver ces normes dans le futur et à l’opportunité de modifier l’approche à cet effet. L’année passée, le retrait de certaines propositions environnementales a provoqué de nombreux débats. Toute l’attention s’est fixée sur le retrait en soi, mais pas sur ses raisons, à savoir l’élaboration de meilleures propositions. Il est possible de simplifier le fonctionnement des formalités douanières et du prélèvement de TVA dans l’Union et, ce faisant, d’améliorer notre compétitivité sans avoir à abandonner les normes européennes.
Enfin, la proposition de la Commission européenne contient aussi un plaidoyer en faveur d’un rôle accru des parlements nationaux; ce dont les Pays-Bas se réjouissent. Plus les parlements nationaux pourront influer sur le processus législatif européen, plus ce processus gagnera en légitimité.
L’Union européenne se trouve dans un épisode critique de son existence. Peut-être la politique européenne a-t-elle déjà vécu ses plus belles heures. Espérons que non, mais ne pensons pas non plus que le projet européen possède sa propre téléologie. Rien n’est irréversible, rien n’est inéluctable; tout dépend de notre capacité à mener une politique raisonnable.
A propos de l’auteur : Bert Koenders, ministre néerlandais des Affaires étrangères
Photo : Ministerie van Buitenlandse Zaken
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