Alors qu’après les risques de Grexit se précise la perspective d’un Brexit d’ici juin 2016, le discours pro-européen de Danuta Hübner, tenu à l’occasion des 10èmes Rendez-vous européens de Strasbourg, ferait presque figure d’exception dans le pessimisme politique ambiant. Car lorsqu’on lui pose la question de la nature de sa vocation européenne, l’élue PPE et présidente de la commission parlementaire des Affaires constitutionnelles répond qu’elle a toujours pensé qu’une Europe unie [était] extrêmement importante». Un credo, presque, qui ne l’empêche toutefois pas de pointer l’une des plus grandes faiblesses actuelles de l’Union: son manque de vision politique qui l’a, au cours de ces dernières années, largement éloignée de ses citoyens.
«Il vous faut avoir une vision mais également être préparés», confie Danuta Hübner lorsqu’on l’interroge sur ce qui l’a amenée à s’engager dans les affaires européennes. Et puis, «de la passion», aussi. De celle qui l’a conduite à se lancer dans la bataille de l’adhésion à l’Union de son pays, la Pologne, alors que s’opposait à elle «deux à trois partis» faisant campagne en sens inverse. La passion, un élément essentiel pour être un bon professionnel de l’Europe, précise celle qui fut également commissaire européenne, chargée de la politique régionale, dans la Commission Barroso, de 2004 à 2009: «Nous avons besoin de gens qui sachent, qui comprennent, mais qui ont également des émotions, insiste-t-elle. Bien sûr, nous avons besoin d’experts dans l’administration parce qu’il y a beaucoup à coordonner et à faire. C’est extrêmement important. Mais l’émotion l’est tout autant parce que nous avons à vivre sous le même toit alors que nous sommes très différents».
«Un rapport gagnant-gagnant»
Vivre ensemble, une évidence pour Danuta Hübner, tant «l’unité est la meilleure manière de vivre et de penser le futur dans la paix et la stabilité». Mais également de profiter d’un effet levier que seule l’Union peut apporter, là où même de très grands Etats comme l’Allemagne ou la France, seuls, «ne représentent [aujourd’hui] plus grand-chose dans un monde globalisé». Prenant l’exemple de son pays, la députée souligne «qu’il est désormais clair pour tous les politiques que plus l’Europe est forte, plus la Pologne l’est. Nous pouvons en profiter économiquement si l’Europe croît, si l’Europe est compétitive, si l’Europe crée des emplois, s’il y a de nouveaux marchés pour nous. Et nous comprenons également très bien, je pense, qui si nous voulons peser, nous devons nous impliquer au niveau européen, nous engager et à aimer l’Europe d’une manière qui la rend également plus forte. C’est un rapport gagnant-gagnant dont chacun, en Pologne, a conscience et qui fait que même les eurosceptiques ne demandent pas à quitter l’Union».
«Nous avons des comptes à rendre»
Reste, toutefois, pour que cette tendance ne s’inverse pas, à ne pas faire de la présence de l’Union un simple dogme. Et, pour cela, il y a urgence à (re)donner sens à la construction européenne, lance-t-elle en substance. A lui donner une orientation compréhensible et partagée par les citoyens. La chose n’est pas nouvelle: déjà au début des années 2000, Alain Lamassoure, ancien Secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes et aujourd’hui président de la délégation française du groupe PPE, martelait: «Quelle est la destination du voyage? C’est cela que nous devons expliquer». Or, ce dont souffre l’Europe aujourd’hui, poursuit-elle, est que cette destination est désormais «floue», faute de «vision européenne», alors que par le passé l’Union pouvait s’appuyer d’une véritable feuille de route avec la construction du marché unique, de la zone euro, ou de l’espace Schengen… Un manque de vision jugé ici préjudiciable «parce que nous avons des comptes à rendre et qu’il en va de la légitimité démocratique de l’Union».
Danuta Hübner: «Europe must think more about itscitizens» from Ecole nationale d’administration on Vimeo.
«Nous devons construire un cadre géostratégique harmonieux autour de l’Europe»
Entre autres outils pour inverser cette tendance, l’Initiative citoyenne, qui «peut nous permettre d’aller de l’avant, avec les électeurs et l’ensemble des populations». Mais également «la construction d’un cadre géostratégique harmonieux autour de l’Europe», bien que ce projet ne soit «pas une mince affaire», qui plus est à l’heure où se réveillent certaines velléités nationalistes albanaises dans les Balkans, qu’à la veille du Sommet de Riga Joseph Daul qualifiait de «poudrière», à l’occasion de la conférence inaugurale des 10èmes Rendez-vous européens de Strasbourg. Ceci, avec pour conséquence directe, poursuivait le président du Parti populaire européen, qu’en cas de nouveau conflit au Kosovo mêlé à une extension du conflit ukrainien, que l’afflux de migrants ne se comptabilisera plus en milliers «que nous n’arrivons déjà pas à gérer dans le cas méditerranéen, mais en millions» et, ce, «en à peine quelques semaines».
TTIP: «Nous pourrions nous trouver un objectif commun avec les Etats-Unis»
Démocratisation de l’Union, (re)définition de la politique de voisinage de l’Union mais aussi resserrement de nos relations transatlantiques, pourraient ainsi constituer le socle d’une nouvelle vision européenne, à en croire Danuta Hübner. Et, dans ce dernier cas, faisant référence aux négociations sur le Traité transatlantique TTIP, «les différences entre l’Union et les Etats-Unis étant relativement minces, «un objectif commun» pourrait être trouvé. «Si nous ne négocions pas, malgré certaines barrières qui nous divisent, demain ce ne sera plus [nous] qui imposerons nos standards [économiques et sociaux], mais les grandes économies émergentes», dont la Chine, l’Inde ou le Brésil. Une analyse qui divise jusque dans les rangs du Parlement, notamment au regard de l’inclusion d’une généralisation des tribunaux d’arbitrage, et qui pourrait rapidement devenir clivante au sein des populations de l’Union mais qui, pour la première fois depuis longtemps, a au moins le mérite de poser les bases d’un débat oublié: celui de l’Europe qu’institutions communautaires, Etats membres et citoyens entendent désormais construire et promouvoir. Tant sur le plan économique et social que démocratique et diplomatique.
A propos de l’auteur : François Roujansky est diplômé du Master Macroéconomie et politiques européennes de la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion (FSEG) et étudiant à l’Institut de préparation à l’administration générale (IPAG) de Strasbourg. Alexandrina Soldatenko est conseillère pédagogique à la Direction des Affaires européennes de l’ENA. Entretien réalisé dans le cadre des 10èmes Rendez-vous de Strasbourg, organisés sous l’égide du Pôle européen d’administration publique de Strasbourg.
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