Corinne Lepage: La COP21 n’est «pas la dernière chance pour le climat mais pour ce type d'organisations»

« Depuis l’échec de Copenhague, on avance lentement » 

« Nous ne pouvons pas continuer à nous offrir des conférences aussi coûteuses pour ne déboucher sur rien du tout! »

« Ou bien la COP21 accouche de quelque chose de solide, ou bien il faudra travailler autrement »

La COP21, qui se tiendra en décembre prochain à Paris marquera-t-elle un retour des ambitions étatiques en matière de lutte contre le changement climatique? Rien de moins sûr, pour Corinne Lepage qui, en cas d’échec de la Conférence de Paris, prédit déjà l’émergence de nouvelles formes de gouvernance pilotées non plus par les Etats mais par de nouveaux acteurs. Une hypothèse que semblent anticiper depuis mai dernier 17 grandes régions à travers le monde, regroupées au sein du protocole d’Accord «Under 2»…

La 15e conférence des parties (COP 15) de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique de Copenhague fut «incontestablement un échec, dans la mesure où n’y fut signé aucun accord au sens de la convention sur le climat et que le document pris en compte était d’une extrême faiblesse, relevait Corinne Lepage le 4 janvier 2010 lors d’un entretien accordé au Cercle des Européens: pas d’engagements chiffrés globaux pour 2050 et encore moins pour 2020, a fortiori aucun engagement par pays. Quant aux engagements financiers, aucune précision ne fut fournie quant aux mécanismes qui devaient permettre de les tenir…».

En 2009, «L’Union n’a pas su s’imposer comme un acteur parlant d’une seule voix» 

Ce que demandait alors l’ancienne ministre française de l’Environnement était «un accord contraignant permettant de répondre aux exigences du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour atteindre l’objectif de 2°C d’augmentation maximale de la température (par rapport à celle de l’ère préindustrielle de 1880), soit une réduction comprise entre 25% et 40% des émissions pour les pays du Nord, et une modération de 30% de la croissance des émissions par rapport à la pente naturelle pour les pays du Sud». Mais voilà: «L’Union n’a pas su s’imposer comme un acteur parlant d’une seule voix, analysait-elle à l’époque. La faiblesse de la présidence suédoise, jointe aux désirs des chefs d’Etat ou de gouvernement de la France, de l’Allemagne, de l’Angleterre, voire de l’Espagne, de s’ériger chacun en ‘Zorro’ du changement climatique ont été catastrophiques». Un positionnement auquel n’ont par ailleurs sans doutes pas été étrangers les Etats-Unis qui, après avoir mésestimé la force d’une Union européenne unie à Kyoto, ont très vite changé de stratégie et opté pour celle du «Cherry Picking», notamment prônée, dès 2003, par le très républicain John Hulsman de la Heritage Foundation. Une stratégie au principe élémentaire suivant: plutôt que d’affronter une Europe unie, préférence fut dès lors donnée à une approche bilatérale, Etat par Etat, pour mieux briser une éventuelle alliance européenne de bloc. Une stratégie payante, entamée lors de la seconde Guerre du Golfe et depuis régulièrement appliquée par l’administration américaine.

Six ans plus tard, le discours de Corinne Lepage reste sensiblement le même. Invitée des 10ème Rendez-vous européens de Strasbourg, l’ancienne élue ALDE précise, à titre d’avertissement, et à quelques mois de la tenue de la COP21 de Paris, qu’à Copenhague, «le seul accord trouvé consista finalement à proclamer que cette conférence était un échec». Et de rappeler que, «depuis, l’objectif des conférences annuelles est d’éviter un nouveau Copenhague» ; que, «depuis, on ne négocie plus pour un accord contraignant, mais on passe par le biais de la création d’outils» ; que, «depuis, on avance lentement». A seul titre d’exemple, le Fonds vert pour le climat, un instrument financier de soutien aux projets des pays en voie de développement, «a nécessité quatre ans» de mise en place!

10RVES-Corinne LEPAGECorinne Lepage: La COP21 n’est «pas la dernière chance pour le climat mais pour ce type d’organisations from Ecole nationale d’administration on Vimeo.

Eviter un nouveau Copenhague sera donc l’objectif premier de l’Union, à Paris, prévient-elle en substance. Mais, pour y parvenir, encore faudra t-il enfin réussir à surmonter de vieux serpents de mer. Parmi ceux-ci, la question des «financements de lutte contre le dérèglement climatique dont les besoins sont aujourd’hui évalués à 100 milliards de dollars alors que seulement 10 sont sur la table»; mais aussi, et sans doute prioritairement, «la formulation d’engagements contraignants pour renouer avec l’esprit du Protocole de Kyoto», dernière véritable victoire européenne en matière environnementale. «L’enjeu sera finalement d’arriver à un accord solide, contraignant, sérieux, sanctionné, avec de l’argent dans le Fonds vert, et au-delà, pour payer à la fois l’adaptation au changement climatique qui est de plus en plus importante et la lutte contre l’effet de serre». Et l’ancienne vice-présidente de la commission Environnement au Parlement européen d’appeler à une adéquation réelle entre les paroles et les actes: «Il ne suffit pas de dire ‘je vais faire des efforts pour’, parce ce que nous ne pouvons plus nous permettre ce genre de choses, ni continuer à nous offrir, année après année, des conférences aussi coûteuses pour ne déboucher sur rien du tout!».

Paris n’est, ni ne sera, toutefois « la dernière chance pour le climat, parce que cela fait quinze ans qu’on le dit et que cela n’a plus beaucoup de sens, nuance t-elle; mais je pense que c’est la dernière chance pour ce type d’organisations: ou bien la COP21 accouche de quelque chose de solide, ou bien il faudra travailler autrement». Comprendre: en marge des Etats. Parce qu’au cours des deux dernières décennies, les rapports d’influence ont profondément évolué. «Il y a 20 ans, je vous aurais dit que les leviers d’action se situaient au niveau des Etats, parce que c’est là que se fait la réglementation, la législation, analyse l’auteure de Les mains propres – plaidoyer pour la société civile au pouvoir. Aujourd’hui, j’aurais davantage tendance à vous dire que c’est au niveau de la société civile que ceux-ci existent. Ce sont les nouvelles synergies qui se créent entre citoyens, entreprises et collectivités locales qui sont à l’origine de la révolution que nous sommes en train de vivre et que nous allons vivre; et cela est autant vrai pour les pays du Nord que pour ceux du Sud». Travailler autrement, donc? Le risque, ou l’espoir, c’est selon, existe bel et bien, selon elle, par l’entremise de grandes régions, d’entreprises, d’initiatives civiles, à défaut de voir les gouvernements réussir à s’entendre, ou de voir des règlementations européennes freiner toute avancée en matière environnementale.

« Under 2 » : Nouvelle alternative à la COP?

Ce frein réglementaire: un paradoxe tout européen aux conséquences économiques inquiétantes, relève encore l’ancienne ministre de l’Environnement. Parce qu’alors que «depuis 20 ans, c’est l’Europe qui a porté le projet de lutte contre le changement climatique, celle-ci est incapable d’en faire un leadership industriel!», faute de réglementations particulièrement défavorables aux entreprises européennes en matière de concurrence intracommunautaire, qui les empêchent de se mesurer à armes égales avec la Chine, les Etats-Unis, le Brésil ou l’Inde. Quatre pays qui peinent, paradoxalement encore, à accepter des engagements contraignants en faveur de l’environnement… D’où un appel au bon sens européen pour que l’Union, Etats en tête, adopte «un minimum de cohérence que nous n’avons pas», afin de se donner véritablement les moyens de peser sur les débats. Parce qu’à défaut de crédibilité, de leadership marqué de l’Union, l’hypothèse que le modèle intergouvernemental des Conférences des Parties se voient progressivement concurrencé, voire remplacé par de nouvelles initiatives plus locales n’est peut-être pas à écarter. Pas plus tard que les 1er et 2 juillet, à l’occasion du sommet Climat et Territoires qui se tenait à Lyon, la Région Rhône-Alpes, le Pays Basque (Espagne) et l’Écosse rejoignaient ainsi le Bade-Wurttemberg, la Catalogne et le Pays de Galles dans le groupe de signataires du protocole d’Accord «Under 2». Un accord volontariste et indépendant des Etats qui engage ses parties à réduire de 80 à 95% leurs émissions de CO2 d’ici 2050, par rapport aux niveaux enregistrés en 1990. Ironie de l’histoire: alors que l’Union entend encore s’afficher comme le chantre de la lutte contre le dérèglement climatique, cette initiative, lancée en mai dernier et déjà rejointe par 17 signataires représentant une population de 123 millions de personnes à travers le monde et 5.000 milliards de dollars de PIB, ne sort pas de ses rangs, mais des Etats-Unis, et plus particulièrement de l’Etat de Californie…

Photo: Julie Roth

(1) Linda Lapuke est étudiante en Master 2 «Etudes européennes» à Science Po Strasbourg. Ouafa Allam est élève à l’ENA (Cycle International Long 2013-2015)

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