Pris en tenaille entre l’aile eurosceptique de son parti et sa volonté d’éviter un Brexit, David Cameron, à l’heure où vient de se clôturer le Congrès annuel du Parti conservateur, jouit d’une position de plus en plus inconfortable sur la scène politique britannique. En jeu: sa carrière personnelle mais également l’avenir des Torries et du Royaume-Uni. A l’inverse, et quelle que soit l’issue de la bataille référendaire annoncée, le Scottish National Party semble déjà tout désigné comme le grand vainqueur de cette échéance électorale, avec pour autre conséquence d’imposer l’Ecosse comme un interlocuteur incontournable de la scène politique londonienne.
Le Scottish National Party (SNP) pourrait-il être le grand vainqueur de la campagne référendaire annoncée par David Cameron sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union? Ceci, que le «oui» ou le «non» l’emporte, lors d’un scrutin susceptible de se tenir au plus tôt en juin 2016, au plus tard fin 2017. A priori fantaisiste, cette hypothèse n’a, à y regarder de plus près, rien d’invraisemblable, tant la stratégie du Premier ministre britannique consistant à agiter la menace d’un Brexit pour imposer une révision des traités à ses homologues européens, ressemble de plus en plus à un piège susceptible de se refermer sur lui au profit jusque-là inattendu de l’Ecosse.
Une ligne rouge à ne pas franchir
Certes, Angela Merkel, en pleine crise du Grexit, s’était montrée ouverte à des discussions «constructives» avec son homologue britannique, afin, expliquait-elle, le 28 mai dernier, de «trouver une solution» de sortie de crise. Mais rien n’indique toutefois que les revendications du Premier ministre du Royaume-Uni – dont les Vingt-Sept attendent encore la formulation exacte d’ici novembre et qui se résumeraient pour l’heure à une obtention d’un plus grand pouvoir des Parlements nationaux face à Bruxelles, au retrait de la clause des traités européens encourageant la mise en place d’une Union sans cesse plus intégrée politiquement, ou encore à une limitation des prestations sociales pour les migrants européens – seront entendues à l’échelle de l’Union. Un risque d’autant plus réel que, dans sa dernière requête, David Cameron invite l’Union à dépasser une ligne rouge que le Berlaymont n’entend par franchir, tant celle-ci aurait pour conséquence d’engendrer une rupture d’égalité de droits entre citoyens européens. Un positionnement communautaire également partagé par, Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen entre 1999 et 2001, qui, à l’occasion du débat d’ouverture des 10èmes Rendez-vous européens de Strasbourg, déclarait que «nous ne pouvons pas à céder (à Londres) à n’importe quel prix. Ceci, parce que si nous multiplions les ‘opting out’ et les concessions, nous détricoterons tout ce que nous avons fait ensemble au cours de toutes ces années».
Nicole Fontaine / Brexit: « Nous ne pouvons pas céder à n’importe quel prix » from Ecole nationale d’administration on Vimeo.
Du Brexit au Britxit, il n’y a qu’un pas
Or, en cas d’impasse avec Bruxelles, David Cameron – à moins de se discréditer sur le plan national – se verrait dans l’obligation politique d’aller jusqu’au bout de sa démarche et d’appeler les électeurs du Royaume-Uni à voter en faveur d’un Brexit. En cas de victoire, celui-ci ne manquerait pas de renforcer sa légitimité auprès de la branche eurosceptique de son parti, tout en justifiant, en externe, le retrait de son pays par un respect de la souveraineté populaire. Mais, tel un Pyrrhus, celui-ci s’exposerait parallèlement à la fois à un risque de retrait progressif des centres d’affaires de la City – dont certains ont, en cas de Brexit, déjà planifié une délocalisation de leurs activités vers la zone Euro -, ainsi qu’à la montée d’«une vague de colère parmi les gens ordinaires en Ecosse», analysait récemment Nicola Sturgeon, lors d’une intervention au European Policy Center. Une colère qui, pour être apaisée, contraindrait très vraisemblablement Londres à valider la tenue d’un nouveau référendum sur la sortie de l’Ecosse europhile du Royaume-Uni et dont l’issue «pourrait bien être cette fois imparable». Comme si du Brexit au Britxit, il n’y avait qu’un mur, que David Cameron pourrait, bien malgré lui, s’apprêter à abattre… au profit des revendications indépendantistes écossaises.
L’ombre de John Major
Autre cas de figure: David Cameron obtient quelques légers aménagements sur le plan européen. Une forme de compromis sans grande envergure au regard de ses exigences de départ, mais qui pourrait néanmoins convaincre l’hôte du 10 Downing Street à faire campagne en faveur du maintien du Royaume-uni dans l’Union. Faute de satisfaire la branche eurosceptique de son parti, actuellement portée par Nigel Lawson, ancien ministre des Finances de Margaret Thatcher, un tel choix politique pourrait toutefois affaiblir David Cameron en interne, voire relancer sur la scène nationale le parti indépendantiste britannique UKIP du député européen Nigel Farage, qui a fait du Brexitson cheval de bataille historique. Le risque, alors, pour David Cameron: se voir lâché dans les urnes par une partie de ses troupes et voir son destin politique suivre celui d’un John Major avant lui. A l’inverse, du côté du SNP, une telle situation lui serait là encore profitable. En cas de victoire des partisans du Brexit, le Scottish National Party se verrait, comme dans le scénario précédent, conforté dans ses velléités d’indépendance: si une majorité d’électeurs britanniques valident une sortie de leur Etat de l’Union, rien n’interdirait plus à l’Ecosse d’exiger un nouveau référendum sur son indépendance, seule issue politique, pour elle, à son éventuel maintien l’Union. Dans le second cas, où les électeurs britanniques viendraient à s’opposer au Brexit, le SNP serait tout autant gagnant: parti à ce jour le plus europhile du Royaume-Uni, un maintien de Londres dans l’Union serait tout autant profitable pour Nicola Surgeon et ses troupes: dans un cas un pas de plus vers l’indépendance, de l’autre, la garantie de rester dans l’Union.
Résidents européens, jeunes: des réservoirs de voix interdits de scrutin
Troisième cas de figure, toujours dans l’hypothèse de la conclusion d’un accord – même partiel – avec ses homologues européens, susceptible de le pousser à faire campagne pour le maintien de son pays dans l’Union, David Cameron pourrait en toute logique chercher à s’octroyer le soutien électoral des 1,5 million de citoyens communautairesrésidant au Royaume-Uni ainsi que celui des citoyens âgés de 16 à 17 ans. Une goutte d’eau, certes, comparé aux 45,3 millions d’électeurs attendus, mais qui pourrait faire pencher la balance en faveur d’un maintien dans l’Union, en cas de score étriqué, ces deux niches électorales étant considérées comme majoritairement pro-européennes. Mais le 10. Downing Street et le Parti Conservateur se sont déjà refusés à une telle option. Lors du dépôt de l’EU Referendum Bill, en juin, sur l’ensemble des résidents issus des autres pays membres de l’Union européenne, seuls les résidents irlandais, chypriotes et maltais se sont vu proposés, de par leurs liens privilégiés avec le Royaume-Uni, la possibilité de se prononcer sur l’avenir communautaire de leur pays d’accueil. A titre comparatif, les 126.000 Français vivant sur le sol britannique ne devraient quant à eux pas avoir voix au chapitre.
Quant à l’éventualité de permettre aux citoyens britanniques âgés de 16 à 17 ans de se prononcer sur un futur qui est leur, le parti travailliste associé sur cette demande au Scottish National Party, ne peut que déplorer par la voix d’Hilary Benn, que si ces jeunes étaient au yeux de la majorité parlementaire conservatrice «assez âgés pour travailler, payer des impôts, s’engager dans l’armée ou se marier», tout tendait à prouver qu’il ne l’étaient pas «pour prendre part au débat démocratique» de leur pays. Un calcul politique du parti conservateur certes compréhensible en cas de soutien au Brexit, mais qui pourrait priver David Cameron de précieuses voix si celui-ci venait finalement à défendre le maintien dans l’Union… De son côté, si l’EU Referendum Bill n’était pas amendé, le Scottish National Party aurait néanmoins réussi, au travers de ce débat, à marquer sa différence démocratique et son ancrage européen. Et de rappeler que, lors du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, en septembre 2014, celui-ci avait ouvert le scrutin à l’ensemble des résidents communautaires…
Quand le principe de double majorité s’invite dans le débat
Dernier cas de figure, toujours favorable au maintien du Royaume-Uni dans l’Union, David Cameron accède, afin de s’assurer une victoire du oui, à une autre exigence écossaise. La mise en place d’une double majorité telle que demandée en marge des 10èmes Rendez-vous européens de Strasbourg par le député européen SNP Alyn Smithet repris, au cours de ces derniers mois, par Nicola Sturgeon. Concrètement, une telle évolution juridique permettrait de n’entériner un Brexit qu’à la double condition que celui-ci remporte à la fois les suffrages à l’échelle nationale et qu’aucune des composantes territoriales du Royaume-Uni, prises individuellement, ne s’y oppose. En d’autres termes, si les partisans d’un retrait de l’Union venaient à remporter le scrutin, Londres ne pourrait s’y conformer qu’à la seule condition que les électeurs, par exemple recensés sur le territoire écossais, ne se soient pas opposés à un Brexit. Une règle qui vaudrait tant pour l’Ecosse que pour le Pays de Galles, l’Irlande du Nord ou l’Angleterre.
Reste toutefois que si le Premier ministre britannique venait à souhaiter s’engager dans cette voie, il ne pourrait faire en amont l’économie d’un vote à Westminster, autorisant la mise en place d’un tel schéma. Or, pas plus que son propre parti, les Travaillistes ne le suivraient en ce sens, écartant ainsi pour l’heure toute possibilité d’obtenir un soutien en ce sens du Parlement britannique. Dans le camp conservateur, réputé pour fédérer l’une des franges les plus unionistes du pays, une telle demande de son leader serait même très vraisemblablement perçue comme un casus belli interne, un tel projet revenant à créer un précédent juridique susceptible d’affaiblir durablement Londres vis-à-vis d’Edimbourg, de Cardiff ou de Belfast, en les mettant sur un pied d’égalité avec elle. Une revendication qui, pour utopique qu’elle soit, n’en a pas moins réussi à prendre corps dans le débat public national. Une autre victoire, là encore, à mettre au crédit du Scottish National Party, indépendante de l’issue même du scrutin et de ses conséquences directes pour l’Ecosse. Mais une victoire qui souligne, un peu plus encore, qu’à court terme au moins, la voix d’Edimbourg a pris une place nouvelle et centrale dans le débat public national et dans un champ politique historiquement dominé par Londres…
Photo: Nicola Sturgeon, SNP National Conference Aberdeen / TheSNP, sous licence creative commons
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