Alors que l’Etat islamique a fait exploser début octobre l’arc de triomphe de la cité antique de Palmyre, Nicole Fontaine revient à l’occasion des 10èmes Rendez-vous européens de Strasbourg sur la venue, 14 ans plus tôt, du Commandant Massoud au Parlement européen. Une visite et un message qui n’a depuis toujours «pas été entendu». Des Buddhas de Bâmiyân à la cité antique, c’est le constat d’une Europe fantomatique que dresse avec tristesse l’ancienne Présidente du Parlement européen. D’une Europe, au mieux incapable d’apporter la moindre solution à un conflit désormais globalisé et qui puise une partie de ses racines dans les années 1980; au pire, d’une Europe tentée, pour se protéger, de revenir sur ses propres fondements démocratiques.
Année 1980: l’Unesco classe les vestiges de la cité antique de Palmyre patrimoine mondial. Dans le même temps, à 200 km de là, les premiers affrontements opposent Frères musulmans et forces du régime de Hafez el-Assad. Ceux-ci se clôtureront deux ans plus tard, après que le mouvement islamiste ne tente une dernière offensive contre le régime de Damas. Après 27 jours de siège, l’armée régulière reprend alors le contrôle de la ville d’Hama, jonchée de 2.000 à 40.000 corps, selon les estimations de l’époque, et dépossédée de joyaux architecturaux, effacés par les meurtrissures de ces journées de braise.
1980, aussi, l’année où à plus de 2.600 km de là, Abdallah Azzam créé, avec le soutien de la CIA, le Maktab al-Khadamāt (MAK), une organisation dont l’un des rôles consistera à alimenter la résistance afghane contre les forces soviétiques entrées dans le pays en décembre 1979 et de laquelle émergera en 1987 Al Qaida – une organisation qui, deux ans plus tard, prendra, après l’assassinat d’Azzam en 1989, la voie du djihad armé prônant désormais le renversement des dirigeants arabes non issues de mouvances islamistes.
1980, toujours: l’année où Ahmed Chah Massoud regroupe pour sa part 1.000 Moudjahidines, dans la Vallée du Panshir, pour libérer – lui aussi – son pays de l’emprise soviétique avant d’affronter, neuf ans plus tard, dans la conquête de Kaboul, non plus l’Armée rouge mais des milices soutenues jusqu’alors par Langley. Un soutien obtenu de l’administration Reagan, qui voyait en elles des alliés de circonstance, face à la menace communiste.
Puis, vient l’année 1994, où depuis le sud du pays, les Talibans, prennent, avec le soutien du Pakistan, allié des Etats-Unis, Kandahar, en octobre, puis Kaboul, en 1995, Mazar, en 1998. Progressivement, l’Afghanistan se fissure, opposant d’un côté le nouvel Émirat Islamique d’Afghanistan fondé par les Talibans au Front Uni Islamique et National pour le Salut de l’Afghanistan (abha-yi Muttahid-i Islami-yi Milli bara-yi Nijat-i Afghanistan), plus connu sous le nom d’Alliance du Nord, dirigée par Massoud.
Vient ensuite l’année 2001 où, quelques mois avant l’assassinat du Lion du Panshir, le 9 septembre à Khvajeh Baha od Din, et de 2.973 anonymes dans les attentats du World Trade Center, tombent à leur tour les Bouddhas de Bâmiyân: trois statues monumentales, sises à 2500 mètres d’altitude, elles-aussi classées au patrimoine mondial de l’Unesco.
L’alerte de Massoud
Le patrimoine classé de l’Unesco? Presque un marqueur de l’Histoire, sinon celui d’un réveil des démocraties occidentales. «C’est la destruction des Buddhas de Bâmiyân qui avait suscité de ma part l’idée d’inviter Massoud [à Strasbourg], parce que j’avais compris à quel point la folie [des Talibans] était dangereuse et pouvait prendre les proportions que l’on connait aujourd’hui», se remémore quatorze ans après Nicole Fontaine. Alors Présidente du Parlement européen, cette avocate de formation, issue des rangs du PPE, avait pourtant essayé, en accueillant Massoud, d’avertir les Etats membres, malgré leur opposition à l’implication du Parlement dans les affaires extérieures de l’Union. «Peut-être les choses auraient-elle été différentes pour l’Afghanistan et pour l’ensemble du Proche et Moyen-Orient si [le Lion du Panshir] avait été entendu dans les gouvernements occidentaux comme il a pu l’être au Parlement européen», regrette Nicole Fontaine. Car Massoud avait à cette occasion prévenu, «alerté contre les dangers du terrorisme et de la connexion entre Al Qaida et les Talibans», poursuit-elle. «Al Qaida»: c’est de là qu’est historiquement issu Al Qaida en Irak, puis Daech, avant que l’État islamique en Irak et au Levant prenne, en 2013, ses distances avec son organisation mère. Daech, né d’Al-Qaïda en Irak, lui-même né de Maktab al-Khadamāt…
Oui, sans doute, si Massoud avait été entendu… Mais l’histoire ne s’est pas écrite comme l’aurait espéré l’ancienne Présidente du Parlement européen. Tout au plus, la venue du «Lion» aura donné une nouvelle aura politique à l’institution. Un nouvel écho. Mais un écho rapidement tu, faute de de volonté de résonance dans les chancelleries des Etats membres. Un constat triste, presque amer pour Nicole Fontaine. Triste parce que depuis cette première quinzaine de septembre 2001, les seules réponses apportées se seront finalement résumées à un embrasement progressif de la région, jusqu’aux frontières du Liban et à l’édiction, dans les démocraties occidentales, de lois dites «liberticides», du Patriot Act à la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, contre laquelle le Conseil de l’Ordre des avocats de Paris s’est décidé à saisir, vendredi 9 octobre, la Cour européenne des droits de l’Homme.
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Un « paysage absolument dévasté »
«Les solutions ne semblent pas aller dans le bons sens», constate lucidement Nicole Fontaine: soit celles-ci n’apportent pas de solution durable dans les pays en question, soit celles-ci sont susceptibles de remettre en cause nos propres démocraties». Et l’ancienne Présidente du Parlement européen d’ajouter que «ce n’est pas faire preuve de pessimisme» que de dire que cette situation dépeint un «paysage absolument dévasté». Car oui, conclut-elle, «le constat est effectivement très grave, très sérieux. Il devrait interpeller les responsables de l’Union européenne, parce que depuis des années nous appelons de nos vœux une politique extérieure commune» qui ne vient toujours pas malgré le volontarisme désormais affiché par Jean-Claude Juncker et Federica Mogherini.
Des Printemps arabes à la Syrie, c’est une fois encore un silence assourdissant que renvoient les vingt-huit Etats membres, résume en substance Nicole Fontaine. Sur les premiers, l’ancienne élue PPE ne le cache pas: «J’ai vraiment regretté le silence de l’Union». Si l’on prend l’exemple de la politique de coopération vis-à-vis d’Etats comme le Maroc, «celle-ci n’a vraiment pas été à la hauteur des espoirs et des besoins qu’il y avait dans ces pays. On leur a promis et donné quelque chose de plus qu’un partenariat privilégié: on leur a donné un statut avancé, que la Commission a concrétisé dans une convention. Mais celle-ci était tellement assortie de multiples conditions, de délais, de circonvolutions que, concrètement, il n’en est rien sorti», sinon, à force d’inertie européenne associée à des difficultés politiques internes au Maroc, de progresivement favoriser la montée en puissance du Parti de la Justice et du Développement (PJD) auprès des classes moyennes urbaines, comme cela put, d’une certaine façon, être le cas en Turquie, avec l’ascension du Refah et du Fazilet, ancêtres d’AKP.
1980 – 2015: l’histoire se répète
Quant à Palmyre, cette autre atteinte au patrimoine mondial, certes, elle a fait couler beaucoup d’encre. Mais une fois de plus, l’Union, faute de politique européenne commune, n’a su y apporter la moindre réponse, laissant, tout comme en Afghanistan, et malgré quelques incursions aériennes françaises sur le sol syrien, le champ libre à une opposition qui la dépasse : celle, entre Washington et Moscou qui, de 1980 à 2015 et de la menace terroriste interne à la crise des migrants, se referme inlassablement sur elle.
Photo: Service audiovisuel du Parlement européen
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