Sélectionné parmi les trois films finalistes du Prix Lux 2015, Mediterranea du réalisateur franco-américain Jonas Carpignano retrace le parcours autobiographique d’un migrant, parti du Burkina Faso pour rejoindre l’Italie. Celui de Koudous Seihon, acteur principal de ce long métrage, qui, au regard de son expérience, porte un regard désenchanté sur les politiques migratoires européennes, au point d’appeler les candidats au voyage à ne pas mettre leur vie en jeu pour rejoindre les côtes européennes…
En amont de la remise du Prix Lux au Parlement européen de Strasbourg, vous expliquiez que si les choses étaient à refaire, vous ne vous engageriez sans doute pas à nouveau dans l’aventure que vous avez traversée pour rejoindre l’Europe depuis le Burkina. Pourquoi ?
Vous savez, lorsque j’ai choisi de m’engager dans cette aventure et de quitter le Burkina Faso, j’avais, comme beaucoup d’autres, une image idéalisée de l’Europe. Cette image de l’Union, je me l’étais construite, c’est vrai, mais elle représentait ce qu’il y avait de mieux au monde. L’Europe, de l’idée que je m’en étais faite, était le lieu où vous pouviez tout avoir. Mais ce que j’y vois depuis mon arrivée est bien différent. Et si j’avais eu connaissance de cela avant de risquer ma vie pour rejoindre le continent européen, je ne l’aurais pas fait, tant les choses ne sont finalement ici pas si différentes de ce que je vivais là-bas…
La comparaison n’est-elle pas un peu exagérée?
Objectivement, non. La réalité brute est qu’arrivés en Europe, les migrants vivent dans des taudis, n’ont pas de relations avec les gens. Sans compter que vous n’avez même plus vos amis, votre famille pour vous soutenir dans cette épreuve. Très franchement, plus jamais je ne souhaiterais revivre cela.
Quel a été votre parcours, justement?
Mon parcours…? J’ai quitté le Burkina pour l’Algérie. Puis de l’Algérie je suis entré en Libye où j’ai un peu travaillé. De là, comme beaucoup d’autres, j’ai rejoint l’Italie en bateau après qu’un passeur m’a appris deux jours durant comment le manoeuvrer. Parce qu’avant nous, sans doute faute de formation, le pilote, un migrant comme moi, n’avait pu éviter le naufrage de l’embarcation qu’il conduisait et qui contenait près 200 personnes…
Vous, par contre, avez réussi à rejoindre les côtes italiennes…
Oui, mais une autre aventure, loin de celle que j’imaginais, commençait alors… Sept à huit mois dans un camp, dans l’attente de papiers qui ne sont jamais arrivés. Là, vous partez pour plusieurs années de clandestinité, en essayant malgré tout de travailler. Moi, c’était dans le secteur agricole saisonnier, où j’étais payé 25 euros pour 8 heures de travail sur des périodes de temps très réduites. Pour tout vous dire, le premier contrat que j’ai obtenu en Italie fut sur le film Mediterranea. Aujourd’hui, les gens découvrent mon histoire à travers ce film, mais personne ne s’est intéressé avant à ce que j’avais bien pu faire pendant ces huit dernières années… Le fait est que les Italiens ne me connaissent pas, pas plus que les Français.
Et qu’auraient-il dû connaître ou comprendre de vous, des autres migrants?
Ce qu’ils doivent comprendre, apprendre à connaître? Que dans ces conditions, vous quittez votre pays pour vous retrouver à dormir dans des lieux ou des maisons insalubres. Que vous devez poursuivre les démarches avec votre avocat, ce qui a aussi un coût alors que vos ressources financières sont extrêmement limitées. Que nous, migrants, une fois arrivés en Europe, nous sommes bloqués. Nous ne pouvons pas bouger, nous n’avons pas les moyens financiers de vivre une vie normale. Que même si nous y aspirons, nous ne sommes pas intégrés. Vous savez, on n’est pas là pour raconter des bêtises: moi, c’est mon histoire, réelle. Ce que je veux est que les gens comprennent. Qu’ils comprennent qu’on est en train de mourir de faim, qu’on n’a pas de papiers. Et c’est là un gros problème. Lorsque nous venons, nous recherchons l’intégration mais celle-ci ne peut véritablement être recherchée, obtenue, que lorsque l’on vous donne des papiers.
Pourtant, nombreux sont encore ceux qui font le choix de partir pour l’Europe…
Oui, mais parce qu’ils sont aussi nombreux à avoir la même image de l’Europe que celle que j’avais idéalisée. Et si les Européens doivent essayer de comprendre ce que nous vivons, il nous faut le dire aussi aux frères dans nos pays d’origine. Eux aussi doivent comprendre que l’Europe n’est pas ce qu’ils imaginent. Qu’ils comprennent qu’ils seront confrontés ici à des problèmes de papiers, d’accès à l’emploi, à des difficultés pour tisser des liens avec les gens d’ici et à se faire des amis. Après chacun est libre de choisir ce qu’il veut faire ou non, mais il est important qu’ils puissent faire ce choix en connaissance de cause.
Vous parlez de compréhension des Européens envers la situation des migrants, ce qui inclut les responsables politiques européens. Quel regard portez vous justement sur les réformes en cours en ce domaine, ainsi que sur les politiques d’aide au développement soutenues par l’Union européenne et qui ont notamment pour objectif d’aider économiquement les pays les plus fragiles économiquement…
Je ne peux pas vous parler de ce que je ne connais pas. La politique n’est pas quelque chose que je maîtrise. Mais la question que je pose tient en deux phrases: les politiques européens comprennent-ils vraiment le problème des migrants? Ceux qui devraient aider les immigrés, comprennent-ils vraiment leurs difficultés, leur réalité humaine? Tout le problème est là: s’ils ne comprennent pas, ils ne pourront pas nous aider. Qu’ils aillent à Rosarno, dans la province de Reggio de Calabre, ou à Foggia, dans les Pouilles: peut-être alors qu’ils comprendront… Moi, pour l’instant, ce que j’en vois est que chaque jour des migrants continuent à mourir…
N’y a-t-il finalement pas un risque qu’à force de mettre à la marge des personnes cherchant à s’intégrer, voire à les ignorer politiquement, on en vienne à les éloigner de tout désir d’intégration avec les conséquences sociales que cela peut générer?
Je vous l’ai dit. Je ne fais pas de politique. Mais disons qu’au rythme où l’on va, la situation risque de devenir très compliquée. Tant pour nous, migrants, que pour les Européens. Rosarno, Foggia, je vous l’ai dit: si vous voulez vraiment comprendre, c’est là qu’il vous faut aller voir…
Photo: Service audiovisuel du Parlement européen
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