«Historique», «inespéré», «véritable succès»: les qualificatifs ne manquent pas depuis le samedi 12 décembre au soir pour souligner l’enthousiasme suscité par la conclusion, à l’unanimité, de l’Accord de Paris, qui fixe notamment le seuil du réchauffement planétaire à 2°C, voire, idéalement, à 1,5°C. Mais qu’en est-il vraiment? Vu du Parlement européen, si les principaux groupes politiques soulignent les avancées du texte, ceux-ci préviennent néanmoins que, dans la pratique, tout ou presque reste encore à faire pour éviter les lendemains qui déchantent…
Un salle en liesse, des gens se lèvent, des mains qui se joignent, applaudissent dans une unité rare, des visages éclairés, subjugués, presque, de ce qui vient de se produire… Du statut d’une chronique d’un échec annoncé, la COP21 de Paris est en quelques heures passée à celui de «Grand soir», lorque que Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères déclarait samedi 12 décembre, depuis une salle comble du Bourget: « Je regarde la salle, je vois que la réaction est positive, je n’entends pas d’objections, l’Accord de Paris est accepté!». Grisée d’avoir su déjouer tous les pronostics, la délégation française ne cache pas sa joie. Jusqu’à François Hollande qui tient là peut-être la première grande victoire politique de son mandat: «A Paris il y a eu bien des révolutions depuis des siècles, mais aujourd’hui c’est la plus belle et la plus pacifique des révolutions qui vient d’être accomplie, la révolution pour le changement climatique», s’enthousiasme-t-il. Et le président de la République française de clôturer son intervention par un «vivent les Nations unies, vive la planète et vive la France».
Des avancées encourageantes
Les satisfecit sont en effet légion. Jean-Claude Juncker lui-même, le président de la Commission européenne ne cache pas son émotion: «Aujourd’hui, le monde est uni dans la lutte contre le changement climatique. Aujourd’hui, le monde s’offre une dernière chance d’offrir aux générations futures un monde plus stable, une planète en meilleure santé, un monde plus juste et une économie plus prospère. Cet accord robuste entraînera le monde vers une transition énergétique propre et globale», annonce-t-il. Et ne manquant pas de rappeler l’importance jouée par l’Union européenne dans la conclusion de cet accord visant à limiter le réchauffement climatique en deça de 2°C, celui-ci de remercier chaleureusement ses services et plus particulièrement le négociateur en chef de l’Union et Commissaire à l’Environnement Miguel Arias Cañete. Un autre petit miracle, presque, tant celui-ci avait été décrié lors de son audition parlementaire d’investiture en juillet 2014. Cañete, l’anti-écolo, l’homme des lobbies énergétiques, ferait aujourd’hui presque figure de héros, lorsqu’il déclare que «nous – Union européenne – avons forgé des alliances et que les autres Etats nous ont rejoints». Et désormais de promettre, dans l’euphorie générale, que «l’Europe continuera à conduire la transition sur laquelle nous nous sommes accordés».
«Continuer»: passées les scènes de liesse, est en effet ce qu’il sera néanmoins essentiel de faire. Car ce texte adopté hier à Paris, que tout le monde ou presque qualifie d’«historique», jusqu’au climatologue Jean Jouzel, ne le deviendra véritablement qu’à la condition que celui-ci soit effectivement «mis en oeuvre», nuance l’ancien vice-président du GIEC. Certes, relève l’élu Gilles Pargneaux, au nom de la délégation socialiste française au Parlement européen, «grâce aux efforts de l’Union européenne, de la France et des pays les plus vulnérables, il a été possible d’atteindre un objectif de limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C», ce qui, «il y a encore quelques mois, paraissait irréalisable». Certes, «un plancher de 100 milliards de dollars disponibles chaque année à partir de 2020 pour lutter contre le changement climatique a été sanctuarisé». Un fonds, sécifiquement versé aux pays en développement afin de les aider à faire face aux conséquences du dérèglement climatique.
Place, maintenant aux «mesures concrètes»
Certes, aussi, «un mécanisme de révision des engagements quinquennal a (également) été défini avec l’accord de Paris», ce qui, poursuit-il, est «un pas en avant majeur pour ne pas laisser retomber la pression dans les années à venir et pour nous donner les moyens de parvenir à respecter l’engagement des 1,5°C». Certes, enfin, relève à son tour le groupe des Verts/ALE, cet accord pourrait marquer le «début d’un nouveau régime international de coopération sur la protection climatique et marquer un coup d’accélérateur dans la décarbonisation des économies», voire signifier «la sortie des énergies fossiles d’ici 2050». Mais, comme le souligne, avec nuance la députée européenne PPE française Françoise Grossetête «le travail ne s’arrête pas là: cet accord doit encore être suivi de mesures concrètes».
Yannick Jadot, porte-parole Verts-ALE pour le climat et membre de la délégation officielle du parlement européen aux négociations de la COP21, ne s’y trompe d’ailleurs pas, lui, qui le 18 mars dernier, déplorait qu’alors qu’en «2008, avec l’adoption de son paquet énergie climat 2020, l’Europe s’engageait dans une véritable transition énergétique fondée sur l’efficacité énergétique et les renouvelables et appuyée par des directives et une gouvernance européenne», le paquet 2030 marquait, malgré ce premier engagement, « un retour des nationalismes énergétiques et de la confusion », en « instrumentalisant la sécurité énergétique pour réintroduire les gaz de schiste», et en ne parlant «plus de renouvelables mais de ‘bas carbone’ pour réintroduire le nucléaire».
Un besoin de «renforcer fortement la dimension contraignante» de l’Accord
Beaucoup reste donc à faire pour ne pas à nouveau décevoir et pour que le «Grand soir» ne se transforme pas en lendemains qui déchantent. Comment? A l’échelle de l’Union, tout d’abord, en corrigeant «les dysfonctionnements du système européen d’échange de quotas d’émissions» en faisant notamment en sorte que le Parlement européen s’assure que «le surplus des ‘droits à polluer’ accumulés jusqu’en 2020 ne soit pas reporté pour la période post-2020 de l’ETS, jusqu’en 2030», plaide déjà le député européen néerlandais Bas Eickhout, membre du groupe Verts-ALE de la Commission de l’environnement: un point «crucial au vu des engagements pris avec l’Accord de Paris», enfonce-t-il. Et puis, au delà de la seule enciente parlementaire, s’assurer que «les cycles de révision des engagements nationaux, soient véritablement l’occasion pour la société civile, les collectivités territoriales et les entreprises responsables de faire pression sur les États afin de revoir significativement à la hausse leurs politiques climatiques et donc de renforcer fortement la dimension contraignante de ce nouveau régime de Paris». Parce qu’un accord, si médiatiquement historique soit-il «vendu», ne pourra produire de véritables effets que s’il est suivi d’actes politiques concrets.
Un dernier point également partagé par le groupe ALDE qui, par la voix de l’élu néerlandais Gerben-Jan Gerbrandy, membre de la délégation du Parlement européen à la COP21 conclut: «Si, aujourd’hui, nous devons en effet saluer ce texte historique, le véritable travail commence demain. Les individus, les gouvernements et les entreprises doivent maintenant commencer à le mettre en œuvre. Et, pour y parvenir, seules la mise en œuvre de politiques nationales et la définition de nouvelles priorités en matière d’investissements pourront donner corps à l’Accord de Paris». Ceci, d’autant plus que son article 28 prévoit déjà qu’ «à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de (son) entrée en vigueur à l’égard d’une Partie, cette Partie peut, à tout moment, le dénoncer par (simple) notification écrite »…
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Photo: COP21 sous licence domaine public
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