10% du PIB de l’économie européenne, 11 millions de travailleurs, 4,5% de la population active de l’Union: véritable «spécificité européenne», l’entrepreneuriat social, s’il était davantage soutenu par les institutions communautaires, pourrait-il permettre au Vieux Continent de sortir durablement de la crise? Oui, analyse la députée européenne S&D Evelyn Regner, pour peu que les Etats membres s’accordent en ce sens.
Développer l’entrepreneuriat social peut-il être moteur de la lutte contre le chômage et, au-delà, facteur de développement économique pour de nouveaux secteurs d’activités? Invitée du cycle 2015 des Petits déjeuners européens de l’ENA consacrés à l’Europe sociale, Evelyn Regner (S&D) n’en fait pas mystère: «Oui, lutter contre le chômage passe notamment par le développement de politiques publiques en la matière», tant celles-ci peuvent apporter un nouveau souffle économique par leur spécificité à défendre des valeurs telles que la primauté de la personne et des buts sociaux sur les intérêts du capital, la combinaison des intérêts du personnel et des usagers et de l’intérêt général, ou encore la défense et l’application des principes de solidarité et de responsabilité.
Divergences sur la question des SIG
Seul bémol, nuance la députée européenne: «Si l’on peut, avec le Marché intérieur européen, et dans la continuité de l’action politique menée par Michel Barnier, plus ou moins intégrer petit à petit les questions sociales à l’échelle communautaire, la sécurité sociale, l’Assurance maladie ou encore la question des retraites relèvent des compétences nationales». Or, si l’on ajoute à ceci la peine qu’ont les Etats membres à s’entendre sur une définition commune de ce qui relève des services d’intérêt général (SIG), plus communément désignés en France sous l’appellation «service public», l’impulsion européenne relèverait à peu de choses près bien plus de l’utopie que du réalisable. Ceci, quand bien même l’Espagne, la France, le Portugal et la Belgique disposeraient déjà de réglementations nationales promouvant l’entrepreneuriat social et solidaire, et que la Pologne et la Roumanie en prennent progressivement la voie. Car si des initiatives semblent politiquement viables à l’échelle de quelques Etats membres, les divergences sur la question des SIG restent manifestes.
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Un modèle économique plus durable
Pour complexe que soit la situation, celle-ci n’en est toutefois pas sans solution. Les institutions communautaires, si elles venaient à adosser ces objectifs à leurs quelques champs d’influence et de compétence en matière sociale, pourraient en effet insuffler une politique des petits pas. Rappelée en juillet 2015 dans une résolution parlementaireportée par la députée européenne PPE Verónica Lope Fontagné cette perspective, commence d’ailleurs à faire son chemin dans les couloirs du Parlement européen. «L’Union est encore loin d’avoir atteint les objectifs fixés dans la stratégie Europe 2020, notamment ceux qui portent sur l’emploi, l’innovation et la réduction de la pauvreté et de l’exclusion sociale», précisait ainsi le texte adopté en plénière le 10 septembre dernier. Or, «l’économie sociale et solidaire contribue non seulement à proposer un modèle économique plus durable, intelligent et inclusif, mais aussi à établir le modèle social européen, et fait partie du Marché unique, méritant à ce titre d’être fermement reconnue et soutenue par l’Union et les États membres». Mieux, poursuit le rapport, «l’économie sociale et solidaire, étant précisément sociale et facteur d’intégration, celle-ci offre des emplois aux catégories de personnes les plus souvent exclues du marché libre du travail, contribuant ainsi à la solidarité et à la cohésion sociale ainsi qu’à la croissance économique». Avec en filigrane, cette conclusion d’Evelyn Regner: «Plus vous disposerez des moyens de faciliter le retour à l’emploi des personnes, plus les économies nationales en tireront avantage».
Un risque de la bulle économique
Encore, faut-il pour cela, que la création d’entreprises sociales soit véritablement encouragée. Or, là réside un deuxième écueil non négligeable: l’accès au financement, bien plus difficile à décrocher dans le cas d’une entreprise sociale et solidaire que dans celui d’entreprises traditionnelles. Certes, celle-ci est-elle éligible à l’octroi de fonds issus du programme EaSI, du Fond social européen ainsi qu’à tous les autres programmes européens appropriés dans l’amélioration du fonctionnement de son activité spécifique. Mais ces facilités financières, non seulement restent encore méconnues de nombreux entrepreneurs, mais ne suffisent généralement pas à assurer un développement durable des entreprises sociales. Pistes dès lors suggérées par la résolution parlementaire: l’amélioration de l’accès «au financement par différents modes, comme les fonds européens, les fonds de capital-risque, le microcrédit et le micro-financement participatif (« crowdfunding« )», mais également l’introduction, dans les marchés publics, de critères sociaux et environnementaux facilitant «la participation des entreprises de l’économie sociale et solidaire aux procédures d’adjudication des contrats publics». Autant d’orientations qu’Evelyn Regner juge pour sa part «gagnant-gagnant», celles-ci étant, par ricochet, susceptibles d’encourager également les entreprises traditionnelles à intégrer davantage de valeurs sociales dans leurs stratégies de développement pour accéder aux marchés publics. Et de ce fait, de valoriser à plus large échelle encore une certaine idée du modèle social européen, dans les faits avant même de le définir en tant que tel et de manière contraignante dans les textes.
Quant au risque de créer une bulle économique portée par une orientation des aides publiques vers ce secteur, la députée européenne S&D se veut là aussi pragmatique: «Certes, le risque existe, mais autant vous le dire franchement: dans le contexte actuel, je suis plutôt favorable à créer une bulle sociale plutôt qu’une autre, comme celles que nous avons connues par le passé autour des banques ou d’Internet»…
Photo: Service audiovisuel du Parlement européen
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