Depuis l’accord de Paris, conclu à la COP 21, et la COP 22 qui a suivi, de nombreux engagements ont été pris en matière climatique par les décideurs de tous niveaux. Les Etats, les villes, les territoires, les entreprises et la société civile pourraient bien accélérer le processus décisionnel en s’affirmant comme les nouveaux moteurs des réformes environnementales co-élaborées avec les acteurs publics et privés de terrain et orientées vers les politiques de mobilité. Catherine Trautmann, ancienne députée européenne, vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg et coordonnatrice du corridor mer du Nord – mer Baltique et Anne-Marie Jean, déléguée territoriale Alsace du groupe La Poste, ont décrypté cette perspective à l’occasion des Europ’After Hours du 17 janvier 2017 à l’ENA.
L’accord de Paris avait fixé le cap et établi la voie destinée à faire avancer l’action climatique mondiale. Lors de la COP 22 les gouvernements, les entreprises, les investisseurs et les villes ont rédigé la Proclamation d’Action de Marrakech et se sont ainsi engagés à suivre un calendrier de mise en œuvre de décisions concrètes en matière de changement climatique. Sur le plan financier, les gouvernements des pays développés ont notamment réitéré leur volonté de respecter l’engagement – de Copenhague en 2009 – des 100 milliards de dollars d’ici 2020 pour faire face aux impacts du changement climatique. Un deuxième axe majeur de la COP 22 portait sur le développement des évaluations multilatérales et des initiatives de renforcement des capacités pour la transparence. Vingt-quatre pays ont soumis leurs avancées vis-à-vis de leur plans d’actions climat (appelés « contributions » déterminées au niveau national) à un système de contrôle et de vérification. Par ailleurs le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), un organisme de financement multilatéral, a annoncé un renforcement financier des capacités pour la transparence des actions menées en matière de climat à hauteur de 50 millions de dollars.
Les villes européennes n’avaient pas attendu ce rassemblement mondial pour s’engager dans la mise en œuvre des objectifs européens en termes de climat et d’énergie sur leur territoire, et dès le 15 octobre 2015 sous l’impulsion de la Commission européenne, des milliers d’autorités locales et régionales se sont rassemblées au Parlement européen pour signer la «nouvelle convention des maires». Les intentions des signataires sont très claires, il s’agit de réduire les émissions de CO² de 40% au minimum d’ici 2030 et «de renforcer leur capacité à s’adapter aux effets inévitables du changement climatique et permettre à leurs citoyens d’accéder à une énergie sûre, durable et abordable». Cette implication grandissante et directe des villes et territoires dans la lutte contre le dérèglement climatique marque une avancée méthodologique dans l’élaboration des politiques publiques en Europe. Alors que fut longtemps privilégiée une option « top down » où les territoires calquaient leurs orientations sur celles des Etats, une tendance nouvelle émerge, fondée sur la co-élaboration des réformes entre acteurs publics et privés locaux. Au cœur du processus, figure leur volonté d’attrait économique en insistant sur les interconnexions en matière de numérique et de transports « durables ».
Démontrer qu’il est possible d’être à la fois local et global
Pionnière en France dans le domaine des transports publics garants de la préservation de l’environnement, la Ville de Strasbourg s’est engagée dans ce processus dès 1994, au travers d’un plan communal initiateur du premier réseau de tramway hexagonal. Catherine Trautmann, alors maire de la ville, était à l’origine de ce projet. Aujourd’huivice-présidente de l’Eurométrople en charge de son développement économique, elle continue de le renforcer, en appuyant la connexion du tramway à la ville allemande de Kehl. Car si, comme le concède l’ancienne ministre et députée européenne, Strasbourg est une ville de taille moyenne à l’échelle continentale, sa situation géographique couplée à l’implantation des institutions européennes et au regroupement de quatre corridors de transports prioritaires européens lui donne une dimension toute particulière ; celle « d’être toujours précurseur et capable d’utiliser ses habitants et ses entreprises pour arriver à démontrer qu’il est possible d’être à la fois local et global ». Il s’agit aussi d’être capable de montrer l’exemple et de s’affirmer comme « ville interconnectée, en lien avec le monde et ambitieuse sur la démonstration énergétique et des mobilités », en associant le secteur privé aux collectivités à cette ambition.
Les politiques de développement durable: une nouvelle forme moderne du service public local?
Exemple remarqué de cette évolution : les politiques mises en place par le groupe La Poste qui multiplie tout particulièrement, par exemple à Strasbourg, les initiatives propres : la formation à l’éco-conduite, l’évolution du parc de véhicules vers du 100% électrique, la construction de bâtiments éco-responsables. La Poste apporte également son expertise à des entreprises de taille réduite, relève Anne-Marie Jean, déléguée territoriale Alsace du groupe. Mieux, analyse-t-elle, le groupe entend impulser de nouveaux modèles d’entreprise, sensibles à la problématique climatique et environnementale, tels qu’encouragés par la collectivité strasbourgeoise et les conclusions de la COP22 de Marrakech. Et de relever que, par leur capacité à répondre aux défis du XXIème siècle, « les politiques de développement durable sont finalement peut-être aujourd’hui en passe de s’imposer comme la forme moderne du service public local », dans une optique de construction entre secteurs public et privé.
Élaborer avec les acteurs de terrain est «primordial»
A l’échelle continentale, Catherine Trautmann, considère que l’Union européenne est sur la bonne voie et que « nous sommes dans une période dans laquelle l’interaction entre les collectivités et la Commission européenne fonctionne très bien ». Pour illustrer son propos, cette dernière prend l’exemple de la mise en place audacieuse des « issue papers » par les coordinateurs des corridors européens. Ces papiers stratégiques ont pour objectif d’ « inspirer les nouveaux axes de la politique européenne future » et d’impulser une nouvelle approche dans le secteur des transports, en prenant en compte le fait urbain et les technologies numériques. Ces documents sont préparés selon une méthode collaborative, qui a vocation à répondre aux attentes de l’ensemble des acteurs concernés, puisque ces derniers sont invités à participer à leur élaboration. « Cette méthode est primordiale », insiste Catherine Trautmann, directement concernée par cette évolution en tant que coordonnatrice du corridor mer du Nord – mer Baltique, car la politique des transports dans l’Union européenne est avant tout « un enjeu de cohabitation des flux » où chacun doit pouvoir trouver son intérêt et être mis en réseau. .
L’interconnexion: un enjeu également géostratégique
L’Union européenne, après avoir initialement pensé sa politique de transports en termes d’infrastructures, puis de réseaux (mise en place des neufs corridors paneuropéens en 1994 et d’un Réseau transeuropéen de transport dès 1996), affiche un intérêt grandissant pour la construction des politiques publiques avec les acteurs de terrain. Cependant, selon Catherine Trautmann, l’Union européenne a jusqu’ici délaissé la question de l’harmonisation des règles administratives entre les Etats membres. Or, la conséquence principale d’un tel manque est notamment celle d’un blocage potentiel du développement de certaine interconnexions en Europe, indépendante de la volonté des villes et collectivités territoriales. Par exemple, certaines mobilités ferroviaires tardent encore à émerger du simple fait de différences d’écartement de rails : tandis que celui-ci est généralement identique en Europe, les Pays-Baltes, la Finlande et l’Ukraine fonctionnent encore sur les calibrages russes, différents des normes communautaires. Pour Catherine Trautmann, « ici c’est un débat géostratégique qui va au-delà de la simple mobilité », et la question des frontières ne peut pas être seulement envisagée comme un enjeu économique et social ; la Russie affiche une opposition ferme à toute harmonisation de ses rails avec pour objectif pressenti de « conserver une emprise (politique et économique) sur ses proches voisins, voire d’y (re)prendre pied », s’inquiète Catherine Trautmann. D’autre part, la Russie tente de réduire la capacité de ses Etats à se tourner pleinement vers l’Ouest en les incitant à choisir entre un partenaire oriental avec lequel ceux-ci sont déjà interconnectés et une restructuration coûteuse de leur réseau ferroviaire au profit de l’Union, au risque de couper leurs entreprises de fret sur rail du marché russe ou de pouvoir encore se positionner comme «hubs» européens vers la Fédération de Russie. L’Union européenne doit donc faire un choix épineux dans le domaine du transport et elle pourrait ne pas avoir d’autre alternative que de l’aborder de front si celle-ci entend effectivement permettre à l’ensemble de ses territoires de développer un maillage efficient d’interconnexions intra-européennes fondé sur la nécessité d’une dynamisation économique et environnementale. Parce qu’au regard des mutations technologiques en cours, conclut Catherine Trautmann, sur un territoire «sans bonnes réponses en matière de transports, de transitions écologiques et de transition numérique, une entreprise n’aura nulle perspective de croissance et de gains de productivité».
Photo: Service audiovisuel de la Commission européenne
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