Dépakine, Médiator, glyphosate, perturbateurs endocriniens : l’Union serait-elle malade de ses dysfonctionnements sanitaires ? Entre absence de transparence sanitaire et faiblesse des ambitions en matière de santé publique européenne, Michèle Rivasi, députée européenne appelle à un traitement de choc du patient Europe.
L’accessibilité des médicaments dans l’Union européenne est une cause d’intérêt public, pour Michèle Rivasi, Vice-Présidente du groupe des Verts au Parlement européen et membre de la commission de l’Environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, invitée des Europ’After Hours de l’ENA le 15 mars 2017 et auteure du livre « Le racket des laboratoires pharmaceutiques » (2015). Une cause mais pas forcément une réalité, relève-t-elle, s’appuyant sur l’exemple du Sovaldi, un médicament produit par le laboratoire américain Gilead visant à guérir en trois mois de l’Hépatite C et dont le coût, déjà prohibitif, reste sujet à de fortes variations d’un pays à l’autre de l’Union : 41.000 euros en France contre 45.000 au Royaume-Uni et 49.000 en Allemagne. Aux autres extrêmes, le traitement coûtera 67.000 à un Américain contre 705 à un Brésilien et 720 à un Egyptien, suite à la passation en septembre 2016 d’un accord entre la firme américaine et 91 pays en développement les autorisant à utiliser une version générique de son traitement. Au cœur de la stratégie budgétaire de Sovaldi figure selon la députée européenne, un souci de ne pas écorner son image médiatique dans ces pays mais aussi de préserver une certaine rentabilité financière au sein des zones géographique à fort PIB.
Conditionnement des aides issues de la branche santé du programme «Horizon 2020»
L’Union serait-elle alors impuissante à obtenir de façon harmonisée les mêmes concessions des firmes pharmaceutiques que pour des pays moins avancés économiquement ? De ce point de vue, l’Agence européenne du médicament, créée en 1995 par l’Union européenne a un rôle d’expertise et de régulation qui lui donne compétence pour autoriser la mise sur le marché de médicaments, mais elle reste contrainte en matière de fixation des prix. Cette faculté dépend en effet encore des Etats membres. En France, cette capacité incombe au Comité économique des produits de santé. Récemment, la députée européenne espagnole, Soledad Cabezon Ruiz, dénonçait dans son rapport sur les options de l’Union européenne pour améliorer l’accès aux médicaments, un manque d’accessibilité en Europe des médicaments développés par la recherche et le développement du fait de prix trop élevés. Elle y soulignait aussi leur absence d’harmonisation entre Etats membres. Au titre des recommandations de la rapporteure figurait l’exigence d’une plus grande transparence quant aux coûts de R&D et quant aux mécanismes de fixation des prix des traitements. L’idée portée dans le rapport était que dès lors que des financements communautaires contribuaient à l’élaboration de médicaments (sachant que ces financements représentent un peu près 2 milliards d’euros sur la période 2014 et 2017), un système de contrepartie tarifaire à destination des patients devait être instauré. Plus précisément, les aides issues de la branche santé du programme européen dit « Horizon 2020 » devraient être conditionnées à l’instauration d’un prix accessible à tous les Etats membres.
L’innovation dans le secteur du médicament
«Le brevet – qui octroie à son détenteur un monopole de 20 ans sur la vente d’un médicament – tue l’innovation dans le temps», insiste Michèle Rivasi, ajoutant qu’ «un médicament sur dix mis sur le marché depuis les années 1990 ne serait plus innovant». Autre cheval de bataille de la députée européenne, les outils communautaires rattachés à la politique d’innovation et notamment les dispositifs du Règlement UE n° 536/2014 qui, selon Michèle Rivasi, « visent à diminuer le nombre d’études cliniques ou à accélérer leur conduite et à transformer progressivement les patients en cobayes humains ».
L’absence de transparence de l’EFSA pointée du doigt
Distorsions de prix, poids des brevets, manque de transparence : les exemples ne manquent pas en termes de dysfonctionnement des politiques de santé publique, souligne Michèle Rivasi. De manière générale, « si vous ne deviez retenir qu’une seule chose, soyez sensible aux conflits d’intérêts », pointe-t-elle, illustrant son propos par l’affaire du glyphosate, cette substance active du Round Up produite par l’entreprise américaine Monsanto. Dans ce cas précis, l’Agence européenne du médicament a autorisé le glyphosate pour une durée de 7 ans au lieu des quinze précédemment évoqués lors des précédentes conclusions de l’Agence européenne du Médicament (AME). Le Centre international de la recherche (CIRC), une branche de l’Organisation Mondiale de la Santé, a quant à lui émis un avis défavorable à la mise sur le marché sur cette substance, la déclarant «très probablement cancérigène». Cette préconisation aurait théoriquement dû être confortée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Pourtant, celle-ci se positionna en sens contraire, jugeant qu’un tel risque sanitaire était «improbable», tout en refusant de publier les études scientifiques l’ayant menée à une telle conclusion, avance Michèle Rivasi. Raison invoquée pour justifier son positionnement : le secret des affaires et le fait « que les conditions de l’article 8 du Règlement 45/2001 sur la protection des données personnelles ne (seraient) pas remplies », rendant de fait toute communication du nom de ses experts impossible. Seul moyen, dès lors, pour les écologistes de prouver la dangerosité du glyphosate et sa transmission dans l’organisme : se soumettre eux-mêmes à des tests de santé contrecarrant la version officielle de l’EFSA. En mai 2016, les résultats de ces tests, effectués par le Biocheck Laboratorium de Leipzig sur une cinquantaine de députés européens volontaires indiquaient que du glyphosate avait été détecté dans l’urine de l’ensemble des participants, et ce « dans des proportions élevées », relevait alors le député européen socialiste belge Marc Tarabella.
Avancées timorées en matière d’interdiction du mercure en Europe
Autre dossier délicat, celui du mercure, considéré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme particulièrement toxique pour l’organisme, relayé dans ses conclusions par les Nations Unies et plus particulièrement par la convention de Minamata invitant à réduire son utilisation afin d’en limiter ses effets néfastes pour l’organisme. Nécessaire à la transposition des obligations contenues dans ce texte, un règlement communautaire a été adopté conformément à l’article 218 TFUE. Or, cette transposition fut loin d’être évidente en raison de la position de certains Etats membres, rapporte encore Michèle Rivasi. À ce jour l’Union européenne utilise ainsi encore 200 tonnes de mercure par an, dont une majeure partie pour l’épuration du chlore, de la soude et la confection d’amalgames dentaires, notamment en Slovaquie et en Allemagne. De longues négociations ont été nécessaires pour rapprocher les positions de ces deux pays avec leurs homologues et trouver un compromis qui devrait entrer en vigueur au 1er janvier prochain, sur l’interdiction des amalgames dentaires pour les seuls enfants de moins de 15 ans et les femmes enceintes ou allaitantes. Il s’agit bien d’une avancée en matière de santé publique. Mais, comme le soulignèrent alors Stefan Eck, rapporteur allemand de ce texte (GUE), et Michèle Rivasi, rapporteure fictive, le résultat est décevant par son « manque d’ambition générale » en raison d’intérêts principalement économiques notamment défendus par Berlin et Bratislava.
Les perturbateurs endocriniens toujours en attente de définition juridique
Enfin, au cœur de l’actualité sanitaire européenne, les perturbateurs endocriniens font eux aussi l’objet de nombreux débats. Ces substances chimiques que l’on trouve dans les herbicides, les pesticides, mais dans les aliments du quotidien, ont des effets néfastes sur le système hormonal et en particulier sur les fonctions reproductrices. Or, bien qu’attendue depuis 2014, période à laquelle la Cour de Justice de l’Union accueillit favorablement un recours en carence attenté par la Suède contre la Commission, aucun cadre juridique visant à identifier ces perturbateurs n’a pu être arrêté par le Berlaymont, déplore encore Michèle Rivasi. Certes, la Commission européenne a proposé plusieurs définitions des perturbateurs endocriniens, mais toutes ont successivement été refusées par les Etats membres. Lala dernière tentative en date du 28 février 2017, considérée par les Vingt-Huit comme ni ambitieuse, ni adaptée aux modes d’action de ces substances. Ceci alors même qu’un nombre croissant d’études et de positionnements politiques dénoncent l’interaction des perturbateurs endocriniens sur notre métabolisme.
Ce sont là autant de dossiers qui laissent dire à Michèle Rivasi que « le combat sera encore long ». Une première urgence consisterait sans doute à s’accorder sur l’adoption d’outils d’expertise indépendants à l’échelle communautaire pour gagner en transparence et progressivement de s’accorder sur une harmonisation des systèmes de santé publique en Europe : gage, selon la députée européenne, d’une meilleure protection sanitaire des citoyens européens.
À propos de l’auteur : Clara Grubain est diplômée en droit de l’Union européenne à l’Université de Strasbourg
Crédits photo: Global Justice Now sous creative commons
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