Hop'Eur'hop: l'autre Europe des petits pas
Hop‘Eur’hop est une chorégraphie de Karine Saporta sur une musique de Béatrice Thiriet, élaborée dans le contexte des élections européennes. Ce projet, en partenariat avec la MESA, se manifeste sous forme de flashmobs dans différentes villes en Europe.
Depuis le 12 avril, des citoyens européens, anonymes pour la plupart, se joignent à des flasmobs initiées par trois femmes, pour afficher leur attachement à l’Europe et en rappeler les valeurs. Loin des petites phrases de campagne, une façon, artistique cette fois, de faire entendre d’autres voix que celles des corps représentatifs. Plus universels, sans attaches partisanes. Juste citoyennes et humaines.
Ballons jaunes, t-shirts bleus, sourires, rires, envies. Des bras, des jambes, des mains qui se tendent et se détendent, sur un rythme court, saccadé, puis lancinant. Des baisers envoyés de la main, qui s’envolent, se rattrapent et se renvoient dans un même souffle ; des têtes qui tournent, des corps qui se rejoignent le temps d’une étreinte, des mains qui se joignent, des pouces qui se croisent et se transforment en colombes. Un mois, déjà, que depuis Strasbourg, Kehl et Bruxelles, des gens se fondent dans une même chorégraphie européenne, loin des stratégies de communication et oppositions stériles. Tout au long de ces flashmobs regroupés sous la dénomination Hop’Eur’Hop, nul discours, nulle liturgie politique, nuls outils marketing mais un simple geste artistique, presque philosophique qui tend à rappeler, qu’au-delà des divisions exacerbés sur les plateaux télévisés ou sur le Net, l’Europe est avant tout une histoire de rencontres et d’échanges, humains.
Dîner parisien
Imaginée par la chorégraphe Karine Saporta sur une musique de Béatrice Thiriet, l’idée de ce flashmob décliné à travers l’Europe nait au cours d’un dîner parisien sur le thème des femmes et du cinéma en Europe. Auteure de la musique de Petits arrangements avec les morts en 1993, de L’Âge des possibles en 1994, de Lady Chatterley ou encore de Bird People en 2014, un film pour lequel elle est nommée aux César dans la catégorie Meilleure Musique Originale, Béatrice Thiriet jouait alors au piano. Autour de la table, Natacha Ficarelli, nouvelle présidente de la Maison de l’Europe Strasbourg Alsace (MESA), écoute, savoure l’instant. Engage la conversation avec Karine Saporta, figure emblématique de la danse contemporaine, à l’initiative de la création de l’Association des Centres chorégraphiques Nationaux dont elle a assuré la présidence, ancienne directrice du Centre Chorégraphique National de Caen Basse-Normandie, et habituée des hauts lieux de la danse, parmi lesquels le Théâtre National de Chaillot, les opéras de Paris, de Lyon, du Caire ou encore le Théâtre Mariinsky de Saint Petersbourg.
Traverser les frontières
Le piano refermé sur les dernières notes de Béatrice, les trois femmes prolongent l’échange. Karine se confie à ses deux voisines de table. Evoque un vieux projet inassouvi, né dix ans en arrière sur les marches de la Bibliothèque Nationale de France: penser une danse qui relierait les gens, La Parisienne. «C’était là les prémisses du raisonnement», avant que ne «me vienne l’idée d’en élargir le concept» et de songer à créer La Francilienne». Un petit saut de puce géographique qui séduit Béatrice et Natacha qui, à mesure que la soirée tire vers sa fin, en viennent à se laisser séduire par un changement d’échelle. «Ma première motivation, en imaginant une danse européenne, a été celle de transmettre à un très grand nombre une chorégraphie libre de droits, que tout un chacun pourrait reproduire, voire faire évoluer», développe Karine. « Une danse reprise partout via Internet. Mais avec une identité spécifique: celle d’une Europe non plus seulement virtuelle mais physique, porteuse de sens. Tout de suite, tout le monde a été très enthousiaste!».
Le projet débattu consistait alors à encourager les Européens «à danser ensemble, à se toucher», poursuit Béatrice Thiriet. C’est là une idée très simple et qui va à l’encontre des reproches liés à l’absence de lien entre le Parlement et les citoyens». Loin, aussi, d’un ressenti technocratique qui fait que «l’on ne se sent pas concerné », et que s’installe la distance entre institutions communautaires et populations. Et puis, «Hop est un mot que l’on peut dire dans toutes les langues. On peut traverser une frontière en dansant. D ‘une certaine manière, cela fait écho à un petit événement joyeux, très en contradiction avec les tensions, les crises, les fractures, les problèmes éthiques vis-à-vis des migrants et des courants de pensée assez moroses ainsi que des idées réactionnaires, nationalistes et populistes» ou celle «que l’on serait plus fort si l’on était hors de l’Europe». Le calendrier politique n’était pas inintéressant non plus, relève Natacha Ficarelli: « Nous étions en amont de la campagne des Européennes. Parmi les idées fortes que je défendais au sein de la MESA, il y avait celle d’«intervenir auprès de publics nouveaux, différents, d’utiliser d’autres supports, de nouveaux vocabulaires comme la danse ou la musique».
Combat à mener
«Cette flashmob aux contours inédits tranche (d’ailleurs) au cœur d’une campagne des Européennes aux messages politiques et institutionnels de plus en plus incertains», complète Béatrice, qui regrette que celle-ci soit «bâclée dans de nombreux Etats membres, à commencer par la France», où aucun projet politique n’émerge vraiment au sein des partis traditionnellement europhiles. «Cette concomitance, j’en suis très heureuse», intervient à son tour Karine. «L’Europe n’est pas un long fleuve tranquille et porte de nombreux enjeux en elle: sociaux, économiques, agricoles, numériques, culturels. Elle a des valeurs à défendre». Quotidiennement mais également «dans le cadre de dispositifs électoraux», appuie-t-elle. «Et je n’imagine pas que des élections européennes puissent se tenir sans que les artistes n’y prennent part», qui plus est alors que les valeurs défendues par l’idéal européen sont «fragiles» et nous imposent «un combat à mener, tant au sein qu’en dehors de l’Union». «Dans la danse existe une symbolique qui parle de tout cela. Elle est pleine de petits symboles. Elle est une forme de discours et a la capacité de rassembler comme la musique. Beaucoup de valeurs sont passées par la danse libre, notamment, qui porte en elle des valeurs émancipatrices et libératrices». A Strasbourg, Paris, Bruxelles, Vienne, celles-ci ont été pour l’heure entendues. La chorégraphie y a pris vie, par le biais des organisatrices ou par celui d’initiatives individuelles, comme en Roumanie où des chorégraphes se sont appropriés les mouvements, les ont en partie adaptés, mais dans le même esprit de rappel que ne faire qu’un peut être porteur de sens et d’enrichissement. Barcelone, aussi, a commencé à se prendre au jeu. Certes, toutes les villes d’Europe ne se sont pas encore dirigée vers la piste mais des frontières se sont déjà ouvertes à l’heure où certains entendent les fermer. Tout un symbole ou presque.
«Inviter les gens à aller voter»
Reste l’interrogation, les soupçons d’opération de communication institutionnelle susceptible de jaillir ici ou là et auxquels Karine répond sans détour: « Lorsque l’on est un artiste et que l’on veut monter un projet on cherche des financements. Ce peut être au ministère de la Culture, que l’on apprécie le gouvernement en place ou non. Là, je suis allée chercher de l’argent, des soutiens comme une artiste», qu’il s’agisse de la Fondation Hippocrène, de l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse, de la Ville et Eurométropole de Strasbourg». Autant de structures, rappellent les trois organisatrice, dont la relation à l’Europe ne se limite pas à une échéance électorale mais qui ont fait de l’Europe leur ADN. «Après, vous vous doutez bien que les eurosceptiques n’ont pas intérêt à financer, mais ce projet ne vient clairement pas des institutions, mais de nous, en tant que membres de la société civile». L’espoir de Karine: «Que cette danse invite les gens à aller voter». Peu importe pour qui, mais qu’ils votent et se souviennent «que la vie peut-être plus belle et meilleure si on défend quelque chose». A commencer, sans doute, par certaines valeurs qui, crises après crises, tendent à se perdre au profit d’idéologies faciles.
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