L’or vert détrônera-t-il l’or noir dans un avenir proche? Face à la fin programmée du pétrole, des équipes de recherche s’activent à travers l’Europe et misent une partie de leurs espoirs sur la transformation d’algues. Entre fantasmes et avancées réelles, quelle réalité des ces avancées?
Début de mois de novembre 2018, à l’aube de la mobilisation des Gilets jaunes : un reportage du journal de 20h de TF1 est largement partagé sur les réseaux sociaux. «C’est au moins aussi incroyable que de changer le plomb en or», s’enthousiasme Laurence Ferrari pour annoncer la nouvelle. Les ingénieurs français et espagnols de l’usine Bio Fuel System (BFS), une usine espagnole de production de carburants écologiques, auraient trouvé une formule miracle et mettraient déjà en œuvre leurs prouesses d’alchimistes à Alicante. Mais cela n’a «pas été ébruité» selon les commentaires indignés des internautes qui s’étonnent qu’on nous cache une telle trouvaille au moment même où le gouvernement projette une augmentation de la taxe carbone.
Or, cette vidéo est le plus souvent partagée hors contexte: elle est datée de 2011, période où les biocarburants de troisième génération étaient en vogue. Laurence Ferrari ne présente depuis plus le JT de TF1, l’usine BFS d’Alicante a fermé et une procédure de fraude a été lancée contre ses dirigeants. Alors, est-il encore possible de produire du carburant à partir d’algues?
Une application industrielle (encore) difficile à envisager
«On peut, mais ce n’est pas très efficace» assène Gilles Peltier, chercheur au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives et spécialiste de la production de biocarburants par les micro algues. Il explique qu’après avoir cultivé les algues, il est nécessaire de «procéder à une extraction des produits lipidiques, ce qui demande d’avoir des algues qui accumulent beaucoup d’huile, de les cultiver de telle manière qu’elles en accumulent en quantité importante», un défi à relever pour la recherche d’après ce scientifique.
A l’heure actuelle, une possible application industrielle est toutefois difficile à envisager puisque le prix d’un carburant issu de ce procédé serait aujourd’hui beaucoup plus cher celui des carburants traditionnels: «Au niveau industriel, il n’existe pas de procédé qui soit économiquement viable».
Les biocarburants de 3ème génération restent cependant porteurs d’espoir. La France et l’Europe sont bien positionnés sur la recherche et «l’algocarburant» est hautement financé à l’international, notamment en Chine. Ceci, poursuit Gillet Peltier, d’autant plus que «les agrocarburants de 1ère et 2ème génération ont un impact environnemental et social important, notamment parce qu’ils reposent sur la déforestation pour l’huile de palme et rentrent en compétition avec les terres agricoles, ce qui peut avoir pour conséquence la montée des cours alimentaires».
Question(s) de coût(s)
La production de carburant à base d’algues permettrait donc de dépasser certains de ces écueils, voire d’aller plus loin en recyclant notamment des fumées industrielles polluantes. C’est le sens du projet Vasco 2, mené à l’initiative du Grand port maritime de Marseille (GPMM) et qui fédère des partenaires institutionnels (la Métropole Aix-Marseille), industriels (Total, Arcelor Mittal entre autres), des laboratoires ainsi que des start-ups.
Au sein de ce projet, les algues se sont imposées comme un mode de recyclage des fumées industrielles produites sur le site de Fos-sur-Mer qui est le second producteur de CO2 en France. Les algues se nourrissent de CO2 et d’autres composantes contenues dans les fumées industrielles. Si différents débouchés pour ces algues étaient envisagés, c’est celui des biocarburants de 3ème génération qui a été choisi et qui est testé dans le cadre d’un démonstrateur dans un environnement industriel représentatif. Le projet a ainsi permis d’expérimenter la culture des micro-algues dans un bassin de 10m2 ainsi qu’un autre de 160m2. Dans ce contexte proche de la réalité industrielle, il a été possible de tester des éléments tels que la compétitivité du mode de production ou l’efficacité de différents procédés de fabrication, qui étaient jusqu’alors restés confinés dans les laboratoires de recherche fondamentale.
Mais attention, prévient Michael Parra le Coordinateur du programme (évoluant en Vasco3, ndlr): «On est au tout début de la démonstration, c’est un projet de recherche appliquée». En effet, même si le programme touche à son terme et qu’il est très abouti en comparaison avec des projets similaires, il n’est pas encore question d’envisager une application industrielle à grande échelle. Michael Parra explique que «les procédés pour fabriquer le carburant ou les huiles sont très énergivores. Pour passer de la micro algue au biocarburant il faut récolter les algues, monter à une température de 300°, ce sont des process qui ont un coût». L’annonce d’un prix n’est pas non plus à l’ordre du jour. D’abord parce que le carburant à base de micro algues continue à susciter des fantasmes. Selon le Coordinateur du projet, l’annonce d’un chiffre – y compris avec des réserves – serait repris de manière inconsidérée notamment dans les médias.
Et puis, car réaliste, l’homme sait qu’il reste énormément de gains de productivité à réaliser et admet que «lorsque l’on parle de rendements, tacitement, on parle de pertes». Faisant référence au procédé naturel de formation du pétrole il poursuit: «Ce que fait la planète en des milliers d’années, nous on le fait en quelques heures. Sauf que nous, il faut encore qu’on enlève l’eau, le phosphore, les métaux lourds», autant de procédés qui impliquent des pertes. Dans l’état actuel des avancées scientifiques et industrielles, une application à grande échelle semble futuriste et le spectre d’un complot visant à nous cacher une telle possibilité totalement fantaisiste.
Ne pas reproduire les erreurs du passé
Mais n’aura-t-on donc jamais l’occasion de remplir sa voiture d’un combustible à base d’algues? L’espoir est permis puisqu’en 2016 la municipalité de Chiclana De la Frontera, dans la province de Cadix (Espagne), a lancé un programme consistant à faire rouler les camions poubelle de la ville avec un carburant de 3ème génération. Mais faut-il encore rester prudent et de ne pas reproduire les erreurs faites avec les biocarburants de 1ère et 2ème génération. Ainsi, les acteurs de la filière sont conscients de la nécessité de ne pas voir leur activité devenir un facteur d’externalités négatives comme le sont les agrocarburants. Le besoin de surface et d’eau des algues pourrait entrer en concurrence avec d’autres activités humaines et avec la protection de l’environnement. De plus il ne s’agirait pas non plus de faire vivre, au sein de l’Union européenne, une industrie sous perfusion de subventions, comme c’est aujourd’hui le cas pour les agrocarburants classiques.
Lucas Segal est étudiant en master DERE «Droit de l’économie et de la régulation en Europe», à Sciences Po Strasbourg – UNISTRA / Crédits photo : European Communities, 2005 / Source: EC – Audiovisual Service / Photographe: Alain Schroeder
© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.