Canicule aux marches du Palais de l’Europe en cette dernière semaine de juin, clim à l’intérieur mais surchauffe politique dans l’hémicycle… cette session d’été restera dans les annales de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Sans compter qu’elle ouvre de nouvelles incertitudes pour une organisation au rôle rien moins qu’anecdotique.
Les Russes reviennent en vainqueurs. Qu’on en juge: la délégation de la Fédération de Russie est bien rentrée au bercail strasbourgeois comme tout le laissait préjuger mais elle l’a fait avec une arrogance qui n’augure rien de bon. Quant à sa participation à l’élection de la nouvelle Secrétaire générale – Marija Pejčinović Burić, ex ministre des Affaires étrangères et européennes croate – elle est d’ores et déjà ressentie comme un acte politique destiné à affaiblir l’assemblée.
Piotr Tolstoy, chef de la délégation russe avait annoncé que les dix-huit membres de celle-ci soutiendraient la Croate face à son concurrent, le Belge Didier Reynders. La majorité des élus des Etats membres issus de l’ex bloc de l’Est ont fait de même – à l’exception des Ukrainiens qui ont quitté Strasbourg après la ratification des pouvoirs russes – et le verdict des urnes est tombé mercredi vers 20 heures : le centre de gravité du Conseil de l’Europe passe à l’Est, le temps de la prééminence des pays fondateurs est clos.
Pour les Russes, se murmure-t-il, l’objectif était de rendre la voix de l’Assemblée sur l’évolution géopolitique des Balkans moins «neutre» et donc moins audible en favorisant l’élection d’une Croate.
Cinq femmes aux manettes
Autre fait notable, pour l’heure, l’ensemble des postes-clés de l’organisation sont tenus par des femmes: Marija Pejčinović Burić, secrétaire générale (Part Populaire européen) assistée de l’Italienne Gabriella Battaini Dragoni Secrétaire générale adjointe ; La Suissesse Liliane Maury (socialistes et démocrates), présidente de l’Assemblée parlementaire ; la Bosnienne Dunja Mijatović qui l’avait emporté face au Français Pierre-Yves Le Borgn’ au poste de Commissaire aux droits de l’homme et – jusqu’à mi-novembre – Amélie de Montchalin aux manettes du Comité des ministres au titre de la présidence française. Du jamais vu.
Les défis de Burić
Les tâches qui attendent Marija Pejčinović Burić sont immenses. «Chargée de coordonner les stratégies» de l’organisation, la nouvelle Secrétaire générale devra tout d’abord poursuivre la gestion d’une crise avec la Fédération de Russie loin d’être terminée. Les pouvoirs de la délégation de la Douma sont certes pour l’heure ratifiés mais ils restent suspendus à une décision ajournée de la Commission du règlement qui avait été saisie au motif de la présence, au sein de cette délégation, de quatre députés figurant sur la liste noire de l’Union européenne. Trop divisée, la commission du Règlement n’a pas pu prendre de décision mardi. La question reste en suspens.
Provocations russes
Le vote sur la vice-présidence de l’Assemblée au titre de la Fédération de Russie a quant à lui retoqué Leonid Slutskiy qui relève de la dite liste noire et dont la candidature a été vécue comme une provocation. Un autre nom est attendu mais il semble que la délégation russe envisage de re-présenter Slutzkiy. Et qu’en sera-t-il du versement des 75 millions d’euros de contribution au budget du CoE non versés par Moscou depuis 2017. Les sommes avaient été gelées et seraient débloquées en cas de retour, assurait le gouvernement russe. On n’en n’est plus si sûrs… s’inquiète l’administration du Conseil de l’Europe.
Parler d’une seule voix et se faire entendre
En première ligne sur ce dossier, la nouvelle Secrétaire générale devra aussi veiller à restaurer les liens qui se sont détériorés ces dernières années entre l’APCE et le Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Plus que jamais, à l’heure où se multiplient les menaces contre l’Etat de droit, la démocratie et les droits de l’homme au sein même des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, il importe que celui-ci parle d’une seule voix et coordonne les positions de ses deux organes statutaires. Il lui faudra aussi être «plus proactif» dans sa défense de ses normes «face aux forces nationalistes» avait déclaré le prédécesseur de Marija Pejčinović Burić, Thorbjørn Jagland, dans son dernier rapport annuel. Agir et non pas réagir. Restaurer l’autorité de l’organisation. Donner un retentissement à ses travaux.
L’argent, nerf de la guerre
Pour casser l’effet de bulle dont il est victime, le Conseil de l’Europe devra aussi revoir son financement qui dépend actuellement des contributions de l’Union européenne et de ses Etats membres. Ce fonctionnement l’expose à des risques de chantage comme on le voit avec la Russie. Il est urgent d’y remédier, peut-être en se tournant vers des partenariats privés à encadrer strictement.
Les Russes reviennent, sept délégations partent…
Des chantiers au long cours attendent donc Marija Pejčinović Burić qui devra aussi gérer les frictions – doux euphémisme – entre certains Etats membres aussi chauds bouillants que le climat.
Jeudi, sept délégations ont quitté une Assemblée qui s’est à leurs yeux «déshonorée» en réintégrant les représentants de la Douma. La délégation ukrainienne mais aussi celles de la Géorgie, de la Slovaquie, de la Pologne et des trois pays baltes. Leur départ n’est pour l’heure que symbolique et temporaire. Aucune lettre officielle ne l’accompagne et l’on peut garder un petit espoir qu’elles seront de retour à Strasbourg en octobre, pour la plénière d’automne.
Entretemps, en juillet, l’Ukraine aura procédé à des élections législatives qui changeront peut-être la donne. Du côté du Conseil de l’Europe on attend de voir quelle sera la composition de la prochaine Rada… Le suspens continue.
Photo: Marija Pejčinović Burić élue Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe / Crédit:©Council of Europe / Auteur: Sandro Weltin
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