Si l’on se dirige encore vers une sortie du Royaume-Uni de l’Union sur la base de l’accord proposé par Boris Johnson à Bruxelles, ce jeudi 17 octobre, le vote ajourné de ce jour à Westminster reste encore incertain. Mais les conséquences socio-économiques du Brexit sur l’UE, notamment en matière de défense et de politique étrangère, sont bien réelles.
(MAJ 18h00) L’espoir de la mise en place d’un accord de sortie mutuellement consenti entre Londres et Bruxelles, à l’issu du dernier Conseil européen, sur fond de la mise en place d’une union douanière en mer d’Irlande, entre l’Irlande et la Grande-Bretagne, via l’Ulster repose désormais sur le Parlement britannique, qui se réunissait ce samedi 19 octobre – première fois que Westminster se réunissait un samedi, depuis la Guerre aux Malouines en 1982 – pour valider l’accord proposé par Boris Johnson à Bruxelles, ce jeudi 17 octobre. Il lui fallait arracher les voix de 320 députés sur les 639 que compte la Chambre de Communes (les 11 élus du Sinn Féin nord-irlandais refusant d’occuper leurs sièges). Mais, suite au passage d’un amendement déposé par Oliver Letwin, par 322 voix pour contre 306, qui demandait à Boris Johnson de négocier un report du Brexit le temps que soit adoptée toute la législation nécessaire à la mise en oeuvre de l’accord qu’il a décroché à Bruxelles, l’incertitude pèse encore tant sur la date de retrait que sur l’issue du deal.
La décision prise par 52% des Britanniques de sortir de l’Union européenne, par voie référendaire, le 23 juin 2016 est incontestable, bien qu’elle ait été, depuis, assortie d’un imbroglio institutionnel et politique comme seuls les Britanniques peuvent en produire!
L’espoir de la mise en place d’un accord de sortie mutuellement consenti entre Londres et Bruxelles, à l’issu du dernier Conseil européen, sur fond de la mise en place d’une union douanière en mer d’Irlande, entre l’Irlande et la Grande-Bretagne, via l’Ulster repose désormais sur le Parlement britannique, qui se réunit, ce samedi 19 octobre – première fois que Westminster se réunit un samedi, depuis la Guerre aux Malouines en 1982 – pour valider l’accord proposé par Boris Johnson à Bruxelles, ce jeudi 17 octobre.
Il lui faudra arracher les voix de 320 députés sur les 639 que compte la Chambre de Communes (les 11 élus du Sinn Féin nord-irlandais refusant d’occuper leurs sièges).
Le vote s’annonce serré mais possible…
L’essentiel semble pourtant sauvé, à savoir la perspective de rendre ce système juridique «hybride» compatible avec le marché unique européen et la livre circulation intra-européenne. C’est néanmoins sur le citoyen britannique, que l’effet Brexit sera le plus évident, soit une perte de 5,8% à 7% de leur revenu par tête, selon les estimations du think tank «UK in a Changing Europe».
Néanmoins, au-delà de l’économie, les réalités géopolitiques, géo-économiques, géo-culturelles, qui s’imposent à l’ensemble des pays et citoyens européens, nous obligent ainsi à une relation qui reste exceptionnellement et solidement imbriquée, du moins de part et d’autre de la Manche:
- Nous partageons des responsabilités mutuelles en tant que membres de l’OTAN, que membres permanents de l’Etat du Conseil de sécurité des Nations unies, au sein du G-7 et du G20, mais aussi en bénéficiant mutuellement, grâce au Commonwealth et à la Francophonie, d’une profondeur «stratégique» en ce qui concerne le «Soft power», présente sur les 3 océans et les 6 continents habités, ainsi qu’un autre levier de puissance donnée par notre immense zone économique exclusive (ZEE). Avec 11,6 millions de km2, la France est la seconde puissance maritime mondiale (après les Etats-Unis). 97% de cette superficie se situe en outre-mer, ce qui permet à la France d’être présente stratégiquement et économiquement sur les trois principaux océans de notre planète, ce que valide le concept «d’archipel France» sur la scène internationale. Le Royaume-Uni est, quant à elle, la cinquième (avec 6,8 millions de Km2) mais c’est sans compter les importantes terres australes britanniques. Avec 25 millions de Km2, l’Union européenne est donc la première…à elles seules, les ZEE cumulées de la France et de la Grande-Bretagne représentent près de 80%de celle de la ZEE de l’UE;
- Nous contribuons à la paix et la stabilité grâce au plan global d’action conjoint – JCPOA quant à la réintégration de l’Iran dans la communauté internationale, les pourparlers de paix à Genève et à Vienne concernant la stabilisation en Syrie ou encore la mutuelle préoccupation au sujet d’une guerre au Yémen qui n’en finit plus de «saigner» ce pays depuis le déclenchement des opérations militaires lancées par la coalition menée par l’Arabie Saoudite en mars 2015 ;
- Nous faisons face aux menaces volatiles et asymétriques (terrorisme / cyberterrorisme) qui cherchent à perturber nos vies sur nos territoires et en ciblant nos intérêts vitaux et nos ressortissants dans le monde entier, comme ce fut le cas à Londres, en juillet 2005 et en France, depuis 2015. A cet égard, les préoccupations convergentes en matière de renforcement de nos services de renseignement (augmentation de 40% des effectifs du MI5 d’ici 2020, équivalent de la DGSI en France, tandis que cette dernière vise, elle aussi à recruter 1000 nouveaux agents) nous rapprochent également. Il en va de même, au niveau de la coopération entre le Governement Communication Headquarters (GCHQ) et l’Agence nationale de Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI);
- Nous nous sommes engagés à consacrer 2% de notre PIB à la défense (livre blanc de 2008 et de 2013, Strategic and Défense and Security Review – SDSR – de 2010 et de 2015), dans un contexte budgétaire tendu depuis la crise économique de 2009, en prenant en considération les menaces et les responsabilités que ceci engage pour notre sécurité et celle de nos partenaires de la zone euro-atlantique;
- Nous sommes les piliers incontestables et incontestés de la PSDC, comme l’atteste le fait que nos industries de défense représentent près de 40% de la capacité d’exportation de la défense européenne. La France est ainsi devenue, cette année, après les USA et avant la Russie, le deuxième plus grand exportateur dans le secteur de la défense (70 milliards d’euros depuis 2012).
Ainsi, d’évidence, ce qui se passe de ce côté de la Manche a des impacts automatiques sur l’autre côté. La décision que les électeurs britanniques ont prise est, bien sûr, non discutable. Cette dernière illustre, du reste, l’urgente nécessité de travailler dans le sens d’une meilleure coopération en ce qui concerne la défense.
Vingt et une années après le Sommet de Saint-Malo (Décembre 1998), qui avait déjà permis d’intégrer une dimension européenne à la politique de la Défense du Royaume-Uni et de la France, c’est assurément avec la signature des accords de Lancaster House, le 2 Novembre 2010, que la relation franco-britannique s’est ancrée dans le «marbre» pour les cinquante prochaines années. Cette année marquera ainsi le 9ème anniversaire de ces Accords, caractérisés par la signature des deux grands traités:
- le premier, en rapport avec les ressources communes radiographiques et hydrographiques liés à l’interdiction des essais nucléaires, au titre du Traité de non-prolifération (TNP) de 1970, et donc la nécessité, d’œuvrer pour le développement d’une capacité de simulation mutuelle;
- le second, permettant une plus intensive, robuste et durable mise en commun des capacités industrielles, humaines et opérationnelles bilatérales, ainsi qu’un niveau stratégique intensifié de coopération en matière de planification / contrôle et commande des opérations conjointes, ou encore la mise en place d’un partage capacitaire au niveau des groupes aéronavals et des sous-marins (SNA de classe Barracuda, SNLE de classe le Triomphant pour la France, et Vanguard Class pour la Grande Bretagne).
Il en va de même avec la lettre d’intention concernant le renforcement de la coopération entre nos deux forces armées, qui ont conduit à la création de la Force interarmées expéditionnaire (Combined Joint Expeditionary Force – CJEF), pleinement opérationnelle, sur une base terrestre d’ici 2016 et d’ici 2020 au niveau maritime.
Sur cette base, cette «force d’intervention préventive capable de faire face à de multiples menaces jusqu’à la plus haute intensité» se révèle particulièrement attendue, dans un contexte complexe, volatile (comme la crise libyenne et la crise malienne / sahélienne l’avaient montré précédemment, ainsi que l’augmentation de la piraterie dans le Golfe de Guinée et le long des côtes d’Afrique – 200 attaques l’an dernier).
Cela est particulièrement vrai dans la perspective d’une plus grande interopérabilité et la cohérence dans le domaine des doctrines militaires, de la formation et du matériel militaire. J’ai particulièrement en tête la nouvelle génération des drones de combat (FCAS/DP).
Inutile de rappeler que le Brexit n’aura guère d’effet «juridique», sur nos relations bilatérales, considérant en effet que celles-ci dépendent largement d’accords multilatéraux antérieurs, parmi lesquels, «l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement» et la «Lettre d’intention» (LOI) de 1998, signée en Juillet 2000, entre six pays européens (France, GB, Allemagne, Italie, Espagne et Suède) qui a permis le renforcement de l’industrie européenne de la défense et le développement d’une plus forte et plus indépendante Base Industrielle, Technologique et de Défense européenne (BITDe).
A chaque fois, dans l’histoire, que Français et Britanniques ont réalisé un programme en commun, ils ont réussi un produit d’exception qui surclassait de loin, les produits américains: avion Concorde, missile de croisière Scalp/Storm Shadow, missile air-air Meteor.
Ainsi, il est nécessaire de recréer les conditions d’une compréhension mutuelle et d’un haut niveau de confiance, initiés par les accords de Lancaster House, en veillant à ce que le retard pris dans la mise en œuvre «effective» de l’article 50 et le temps nécessaire pour commencer les négociations de sortie formelles ne sauront amplifier le ressentiment envers la Grande-Bretagne parmi les dirigeants politiques français.
Même si le spectre d’un «No deal» d’ici le 31 octobre prochain, demeure, la sortie programmée de la Grande Bretagne, qu’il s’agisse de décembre 2020 -comme semble l’indiquer la perspective d’un accord finalement scellé à l’aune du Conseil européen du jeudi 17 octobre – ou fin 2022 – en cas de nouveau report -, aura néanmoins un impact certain sur les futurs programmes industriels de défense.
Bref, la Grande Bretagne entend-t-elle ainsi régler la facture des quelques 40 milliards d’euros, au regard de ses engagements précédent le Brexit, dans les projets structurants qui attendent l’UE?
Les axes technologiques sur lesquels l’UE devra-t-elle se concentrer pour espérer faire face aux ambitions chinoises et étasuniennes, dans le cadre du Brexit
Pour bâtir ce que j’appellerai volontiers une «Europe 4.0», à l’aune de la révolution numérique et technologique qui s’annonce, l’UE doit investir dans l’économie disruptive. De ce point de vue, la coopération ou non avec la Grande-Bretagne, dans ce domaine demeure une question sensible. La Grande-Bretagne continue de brandir ainsi la perspective d’une multiplication par deux ou trois des échanges commerciaux avec les Etats-Unis pour compenser sa «sortie» des projets innovants et disruptifs engagés jusqu’à présent dans le cadre de l’UE.
A cet effet, le projet Horizon Europe, qui prévoit une enveloppe budgétaire de 100 milliards d’euros (2021-2027) qui devrait permettre l’émergence des projets fédérateurs de l’Europe de demain: ITER – énergie née de la fusion), Copernicus (surveillance de la terre), Galileo (système de géolocalisation et de surveillance de la terre, en l’espèce un GPS européen), l’ordinateur quantique ou encore, le projet européen de recherche JEDI – Joint European Disruptive Initiative (autour des avions, tanks, hélicoptères, avions ravitailleurs, drones, bateaux, cannons de demain…) n’est qu’un début pour une UE en quête d’autonomie stratégique.
Il conviendra, par la suite, de construire un véritable plan structurel – à l’aune des prochaines décennies – autour de l’Intelligence artificielle et les technologies liées à la physique quantique, afin que les avancées en matière de recherche et développement que tous nos partenaires reconnaissent à l’Europe ne soit pas pillées.
De ce point de vue, l’émergence des champions industriels européens (à l’instar d’Airbus), en termes monétaire (l’Euro comme monnaie d’échange et d’investissement capable de concurrence le dollar et le yuan) doit permettre – enfin – à l’Europe de s’amender de l’extraterritorialité (monnaie, défense et technologie) que lui impose le dollar et les Etats-Unis.
Néanmoins, investir sur une ambitieuse base industrielle technologique n’enlèvera pas l’épée de Damoclès démographique qui pèse sur le continent européen. En 1900, l’Europe continentale représentait 25% de la population, en 2019, seulement 7% et en 2060, plus que 4%.
Il y a donc urgence à concevoir une nouvelle ambition européenne, face à une «orientalisation» certaine des relations internationales, qui n’est plus une perspective mais est, bel et bien, désormais une réalité.
L’Union Européenne, avec quelques 511 millions d’habitants, qui a célébré en 2017, son 60ème anniversaire (Traité de Rome du 25 mars 1957) reste la première puissance territoriale grâce à sa «présence» sur tous les continents et océans (25 millions de Km2 de Zone Economique Exclusive – ZEE). Cette dernière a de nombreux atouts à sa disposition, à l’aune des 24% du commerce international et ¼ du PIB mondial qu’elle représente – avec les PIB cumulés des 28 bientôt 27 Etats membres, soit 18160 milliards d’euros. En comparaison aux 16 500 milliards d’euros de PIB américain et 13 000 milliards d‘euros pour le PIB chinois, cela donne à l’Europe une courte avance qu’il conviendra de veiller à maintenir.
L’Europe demeure, du reste, toujours la «championne» en matière de recherche et développement, d’innovation technologique, de capacités d’exportation et d’attraction des Investissements directs Etrangers (IDE). C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la consolidation d’une base européenne technologique de défense (BITDe) forte de la promesse de la mise en place d’un ambitieux fonds européen de défense (5,5 milliards d’euros à l’horizon 2021, dont 20% du montant devrait être consacré à la recherche et au développement).
Les nouveaux théâtres d’opérations, caractérisés par la virtualité (Cyber-espace), l’inconnu (espace extra-atmosphérique), de nouveaux paradigmes géopolitiques (pivotement asiatique) et des changements d’alliances stratégiques se muant en potentielles crises à l’est autant qu’au sud du continent européen («émergence» sur le plan géo-économique et «aspiration» à la création d’un espace eurasien, qui sur le plan géopolitique, peut-être perçu comme concurrentiel avec l’intégration euro-atlantique) engagent et engageront sans cesse crescendo nos forces armées, notre diplomatie ainsi que nos capacités de recherche et développement dans une logique de coopération autant que d’une compétition de plus frontale qui incite à rationaliser notre outil de défense.
De facto, les convergences entre Européens et Britanniques surpassent très largement nos divergences. C’est, sans doute, en cela que l’impact du Brexit sera limité, du moins sur le plan stratégique…
Emmanuel Dupuy est Président de l’Institut Prospective et sécurité en Europe (IPSE) / Photo: Boris Johnson / Photographe: Lejeune Xavier / Union Européenne, 2019 / Source: EC – Service audiovisuel
© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.