Face aux diatribes de Donald Trump, et à quelques mois de l’élection présidentielle américaine, la restauration de bonnes relations UE – Etats-Unis est-elle encore possible? Oui, à condition de repenser nos alliances stratégiques et de garder en mémoire les leçons diplomatiques du passé.
Si le partenariat avec les Etats-Unis a constitué un élément central de la construction européenne, cela ne signifie pour autant pas que la relation transatlantique ait toujours été au beau fixe: les divergences de sensibilité ont été monnaie courante et les conflits d’intérêts n’en ont pas été absents. Depuis quelques années, et surtout depuis l’arrivée de Donald Trump, un fossé semble s’être ainsi creusé en matière de politique internationale. Qu’il s’agisse de la protection internationale de l’environnement, du rôle des Nations-Unies, de l’usage de la force, ou plus généralement du poids des règles de droit dans les relations internationales, un contraste est visible entre les vues américaines et celles de l’Union Européenne. Certains s’en réjouissent en Europe, car ils y trouvent de quoi alimenter un anti-américanisme qui couvait sous la cendre. D’autres répugnent à l’admettre, car ils rejettent par principe tout ce qui peut séparer l’Europe de Washington.
Politique du «diviser pour mieux régner»
Les États-Unis ont gagné la Guerre froide parce que leur économie de marché était plus puissante, plus diversifiée et efficace que la planification centrale de type soviétique. Et que les principaux alliés de l’Amérique étaient beaucoup plus riches et puissants que la plupart des États clients soviétiques. Comme le soulignait le diplomate américain George Kennan dans sa théorie de l’endiguement, à long terme, la victoire résidait dans le maintien des «centres clés de la puissance industrielle» (soit l’Europe occidentale et le Japon) alignés avec l’Ouest et hors des mains soviétiques. L’Union soviétique était peut-être la deuxième économie mondiale et une formidable puissance militaire, ses alliés étaient beaucoup plus faibles que ceux des États-Unis. Au total, le bloc occidental porté par les Américains pouvait compter sur une population environ 25% plus nombreuse que le réseau soviétique, près de trois fois le PNB combiné et une légère avance sur le plan des forces armées – avec des dépenses supérieures d’environ 25% chaque année par rapport au bloc soviétique. De plus, les États-Unis ont pu bénéficier d’une politique du «diviser pour mieux régner» vis-à-vis de leurs rivaux communistes. La focalisation sur le prétendu monolithe communiste au début de la Guerre froide s’est ensuite muée en politique plus réaliste, notamment en 1972 avec la main tendue de Richard Nixon à la Chine. Une décision qui laissera Moscou de plus en plus isolée et alourdira ses coûts stratégiques.
Trump est un cas d’école pour savoir ce qu’il ne faut pas faire en matière de partenariats internationaux. L’Accord trans-pacifique a ainsi été abandonné au quatrième jour de son mandat, ce qui met en péril la position stratégique des États-Unis en Asie et offre à la Chine une victoire facile. Une erreur que Trump a aggravée en lançant des guerres commerciales avec quasiment tout le monde, y compris les alliés asiatiques de l’Amérique, et par son rapprochement impulsif et mal fagoté avec la Corée du Nord. Il fait l’éloge d’autocrates comme Vladimir Poutine (Russie), Kim Jong-un (Corée du Nord), Mohammed ben Salmane (Arabie saoudite) et de chefs d’Etats tout aussi peu recommandables que Rodrigo Duterte (Philippines) ou Jair Bolsonaro (Brésil). A l’inverse, Donald Trump voit dans le Premier ministre canadien Justin Trudeau un «faible», estime que le Président français Emmanuel Macron fait preuve de «stupidité» et multiplie sur Twitter les saillies humiliantes en direction de la chancelière allemande Angela Merkel ou du maire de Londres Sadiq Khan. Il s’est en outre comporté avec une rare inélégance lors de conférences internationales, et son instabilité, son ignorance et son incompétence ressenties ont choqué les diplomates étrangers. Ceci, alors que, pendant la Guerre Froide, les dirigeants américains avaient toujours traité leurs homologues avec respect, même lorsqu’ils étaient secrètement en colère contre eux.
Peur de susciter de l’animosité
Charles de Gaulle n’a pas eu son pareil pour agacer les présidents américains, mais jamais ils n’eurent le moindre mot déplacé à son égard, en public. Ceux-ci savaient que dénigrer ou humilier leurs partenaires était un carburant à ressentiment et pouvait faire exploser l’unité de l’Ouest. Parce qu’ils étaient largement plus forts que les autres, les États-Unis ont généralement obtenu ce qu’ils voulaient. Mais ses dirigeants ont eu la sagesse de ne pas s’en vanter, de peur de susciter de l’animosité et d’entraver la coopération. À l’inverse, le monde communiste était une marmite de rancœur et d’inimitié fratricide.
En politique internationale, être puissant importe beaucoup, mais être populaire ou a minima respecté n’est pas accessoire. Les États-Unis ont notamment gagné la Guerre froide parce qu’ils étaient plus forts et plus résistants que l’Union soviétique, mais aussi parce que les valeurs et les actions de Washington se sont révélées plus populaires que celles de Moscou dans la plupart des pays du monde. Les États-Unis conservent encore probablement cet avantage alors que leur concurrence avec la Chine s’intensifie, mais rien n’interdit d’imaginer que Donald Trump et ses sbires finissent par le détruire.
Russie-Chine: des intérêts divergents à moyen terme
«Le bonheur de l’Amérique est intimement liée au bonheur de toute l’humanité»: cette réflexion du Marquis de La Fayette dans une lettre à sa femme avant de débarquer en Géorgie lors de la Guerre d’Indépendance américaine garde toute son actualité. Ajoutons à cela cette réflexion que le bonheur de l’Union européenne et plus largement de toute l’Europe est aussi lié au bonheur de toute l’humanité. Les Etats-Unis et l’Union savent que tous deux ils sont les porteurs et défenseurs de valeurs universelles. Dans ce début de siècle où nos démocraties et valeurs sont attaquées il est impératif que les Etats-Unis et l’UE retrouvent les mêmes relations d’alliance et de respect que pendant la Guerre Froide. Nous devons partager la mission de sauvegarde de la Démocratie, de la Liberté et des Droits de l’Homme. Nous devons construire ensemble une plateforme des valeurs universelles de nos Pères Fondateurs: nous devons bâtir pour cela un G2 Etats-Unis-UE, non seulement économique mais surtout démocratique. Les attaques de Trump contre l’Union doivent être oubliées! Nous avons une nouvelle Guerre Froide à gagner contre la Chine, nous devons rester unis. La Russie et son pouvoir de nuisance est un allié fragile et incertain de la Chine comme certains pays socialistes pauvres et changeants l’étaient de l’URSS. L’alliance entre la Russie et la Chine n’est pas une alliance à long terme et forte, beaucoup d’intérêts russes étant en opposition avec les intérêts chinois sur la durée. Le réel défi pour l’Ouest, c’est la Chine!
Quelques recommandations supplémentaires doivent être suivies pour le retour à la normal des relations Etats-Unis – UE. Tout d’abord, l’appui total de Washington à la construction de l’Union bien plus que la multiplication des attaques envers elle, parmi lesquels le soutien clairement affiché du Commander in Chief au Brexit. Ensuite, l’Europe et les Etats-Unis doivent réaffirmer leur partenariat dans le commerce international et trouver une base commune pour renforcer leur coopération sur les questions économiques. L’Europe doit quant à elle accroître ses efforts pour montrer aux Etats-Unis les avantages de la négociation et de l’engagement constructif. Inventer un nouveau rôle pour l’OTAN basé sur des missions humanitaires et de maintien de la paix, plutôt que sur des missions militaires intensives en est un exemple. L’Europe et les Etats-Unis doivent enfin rebâtir leur relation sur la base d’intérêts partagés et reconnaître en toute amitié et respect que, sur certains sujets, leurs visions du monde resteront différentes.
Olivier Védrine est Professeur (h.c.), Directeur de l’ONG New Europeans et Rédacteur en chef de Russian Monitor, journal russe d’opposition
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