Quatre-vingts ans après l’appel du 18 juin du Général de Gaulle, en des temps où l’Europe faisait fasse à des crises d’un autre genre, la récession post-COVID19 dans laquelle s’engagent les Européens, nous oblige – pour en sortir – à reconsidérer et à intégrer le rôle de nouveaux acteurs en tant que forces de suggestion, complémentaires à celles de l’Etat. Et Internet, à qui l’on doit déjà de profondes (r)évolutions démocratiques, peut aider, non seulement à participer à la diffusion d’un nouvel appel mais également à contribuer à la construction, depuis l’Europe, d’une nouvelle gouvernance pour y parvenir.
Citoyens, société civile, dont associations, ONG, fondations, peuvent et doivent contribuer à résoudre la crise économique et sociale dont les effets les plus violents devraient être ressentis au dernier semestre de cette année, avec l’annonce de multiples plans de licenciements. Mais, prendre part à ce grand débat, dans lequel le rôle de la morale et de l’éthique, dans le domaine de la politique et de l’économie, devra être discuté de manière réfléchie et responsable, nécessitera, pour réussir, de repenser notre rapport démocratique à la gouvernance européenne et aux Etats.
Repenser la gouvernance des institutions
Le but de la gouvernance tient en effet à se rapprocher de la réalisation de l’équilibre politique et de garantir ainsi à un gouvernement que celui-ci soit efficace et juste dans ses actions. Cela signifie accepter une approche globale du pouvoir en y associant davantage de dialogue, de consensus et la prise en compte d’intérêts multiples. En temps de crise, promouvoir cette approche intégrée est essentiel. Le concept n’est pas seulement destiné à une mise en œuvre nationale mais également à son utilisation au niveau international. L’inclusion d’intérêts multiples et la recherche d’un consensus pourraient ainsi constituer les nouvelles lignes directrices d’une forme moderne de la diplomatie dans le cadre d’un monde multipolaire. Dans cette logique, restructurer les organisations internationales telles que les Nations Unies, le FMI ou la Banque mondiale, semble par exemple nécessaire. Toutes ces organisations, toujours en activité dans leurs schémas de gouvernance initiaux, ont été introduites peu de temps après la Seconde Guerre mondiale. Or, depuis, le monde a profondément changé, en particulier avec la fin des empires coloniaux, celle de l’URSS et l’émergence de nouvelles puissances régionales, politiques et économiques.
Prendre en compte ce(s) nouveau(x) visage(s) du monde, est une invitation à envisager une réforme démocratique majeure des institutions internationales. Un Conseil de sécurité intégrant un pays africain mais aussi l’Inde et le Brésil, ainsi que la création d’un siège pour l’Union européenne, ou encore la présidence de grandes institutions financières – telles que la Banque mondiale et le FMI – détenue par des représentants de pays non européens, ou de représentants ne venant pas des États-Unis d’Amérique, sont des éléments importants à prendre en considération si nous voulons, de la manière la plus rapide et la plus impartiale qui soit, mobiliser tout un chacun pour résoudre cette crise mondiale devenue sociale. Cela est d’autant plus urgent que cette crise n’est pas la seule à laquelle nous devrons faire face dans les années à venir. La crise climatique est déjà un défi à relever et la menace qu’elle fait peser sur nos sociétés ne pourra être affrontée qu’au niveau international, pollution et catastrophes naturelles ne connaissant pas les frontières des Etats.
Décisions concertées et expliquées
Mais cette nouvelle gouvernance ne doit pas se limiter au niveau international. Elle doit aussi s’arrimer à l’échelon local. La recherche d’un consensus qui associerait le plus grand nombre de partenaires dans l’élaboration des approches politiques fait tout autant sens dans le camp municipal départemental et/ou régional. Repenser la gouvernance à cette échelle territoriale serait également l’occasion de promouvoir une implication directe et soutenue des citoyens dans la vie de la ville et / ou de la région. Cela donnerait aux populations une envie nouvelle de participer au processus de décision politique, ce qui pourrait, en temps de crise, désamorcer de nombreux conflits sociaux. Dans ce vaste panorama, associer le monde des affaires à la pratique de la gouvernance locale devrait également être pris en considération. En effet, des décisions concertées et expliquées à tout un atelier, à une division ou à une usine réduiraient tout autant les risques de conflit. Cette réduction de la distance entre les étages hiérarchiques permettrait de mobiliser l’ensemble des salariés dans un mouvement où chacun se sentirait, par consensus, utile et indispensable au bon fonctionnement du groupe dans son ensemble.
L’exemple islandais
Cette gouvernance locale est un élément important de la société civile européenne qui doit fonctionner parallèlement avec la gouvernance nationale et avec la gouvernance au niveau européen à Bruxelles. L’implication du plus grand nombre de citoyens dans les décisions publiques aura une efficacité politique au niveau national et européen. C’est très probablement à travers cette forme d’engagement participatif, que nous pouvons établir une citoyenneté européenne vivante, qui intègre à la fois le sentiment d’appartenance local, national et européen.
Des techniques de gouvernance modernes peuvent être aisément mises en place aujourd’hui à l’aide des moyens de communication comme Internet, qui a amplement démontré sa capacité à mobiliser et à organiser. Un grand nombre de citoyens européens connaissent et utilisent déjà les réseaux sociaux, et la transition vers une forme de gouvernance intégrant cette logique peut et doit être envisagée. En 2011, l’Islande en a d’ailleurs déjà fait l’expérience avec succès. Via Facebook et Twitter, les Islandais avaient ainsi été appelés à participer à la rédaction d’une nouvelle Constitution en soumettant leurs doléances à une Assemblée constituante, via ces plateformes notamment.
Ce processus, salué à l’époque pour son audace citoyenne, politique et technologique, pourrait tout à fait préfigurer la démocratie de demain, en associant directement les citoyens européens à l’avenir de l’UE. Pour l’Union, un tel chantier aurait ceci d’extraordinaire qu’il faciliterait non seulement une modernisation concrète de la gouvernance démocratique européenne mais aussi une véritable contribution de l’Europe au débat démocratique mondial. Ce sera là, notamment au travers du sujet de la nouvelle gouvernance, l’un des objectifs attendus de la Conférence «Future of Europe», et ce 18 juin, l’occasion de lancer un appel en ce sens.
Olivier Védrine est Professeur (h.c.), Directeur de l’ONG New Europeans et Rédacteur en chef de Russian Monitor, journal russe d’opposition
Photo: Photographe: Adam Berry / Union européenne, 2017 / Source: EC – Service audiovisuel
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