Mises à l’épreuve par la pandémie en cours, plusieurs Etats songent à relocaliser leurs activités en Europe, afin d’anéantir les effets de dépendance vis-à-vis des entreprises opérant en dehors de l’Union européenne. Mais cela se fera-t-il au bénéfice du pays d’origine? Pas si sûr, les pays d’Europe centrale et orientale semblant disposer de bien meilleurs atouts que leurs homologues de l’Ouest européen. Sans compter que l’Asie veille…
Mis à l’épreuve de la pénurie de certaines productions à la suite de la crise sanitaire ayant frappé le monde depuis janvier 2020, un grand nombre de pays européens songent à relocaliser leurs entreprises stratégiques. Cette stratégie économique viserait à relancer la production de certaines industries, notamment médicales, afin d’anéantir les effets de dépendance vis-à-vis des entreprises opérant en dehors de l’Union européenne.
En France, malgré les contraintes financières et logistiques de la relocalisation, l’État tente tant bien que mal de convaincre les dirigeants des sociétés à haute valeur industrielle de réimplanter leurs activités dans l’Hexagone. Pour cela, le gouvernement a multiplié les communications autour des nouvelles politiques économiques plus avantageuses et à propos du plan de relance de 100 milliards d’euros, dont 1 milliard seront utilisés pour inciter les entreprises à relocaliser à travers les «appels à projets de (re)localisation».
Ceci dit, la réorientation des activités vers l’Europe ne signifie pas nécessairement un retour au pays d’origine. En effet, les impôts et taxes afférentes pourraient aigrir la santé financière, particulièrement celle des moyennes entreprises. Il s’agit donc, pour les firmes, d’évaluer les risques financiers d’une éventuelle relocalisation dans le pays d’origine en fonction du coût du travail et de la pression fiscale.
L’attractivité des PECO
Plusieurs entreprises ont ainsi délocalisé leurs activités dans les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) en raison de leur proximité géographique et leurs coûts salariaux moins conséquents qu’en Europe occidentale. Selon la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, entre 2014 et 2018, il y a eu 253 cas de relocalisations dans les pays européens (à voir également le projet «The future of manufacturing in Europe» d’Eurofound de 2019).
Le mouvement de relocalisation dans les PECO a débuté avant la crise de la Covid-19 et tend à s’activer après celle-ci. Le rapport de la Fondation pour l’innovation politique intitulé «Relocaliser en France avec l’Europe», paru en septembre 2020, nous donne l’exemple des entreprises le Coq Sportif, Lunii et Harry’s.
Désormais, selon un rapport de mai 2020 de l’Institut polonais de l’économie, les PECO pourraient dégager un bénéfice de 22 milliards de dollars par an à la suite de la relocalisation de productions en provenance de la Chine. Ces entreprises tireraient d’importants profits en termes d’avantages comparatifs, de coûts de transports (chaînes d’approvisionnement et de distribution) et de salaires eu égard à la proximité des différents pays de la zone et aux disparités salariales.
En comparant le coût horaire du travail entre l’Europe occidentale et les PECO, on constate d’importantes disparités allant de 5,30 euros en Roumanie à 44,70 euros au Danemark (cf. Figure 1).
Figure 1: Coût horaire moyen du travail dans l’Union européenne en 2018. Statista, CC BY-SA
Il en est de même pour la pression fiscale. Selon les statistiques de 2020 de l’Institut économique Molinari, les charges et les impôts supportés par l’employeur représentent plus de la moitié du salaire en France (54,68%) contre 10% pour la Bulgarie par exemple.
Les coûts d’investissement, quant à eux pourraient être amortis en améliorant la qualité et l’authenticité des produits, d’autant plus que la base industrielle rapportée au PIB est plus grande dans ces pays. En effet, d’après le dernier rapport de 2020 de la Fondation pour l’innovation politique, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée au sein des PECO est plus importante que dans les autres pays de l’Europe occidentale, hormis l’Allemagne (25,4%) et l’Autriche (22,1%). Elle s’élève à 29,7% en République tchèque et 25% en Pologne, contre seulement 13,6% en France et entre 15% et 19% en Espagne, aux Pays-Bas et en Italie.
Accélération de la relocalisation depuis la crise
Plusieurs entreprises européennes, comme le fabricant allemand d’électroménager Bosch, sont aujourd’hui implantées en Pologne en raison des avantages concurrentiels et financiers que ce pays offre aux investisseurs. Une relocalisation qui remonte à avant la crise sanitaire, mais qui s’accélère depuis le début de celle-ci, notamment la partie logistique (centres d’appel, «click and collect», etc).
En 2019, les investissements directs étrangers (IDE) représentaient 40% du PIB polonais. Ces derniers provenaient majoritairement de l’Allemagne (19%), de la France et des États-Unis (près de 11 % chacun).
De même pour la Roumanie où maintes entreprises européennes se partagent le marché. Parmi elles figure le fabricant italien d’appareils électroménagers De’Longhi qui a rapatrié en 2020 sa production de Chine en créant une deuxième usine, après avoir racheté l’usine Nokia de la ville de Jucu en 2012. De’Longhi a ainsi créé plus de 1 000 emplois locaux et a investi 30 millions d’euros.
La Pologne suscite également l’intérêt d’entreprises américaines souhaitant s’implanter en Europe. C’est notamment le cas des géants de l’informatique Google et Microsoft. En juin dernier, Google a annoncé qu’il investirait jusqu’à 2 milliards de dollars dans un centre de données dans le pays afin de traiter les services dans le cloud, suivant ainsi Microsoft qui a communiqué un mois plus tôt sa volonté d’investir 1 milliard de dollars pour un centre de données à très grande échelle, dans le but de développer et de transformer les compétences numériques en Europe.
Le frein des enjeux technologiques
Toutefois, des enjeux technologiques pourraient freiner ce mouvement de relocalisation vers les PECO. En effet, le savoir-faire et la flexibilité de la main-d’œuvre étrangère sont plus prégnants en Asie qu’en Europe de l’Est. Beaucoup de technologies de pointe, en électronique notamment, restent peu maîtrisées en Europe, à l’instar du hardware (matériel) informatique. L’essentiel du matériel disponible sur le Vieux Continent est aujourd’hui soit importé, soit fabriqué à l’étranger par une entreprise européenne.
De ce fait, certains secteurs d’activité sont difficilement relocalisables, à cause du manque de main-d’œuvre qualifiée – malgré la présence d’un capital humain non négligeable – et l’automatisation des processus et de la production par les entreprises relocalisées qui demeurent insuffisants.
Cet écart montre que, dans les PECO, les autorités publiques doivent encore repenser leur modèle économique en améliorant notamment les formations qualifiantes de la main-d’œuvre locale et en investissant davantage dans la recherche et le développement (R&D).
À ce propos, selon le rapport du World Economic Forum (WEF) sur la compétitivité mondiale de 2018, les dépenses en R&D sont relativement faibles dans les PECO (1%) par rapport aux pays de l’Europe occidentale (2,3% en moyenne), comme la France (2,9%), l’Allemagne ou l’Autriche (3,1% chacun). Le basculement du travail en distanciel dans de nombreux domaines comme la finance, la vente et l’informatique pourrait recentrer les avantages comparatifs au profit de l’Europe occidentale. C’est à ce prix d’ailleurs que cette zone pourrait tirer profit de l’accélération du mouvement de relocalisation.
Nassima Ouhab-Alathamneh est Enseignante en économie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières / Article initialement publié sur The Conversation sous licence creative commons / Photo: Vue panoramique de Varsovie avec, au centre, le Palais de la Culture et de la Science – source Service presse Commission européenne
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