Moscou entend-t-elle seulement montrer ses muscles ou se prépare-t-elle à une nouvelle action hostile envers l’Ukraine, à l’image, sept ans en arrière, de l’annexion de la Crimée et du déclenchement du conflit dans l’Est du pays? Réponse, sans doute, le 21 avril prochain.
N’en déplaise à la mémoire occidentale, la guerre initiée en 2014 entre la Russie et l’Ukraine dans le Donbass n’a jamais pris fin. En faisant de la politique de l’Autruche sa ligne de conduite en matière de politique étrangère, l’Europe et les Etats-Unis ne sont, dans les faits, que parvenus à offrir un sentiment d’impunité à Vladimir Poutine, qui a mené à l’aggravation actuelle du conflit. Sans doute, la baisse de popularité de l’hôte du Kremlin dans son propre pays est-elle un autre motif à prendre en considération. Le terrain de jeu ukrainien pourrait l’aider à regagner du crédit auprès de son électorat, de la même manière qu’en 2014 avec l’annexion de la Crimée, en annexant cette fois des les soi-disantes républiques de Donetsk (RPD) et de Luhansk (RPL) ou en en reconnaissant «l’indépendance». Comme cela fut le cas par le passé le cas avec la Transnistrie, l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud, le coup pourrait être gagnant.
Pourquoi Poutine concentre-t-il l’armée aux frontières de l’Ukraine?
Pourtant, si le Kremlin ne nie pas une forte présence militaire aux frontières orientales de l’Ukraine, celui-ci écarte officiellement toute velléité belliqueuse… tout en précisant que ses troupes y resteront stationnées aussi longtemps qu’il le jugerait bon… Officiellement, toujours, selon le président Vladimir Poutine, l’effet domino «d’actions de provocation dangereuses» serait attribuable à Kiev, qui aurait notamment refusé de remplir ses obligations en vertu des accords de Minsk pour résoudre le problème du Donbass. Dans l’attente, Moscou accélère le transfert de troupes en Crimée et à la frontière russo-ukrainienne, à proximité des territoires contrôlés par les séparatistes pro-russes; le président ukrainien Volodymyr Zelensky, lui, compte les pertes: 20 soldats ukrainiens tués et 57 blessés depuis le début de l’année, 50 soldats décédés en 2020 ; et les médias nationaux russes proches du pouvoir intensifient leur rhétorique expansionniste, au point de faire craindre un effondrement de l’équilibre instable de la sécurité internationale.
«Mère Russie, ramène le Donbass à la maison»: cet appel de Margarita Simonian, la présidente de la société de télévision du Kremlin Russia Today, est ainsi devenu l’événement principal, sinon le leitmotiv, du Forum russe du Donbass, qui eut lieu le 28 janvier dernier dans la partie orientale de l’Ukraine occupée. Un épisode qui marqua le début d’une nouvelle escalade de la guerre hybride du régime de Poutine contre l’Ukraine, après un cessez-le-feu record de six mois au second semestre 2020.
Dans la même période, en effet, le nombre d’affrontements sur la ligne de contact entre pro-russes et armée régulière ukrainienne ne cessait étonnamment d’augmenter. Bien que les deux parties s’accusent mutuellement de l’escalade du conflit, le lien entre les deux événements – tout deux produit en janvier – n’est pas sans interroger. Certes, le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, a déclaré que les appels à l’annexion du Donbass ukrainien lancés pendant le forum ne reflétaient en rien la position officielle du Kremlin, mais force est de constater que Margarita Simonian, qualifiés dans certains milieux de «Goebbels» personnel de Poutine, n’a guère pour habitude de lancer ce genre d’appel à «l’annexion» sans le visa de l’administration présidentielle. Les événements ultérieurs n’ont d’ailleurs fait que confirmer cette suspicion, Dmitri Kozak, qui supervise les «problèmes ukrainiens» au sein de l’administration présidentielle russe, ayant récemment déclaré que la Russie pourrait être forcée de protéger les citoyens du Donbass à qui plus de 600.000 passeports russes ont commencé à être délivrés depuis le 14 juin 2019.
Le 21 avril, Poutine annonce l’annexion du Donbass?
Annoncer l’annexion – ou la reconnaissance de l’indépendance – du Donbass lors de son discours présidentiel du 21 avril à l’Assemblée fédérale, scellerait à n’en pas douter une grande victoire propagandiste pour Vladimir Poutine, qui plus est à deux jours de la célébration annuelle de l’annexion de la Crimée. Mieux, la réunion du Conseil de la Fédération, qui doit se tenir quelques jours à peine après après l’allocution de l’hôte du Kremlin, pourrait avaliser l’annexion du Donbass, en le déguisant des attraits de la légalité et revigorer les soutiens présidentiels en vue des élections législatives de septembre 2021. Autre coup potentiellement gagnant, la menace d’escalade militaire pourraient être utilisée, dans des actions parallèles à l’annexion du Donbass, comme levier de négociations avec l’Occident, tant dans le cadre régional qu’international.
Sans nul doute, Vladimir Poutine s’attend-t-il à ce que la seule réaction de l’Occident ne se limite, comme de coutume, qu’à quelques traditionnelles offuscations diplomatiques ou autres résolutions parlementaires satisfaisant les opinions publiques européennes mais sans le moindre effet juridique ou coercitif positif. Si l’espoir est objectivement mince, espérons néanmoins que cette fois-ci, Bruxelles et Washington sauront le décevoir.
Olivier Védrine est Professeur (h.c.), Rédacteur en chef de The Russian Monitor / Photo: Ministry of Defense of Ukraine sous licence creative commons
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