Parlement européen - Une féminisation en trompe-l’œil (2/2): Une domination masculine encore présente au sein de l’hémicycle

Si la part des femmes au sein du PE augmente régulièrement, celle-ci constitue cependant un indicateur assez pauvre pour appréhender leur intégration au sein de l’institution.

Suite de l’étude de Victor Lepaux et Céline Monicolle. Outre certains plafonds de verre nationaux et partisans, qu’en est-il vraiment de la représentation des femmes au sein des organes décisionnels du Parlement? Une parité femme-homme est-elle vraiment assurée ou se heurte-t-elle ici encore à une certaine forme de domination masculine?

(Par Victor Lepaux et Céline Monicolle) – A l’instar de l’approche mise en œuvre par Catherine Achin concernant les parlementaires français , nous avons cherché à voir qui occupe les fonctions de direction au PE afin d’étudier une éventuelle «ségrégation verticale» liée à la détention du «leadership parlementaire européen». Nous avons également étudié dans quelles commissions siègent les hommes et les femmes du PE. Élément central de l’exercice du travail parlementaire, l’appartenance à des commissions, qui relèvent de domaines d’intervention politique fortement diversifiés, permet en effet d’appréhender une des formes possibles de la «ségrégation horizontale» à l’œuvre.

Une apparente parité dans les fonctions de direction au sein du Bureau…

Au début de la législature actuelle, 156 députés (20,9%) occupent une position de direction (20 membres du Bureau, 57 présidents ou vice-présidents de groupe et 86 présidents ou vice-présidents de commission). Si l’accès à de telles positions est principalement lié à l’investissement au sein de l’assemblée européenne ou, à défaut, à une carrière politique de premier plan au niveau national, il apparaît qu’hommes et femmes n’occupent pas exactement les mêmes postes. De manière générale, si les députés occupent ces positions dans des proportions qui sont proches de celles de leur représentation au sein de l’Assemblée (les hommes représentent 59,7% des élus et occupent 57,1% des positions de direction), des différences sont observées selon l’importance du poste de direction. Une parité parfaite est respectée au sein du bureau du Parlement européen, organe de direction qui regroupe le Président (seulement deux femmes depuis 1979 pour 14 hommes), les 14 Vice-présidents (dont 8 femmes) ainsi que 5 questeurs en charge des questions administratives et financières concernant les députés (dont 2 femmes).

et des Commissions…

Pour ce qui est des commissions, chacune d’entre elles élit, parmi ses membres titulaires, un président et jusqu’à quatre vice-présidents qui, collectivement, constituent le bureau de la commission pour une durée de deux ans et demi. Si 9 présidents de commissions sur 20 et 29 vice-présidents sur 66 sont des femmes au début de la 9e législature, la répartition au sein des postes de direction est fortement genrée notamment pour les postes de vice-présidents. Les députées femmes occupent principalement des postes de direction au sein des commissions les plus féminisées renforçant un peu plus la spécialisation observée pour l’ensemble des membres. Ainsi, elles occupent assez fréquemment des postes de direction dans les commissions où elles sont déjà surreprésentées et beaucoup plus rarement dans celles où elles sont sous-représentées (Annexes – Tableau C).

…moins effective au sein des groupes

Au sein des groupes politiques, les postes de présidents sont préférentiellement attribués aux hommes (7 sur 10) ce qui est un peu moins vrai pour les postes de vice-présidents (19 femmes sur 47 postes). Seuls les Socialistes et Démocrates (S&D), la Gauche Unitaire (GUE) et les Verts et ont une femme à leur tête (coprésidence paritaire pour ces deux derniers groupes). Les autres groupes sont tous dirigés par des hommes (le groupe des Conservateurs et Réformistes a même une coprésidence exclusivement masculine). La représentation des femmes dans ces fonctions de direction des groupes politiques (38,6 %) marque un recul par rapport à la législature précédente (42,3 %).

De manière générale, si l’on considère l’ensemble des postes de direction (Bureau, Commissions, groupes), les formations situées à gauche de l’échiquier parlementaire européen sont celles qui attribuent le plus de postes aux femmes. Les groupes S&D et Verts ont même davantage de femmes que d’hommes aux postes de direction tandis que la GUE respecte une parfaite parité. Le Renew Europe Group et les S&D surreprésentent de manière relativement importante les femmes aux fonctions de direction (respectivement +13 et +10 points par rapport à leurs poids au sein de ces groupes). À l’inverse, les groupes conservateurs et eurosceptiques placent davantage d’hommes aux postes de direction, en volume comme en proportion. On retrouve ainsi dans la distribution des postes de direction les mêmes logiques, évoquées en première partie, qui sont à l’œuvre dans la répartition femmes – hommes au sein de groupes politiques.

Une division sexuée du travail parlementaire toujours à l’œuvre…

Si la composition de ces commissions (de 25 à 76 membres titulaires), qui fait l’objet de négociations importantes notamment entre les différentes délégations, est censée refléter celle de l’assemblée plénière en fonction des groupes politiques, on constate toutefois une répartition fortement sexuée de celles-ci, conformes aux normes de genre. De manière générale et à l’instar de ce que l’on observe dans les parlements nationaux comme le parlement français, les femmes sont surreprésentées dans les commissions relevant de compétences ou activités classiquement considérées comme plus féminines (éducation, santé ou action sociale) alors que les hommes le sont dans les commissions relevant de domaines régaliens (secteurs industriels, économiques ou politiques). Ainsi, il n’est pas seulement anecdotique, mais aussi révélateur de constater qu’au cours de la neuvième législature, les femmes occupent 32 des 35 sièges de la commission Droits de la femme (alors qu’elles ne représentent que 37 % de la sous-commission Droits de l’homme). Elles sont également majoritaires dans deux autres commissions : celles de l’Emploi et des affaires sociales (58 %) et de l’Environnement, santé publique et sécurité alimentaire (51 %). En revanche, elles sont nettement sous-représentées (moins d’un membre sur trois) dans les commissions des Affaires Juridiques, des Affaires étrangères, du Budget, des Affaires économiques et monétaires et des Affaires Constitutionnelles. De plus, aucune évolution en faveur d’une répartition moins sexuée n’est observable puisque cette ségrégation sexuée des commissions était quasiment identique lors des 7e et 8e législatures.

Figure 2: Part d

malgré un investissement professionnel important.

Les femmes occupent des postes moins importants au sein de l’hémicycle que leurs collègues masculins, alors même qu’elles semblent s’y investir davantage. Une des possibilités, d’une portée limitée, mais objective, d’appréhender l’investissement des élus est de considérer les indicateurs quantitatifs de l’activité parlementaire. Ainsi, ceux-ci, recensés à la fin de la 7° législature, pour chacun des 853 députés ayant siégé au sein du PE depuis l’élection de 2009, montrent que les femmes interviennent plus fréquemment que les hommes en séance plénière. Elles rédigent également davantage de rapports parlementaires, sont plus nombreuses à rendre des avis, à faire des propositions de résolutions ou des déclarations écrites, ou encore à formuler des questions.

Ce constat d’un plus fort niveau d’activité des femmes concerne aussi bien les élues des pays de l’ancienne «Europe des 15» que celles issues des élargissements des années 2000. Il concerne également l’ensemble des groupes politiques. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, ni le niveau d’expérience au PE, ni les trajectoires politiques précédentes dans la sphère nationale ne permettent d’expliquer le surinvestissement des femmes (ou le sous-investissement des hommes) dans l’assemblée européenne. En effet, les femmes observent des niveaux d’activité plus élevés que les hommes, parmi les réélus comme parmi les nouveaux élus. Et quelle que soit leur carrière politique précédant leur entrée au PE (ancien ministre, parlementaire national, élu local ou régional ou aucun mandat), les femmes observent toujours des niveaux d’activité supérieurs à ceux des hommes.

Ce surinvestissement professionnel s’explique donc nécessairement par un effet de genre qu’il reste à expliquer. En effet, les indicateurs similaires disponibles concernant les élus de l’Assemblée Nationale française ne montrent pas de telles différences entre hommes et femmes (les femmes ont une activité plutôt moins importante que les hommes, mais ceci s’explique essentiellement par leur surreprésentation parmi les nouveaux élus). Contrairement à ce qu’il se passe au palais Bourbon, l’ancienneté des élus au PE ne semble pas avoir d’influence sur leur niveau d’activité.

Les femmes députées s’investissent donc davantage que les hommes au sein du PE, dans leur travail parlementaire, et ce, quel que soit le type d’activités étudié. Cependant, ce surinvestissement ne se concrétise pas forcément par des positions plus élevées et la répartition des députés au sein des différentes commissions reste encore très majoritairement genrée.

La féminisation du PE engagée depuis 40 ans apparaît donc comme un processus encore en cours à l’heure actuelle. Si la part des femmes au sein du PE augmente régulièrement, celle-ci constitue cependant un indicateur assez pauvre pour appréhender leur intégration au sein de l’institution. Le discours de type benchmarking de l’institution, qui se réjouit d’être plus féminisée que les assemblées des États qui composent l’Union européenne tout en regrettant de ne pas être parvenue encore à la parité, ne résiste pas aux données statistiques qui dévoilent plutôt une féminisation contrastée, par défaut et en trompe-l’œil. L’évolution positive de la représentation des femmes au sein du PE a connu par le passé des ralentissements, liés notamment aux élargissements successifs, et elle est aujourd’hui bien moindre que celle observée dans les années 1990. En outre, deux Europe, en matière de féminisation, se côtoient sans qu’un rapprochement entre les deux ne se dessine. Et si les femmes accèdent davantage au poste d’eurodéputée qu’aux mandats politiques nationaux, c’est en partie dû au fait que ces postes sont délaissés par les hommes qui les considèrent comme de moindre importance. Elles s’investissent en outre davantage que les hommes dans le travail parlementaire. Cet investissement plus fort ne se traduit cependant pas dans l’espace des positions occupées qui reste marqué par des formes de ségrégation importantes. La représentation des députées parmi les positions de pouvoir rend compte de la hiérarchisation à l’œuvre au sein du PE. Celle-ci semble aujourd’hui relativement paritaire, sauf pour ce qui concerne le leadership des groupes politiques, notamment ceux de la droite et du centre. De plus, on observe encore aujourd’hui une division horizontale ou thématique importante au sein des Commissions.

Un prolongement nécessaire de l’analyse mise en œuvre ici serait d’observer attentivement les postes occupés après un mandat européen (démission, non-réélection), et la succession de ceux-ci, afin d’appréhender les effets de ce type de position sur la carrière. Nos indicateurs laissent en effet supposer que le mandat de député européen, parce qu’il n’est pas investi pour les mêmes raisons et dans les mêmes mesures par les hommes et les femmes, offre sans doute des opportunités de carrière sur la scène politique nationale différenciées selon le genre; opportunités qu’il conviendrait d’étudier plus finement.

Victor Lepaux est Ingénieur de recherche CNRS Méthodes des sciences humaines et sociales – Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme – Alsace / Céline Monicolle est ingénieure d’études CNRS Production, traitement, analyse de données et enquêtes – Co-responsable de l’axe 4 de SAGE – Co-coordination du GLISSS – Groupe local des ingénieurs en sciences sociales de Strasbourg (avec Sandrine Knobé) / Photo: Service presse Parlement européen.

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