Pendant que l’OTAN, quasi-moribonde, se divise, qu’une crise diplomatique sans précédent malmène les relations entre Paris, Washington, Canberra et Londres, l’UE, solidaire de la position française, essaye de préciser une politique de défense commune.
On croit rêver ou plutôt -avec le recul- cauchemarder en lisant… «Péril». C’est le titre du dernier ouvrage publié par Bob Woodward, le journaliste-star américain. Celui-là même qui, en 1974, avait provoqué la chute de Richard Nixon en révélant le «scandale du Watergate»! Rédigé avec la collaboration de son confrère du Washington Post, Robert Costa, le livre fait état d’une interview du général Mark Milley, le Chef d’Etat-major des armées, révélant qu’il avait téléphoné, à deux reprises, à son… homologue chinois pour le rassurer sur les intentions américaines et lui garantir que les Etats-Unis de Donald Trump n’avaient pas l’intention d’attaquer la Chine.
Un peu plus d’un siècle après l’intervention de huit pays (dont les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, la Grande Bretagne, le Japon) en Chine, pour mater une révolte et occuper Pékin, ce qui continue de traumatiser les Chinois (1), la démarche – en marge de la légalité – du général ne manquait pas de sens des responsabilités: elle illustre combien les tensions avec Pékin hantaient l’Amérique de Donald Trump. Les tensions continuent avec Joe Biden: si elles sont moins frontales, elles mobilisent les énergies de la politique étrangère américaine: au point que le strasbourgeois Dominique Moïsi, politologue, membre-fondateur de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) estime que, avec les enjeux de la zone indo-pacifique, vient de naître la nouvelle guerre froide!
Un «trop-plein» à la… Donald Trump!
Ces enjeux sont au cœur de cette «alliance stratégique Aukus» que viennent de créer, au grand dam des intérêts de la France, les Etats-Unis, l’Australie et la Grande Bretagne. Aux historiens, «Aukus» ne peut pas ne pas faire penser à ce «péril jaune» dont l’idée avait fait en 1897, le titre d’un ouvrage de Jacques Novicow, un sociologue, professeur de l’Université d’Odessa, avant de devenir un thème central de préoccupation pour l’empereur Guillaume II et d’être justifié, en quelque sorte, dans cette phrase de l’essayiste Edouard Théry écrivant en… 1901: «nous touchons un moment tragique où le trop-plein de la Chine débordera par-dessus ses murailles!» On dirait du… Trump!
Pour les diplomates, cette approche n’est plus d’actualité, même s’il s’agit de contenir les ambitions d’un «empire céleste», véritable challenger des Etats-Unis, numéro «un» de l’économie mondiale, dont l’ambition est – notamment – de faire, au grand dam des riverains, de la Mer de Chine, une «mare nostrum», à l’image de ce que les Romains avaient fait de la Méditerranée! Toute la zone indo-pacifique est secouée par les ambitions chinoises et l’Australie qui, pendant longtemps, a signé des accords commerciaux avec Pékin, a tout tenté pour empêcher une mainmise chinoise sur la région.
La commande à la France de 12 sous-marins pour plus de 50 milliards d’euros, remportée devant les concurrents allemand et japonais, s’inscrivait dans cette politique d’opposition, d’autant qu’elle était liée à la conclusion d’accords de coopération géostratégique.
Malgré ses territoires ultra-marins, la France écartée!
La France, à travers ses territoires ultra-marins, ses 8.000 militaires installés sur place et les missions de surveillance de ses sous-marins nucléaires, avait toute sa place dans cette alliance trilatérale. C’est cet aspect, bien plus que les conséquences économiques de la dénonciation brutale et unilatérale de la commande de sous-marins, qui a déclenché la réaction indignée d’un gouvernement français que la création «d’Aukus» écarte d’un trio de partenaires qui veut permettre à l’opinion britannique, d’adhérer à l’idée qu’il s’agit là d’une concrétisation de la politique de «Global Britain» que Boris Johnson a posé en alternative à l’Union Européenne (UE)… brexitée! Car cela ne fait pas de doute, le Premier Ministre britannique, approché par un premier ministre australien qui, face à la Chine, voulait bénéficier du parapluie nucléaire américain, a été le marchepied d’un accord auquel Joe Biden, d’abord réticent, a finalement souscrit!
Le rôle de la Grande Bretagne ne va pas faciliter le retour à des relations normales entre Londres et Paris. Les contentieux entre les deux capitales sont déjà lourds: Boris Johnson, qui reprochait à Paris son intransigeance dans les négociations de la sortie de l’UE et de l’après-Brexit (conflit autour de la frontière entre les «deux Irlandes») de ne pas gérer les flux de réfugiés venus illégalement de Calais. Les pouvoirs publics français critiquent les conditions de livraisons (souvent insuffisantes) de vaccins anti-Covid-19, la résiliation du contrat de livraison de vaccins conclu avec le laboratoire Franco-Autrichien Valneva, l’intervention de navires de la Royal Navy dans le conflit des zones de pêche ouvertes aux Français…
L’éternel retour de la «perfide Albion!»
D’ici que revienne la notion de «perfide Albion» que l’évêque Bossuet avait créé au… XVIIème siècle! Il n’empêche que la dénonciation de la vente des sous-marins, la manière dont la décision a été prise en secret, sans ce minimum de concertation qu’on aurait pu attendre de la part d’alliés, a provoqué une crise profonde entre Paris, Washington, Canberra (2) et Londres. Les partenaires de l’UE ont témoigné de leur solidarité avec la France dans une crise provoquée une fois de plus – après la débâcle de Kaboul – par la manière dont les Etats-Unis, souverains, imposent sans vergogne leurs décisions à leurs alliés de l’OTAN. Le «America first» passe de moins en moins. Ursula von der Leyen, qui avait présenté un plan géostratégique de l’UE pour la zone indo-pacifique (!) et qui avait annoncé qu’elle allait étudier avec Emmanuel Macron, la mise en place d’une stratégie européenne de la défense, a condamné l’attitude américaine.
Une Europe solidaire
Présidente de la Commission Européenne et ancienne Ministre allemande de la Défense, elle a rappelé: «II s’agit d’une question stratégique pour l’Union Européenne et pas d’un simple sujet commercial pour un Etat-membre.» Et Charles Michel, en sa qualité de Président du Conseil Européen, de souligner: «Les Etats-Unis sont obsédés par leur lutte contre la Chine et leur stratégie indo-pacifique, l’indépendance stratégique de l’Union Européenne est plus nécessaire que jamais.»
Devant l’Assemblée générale des Nations Unies, Joe Biden – avec humour ou cynisme? – a nié les risques de guerre froide nés dans la zone indo-pacifique: «…j’ai accordé la priorité à la reconstruction de nos alliances, à la revitalisation de nos partenariats et à la reconnaissance qu’ils sont essentiels à la sécurité et à la prospérité de l’Amérique», a-t-il affirmé !
Pendant que l’OTAN, quasi-moribonde, se divise, qu’une crise diplomatique sans précédent pourrit les relations entre Paris et Washington et que l’UE, solidaire de la position française, essaye de préciser une politique de défense commune!
10.000 participants aux manœuvres sino-russes!
Peut-être est-ce le moment de rappeler que la Russie et la Chine ont engagé, le mois dernier, 10.00 soldats dans des manœuvres communes destinées à «renforcer les efforts conjoints!» Les Chinois en ont profité pour utiliser le «J.20», leur nouvel avion furtif. Tandis que la collaboration militaire entre les deux pays s’intensifie, la Chine continue de menacer Taïwan, intègre de plus en plus Hong-Kong et menace de représailles, la … Lituanie qui vient de nouer des relations diplomatiques avec Taïwan.
La Corée du Nord teste de nouveaux missiles
La Russie de Poutine vient de signer de nouveaux accords d’intégration avec la Biélorussie du dictateur Loukachenko, tandis que la fausse guerre du Donbass menace l’Ukraine et que la junte au pouvoir à Bamako (Mali) envisage de faire appel à des mercenaires russes pour assurer sa sécurité! Qui donc parlait d’une «nouvelle guerre froide»?
(1) Référence à la «Révolte des Boxers» (1900/1901), une révolte nationaliste réprimée par une intervention de huit nations.
(2) Le stationnement de navires à propulsion nucléaire est, en principe interdite en Australie et Nouvelle Zélande (Traité signé en 1951, dit «ANZUS», dont… les USA sont cosignataire!)
Alain Howiller est chroniqueur pour Eurojournalist.eu, ancien rédacteur en chef des Dernières nouvelles d’Alsace / Photo: Ursula von der Leyen, Joe Biden et Charles Michel (de gauche à droite) / Photographe: Dati Bendo / European Union, 2021 / Source: EC – Audiovisual Service
© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.