Il parait encore difficile et prématuré aujourd’hui de mesurer l’impact de la crise sanitaire en raison d’incertitudes majeures sur la durée de l’épidémie et le processus de déconfinement en cours (en France, en Europe et dans le Monde). L’exercice est d’autant plus difficile qu’il n’y a pas de comparaison possible avec un choc passé – crise sanitaire généralisée. Les analyses doivent intégrer des impacts difficilement mesurables à ce stade comme la chute combinée du commerce mondial, du système productif et de la consommation – impacts directs ; ou bien l’instabilité des marchés financiers, les tensions sur le financement des entreprises, les réactions des autorités publiques et les comportements face aux incertitudes – impacts indirects. Trois facteurs clés peuvent néanmoins éclairer l’analyse: international, consommation, financement des entreprises.
Facteur clé 1: le commerce mondial, une chute totale et décalée
(Par Olivier Cuissard et Olivier Védrine) L’origine des déséquilibres réside dans le fait que la moitié de la planète a été en confinement total ou partiel en 2020 ( > 80 pays, > 3 milliards d’habitants). De ce fait, les échanges mondiaux ont été fortement endommagés (logistique, appareils productifs, demande), alors même que la croissance du commerce mondial était déjà au plus bas depuis 10 ans avant la crise (1.2% en 2019). Cela induit un impact majeur pour l’économie française puisque les effets de l’épidémie sont décalés et que la crise frappe les principales zones économiques mondiales (Chine, Etats-Unis). La Chine a été la première à être entrée dans la crise – origine du virus, et se trouve de ce fait la première à en sortir.
Après un premier trimestre 2020 à l’arrêt total, et une année 2021 amputée, les premiers signes de sortie du tunnel apparaissent, même si le retour à la normale sera long. Notons que la propagation de la maladie ralentit et le confinement est progressivement levé; l’activité reprend progressivement (raffineries de pétrole, réouverture des ports, commerces, usines…). Néanmoins, nous sommes sur un terrain fragilisé par des entreprises massivement endettées (170 % du PIB) et des banques très fragiles. Egalement, les principaux clients de la Chine sont également en grandes difficultés (US, Europe, ASEAN); le modèle chinois donnant lui aussi déjà des signaux d’essoufflement avant la crise (croissance la plus faible depuis 30 ans).
L’Europe au cœur de la tempête: jusqu’à quand? Pour la première fois depuis 1945, l’économie européenne est ralentie depuis deux ans. Nous ne possédons pas encore de mesures exactes de l’ampleur de l’impact économique mais les premiers indicateurs conjoncturels témoignent d’un choc sans précédent. Avec des déconfinements décalés, toute la zone sera affectée. Des inquiétudes persistent pour les économies les plus fragiles, surtout l’Italie qui était déjà en récession avant.
Aux Etats-Unis, la vague traverse le pays: jusqu’où? A l’image du virus, un raz de marée économique s’est propagé en moins d’un mois au printemps 2020. Les premiers chiffres pour l’emploi sont terrifiants et historiques: 16 millions de nouveaux chômeurs inscrits en trois semaines! (500.000 emplois détruits dans l’hôtellerie et la restauration juste en mars-avril). En l’absence de filets de protection sociale, cette hémorragie d’emplois a un effet domino ravageur sur l’économie. Pour exemple, l’endettement des ménages a dépassé avant la crise le niveau de 2008; la confiance des ménages a commencé à s’effondrer et les points névralgiques de l’économie sont frappés: New-York, Californie, …
Facteur clé 2: la consommation et les services
Sur ce sujet, nous pouvons d’ores et déjà identifier deux effets inédits de la crise. D’abord un impact du confinement sur le moral et les dépenses des ménages. Pendant le confinement: une chute généralement attendue de -20% à -30% de la consommation globale. Après le confinement: incertitudes sur le rythme de rattrapage (revenus / chômage / habitudes de consommation…). Les précédents reculs négatifs en Europe (2009, 2013) devraient être largement dépassés.
Ensuite, les entreprises de services apparaissent particulièrement touchées: les PME de services sont les plus affectées par le confinement et ont souvent une situation financière plus fragile que les grandes entreprises industrielles; et, contrairement aux crises historiques, c’est par le canal des services que les effets les plus forts sont attendus.
Facteur clé 3: le financement des entreprises. Les banques européennes sont fortement attaquées sur les marchés.
Nous notons d’abord une crainte d’un effet fort de la crise sur la qualité des créances détenues (capacités de remboursements, faillites…) (la Coface prévoit des défaillances d’entreprises en hausse de 25% à 50% suivant les pays). Nous observons cette fois-ci une chute des cours des actions bancaires de 40% début 2020 (en 2008, la baisse avait atteint 80%). L’octroi de crédits aux entreprises jouera un rôle majeur pour le calendrier de reprise … (lors des crises de 2008 et 2011, le credit crunch avait contribué à l’installation de la récession), … et ce d’autant que le coût de financement direct sur le marché se tend.
Au sujet de la doctrine du «A n’importe quel prix»: les vannes monétaires et budgétaires se sont trouvées totalement ouvertes. Les mesures monétaires ont porté sur un abaissement des taux ramenés brutalement à zéro aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, et ailleurs, un rachat par les Banques Centrales des obligations publiques (et certaines privées) détenues par les banques commerciales et plans de refinancement des banques pour faciliter les crédits (BCE: 1000 Mds EUR; Fed: illimité).
Les mesures budgétaires: plus de 5.000 Mds USD d’aides budgétaires annoncés dans le monde (aides directes et fonds de garanties de prêts), dont 2.300 Mds USD aux Etats-Unis (13% du PIB), 345 Mds EUR en France (15% du PIB), 750 Mds en Allemagne (25% du PIB) (année 2020). L’UE a annoncé un plan commun de 500 Mds (Coronnabonds); et la doctrine budgétaire en Europe est abandonnée; déficits et dettes vont s’envoler (entre 10% et 20% du PIB).
Le premier semestre de l’année 2020 a connu une chute historique du PIB. Selon l’INSEE, une semaine de confinement équivaut à une baisse de 35% de l’activité globale. Selon la Banque de France, sur cette même période, le PIB français a connu un repli de – 6% au premier trimestre – la plus forte chute depuis 1945. Le repli du PIB s’élevait à -15 % au deuxième trimestre (début de déconfinement le 11 mai). Les scénarios ont été identiques en Europe et aux Etats-Unis; impact concentré en T1 en Chine puis début de reprise en T2.
Les marchés financiers reflètent cette crise hors-norme. L’une des réactions les plus violentes et brutales jamais enregistrée avec, en un mois, une chute des 2/3 de celles des précédentes crises ayant duré deux ans (2000-02, 2007-09) ; une volatilité historique – le double que lors des dernières crises boursières! – ; et tous les actifs financiers pris dans la tempête (pétrole, matières premières, devises des pays émergents, …).
Une correction logique est en cours (rachats à bas prix, annonces des autorités, accalmie en Chine), mais au vu des perspectives économiques, il est difficile de penser que le pire est passé (la baisse est encore limitée au vu des précédentes crises – le CAC 40 est juste revenu sur sa moyenne de long terme-). Le bras de fer entre les perfusions des Banques centrales et les menaces de l’économie réelle va se poursuivre.
Après cette brève analyse économique, il apparait évident que la prudence s’impose sur les scénarii à attendre, mais il est clair que la crise est hors-normes et que ses effets seront inédits; l’arrêt soudain de l’activité dans une grande partie du monde provoque une récession profonde, globale et historique et le chemin de la reprise sera chaotique et très incertain.
Olivier Cuissard et Olivier Védrine sont co-auteurs de l’ouvrage «Crises et régulations – Singularité et insuffisance des institutions», publié aux Editions universitaires européennes / Olivier Cuissard est Directeur de l’Institut Catholique de Paris – Campus de Reims / Olivier Védrine est Professeur (h.c.) et rédacteur en chef du Russian Monitor, membre de l’Association Jean Monnet. / Photo: BCE / Photographe: Daniel Roland / European Union, 2017 / Source: EC – Audiovisual Service
© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.