Persiste et signe: après d’ultimes retouches (mineures), la Commission Européenne vient d’envoyer son «acte délégué» (autrement dit un «décret») sur ce qu’on appelle «la taxonomie» (ou «plan vert») au Conseil de l’Union européenne et au Parlement européen, à charge pour ses interlocuteurs de répondre dans un délai de quatre à six mois. La formule de «l’acte délégué», auquel il s’agira de dire «oui» ou «non», sans possibilité d’amendement, constitue un essai de passage en force, après des mois de discussions en interne et avec les Etats membres qui ont mis en exergue, des divergences non négligeables sur un texte qui entend dresser le cadre qui doit permettre à l’UE d’arriver à une «neutralité carbone d’ici à 2050».
Pour cela, le décret définit les activités économiques qui auront un impact favorable sur l’environnement et bénéficieront, en quelque sorte, d’un «label vert». Ce «label» facilitera leur accès à des investissements privés ou publics (y compris de l’argent versé par des Institutions européennes ou des gouvernements nationaux). C’est dire l’importance de cette «taxonomie» dont les enjeux économiques et financiers sont évidemment considérables!
Une énergie de «transition»!
Les débats pour être classées «activités vertueuses» au regard des exigences environnementales, ont été vifs, essentiellement entre les partisans -France en tête- de l’énergie d’origine nucléaire qui n’émet pas de gaz polluant à effet de serre, mais qui génère des déchets difficiles à traiter et les utilisateurs/producteurs de gaz naturel – Allemagne en tête – qui voient dans cette énergie un moyen de préserver leur approvisionnement (notamment… russe!) et de se débarrasser à bon compte de leurs centrales à charbon polluantes! Ce n’est sans doute pas un hasard si la relance, annoncée à Belfort par Emmanuel Macron, d’un nouveau programme en faveur de l’énergie d’origine nucléaire, a été officialisée quelques jours à peine après la publication (le 2 février) de la version définitive de «l’acte délégué» de la Commission européenne reconnaissant au nucléaire (et au gaz naturel), leur place dans la taxonomie verte de l’UE.
La solution de compromis acceptant, malgré les réserves d’un certain nombre de pays conduits par l’Autriche, les deux sources énergétiques, a donné satisfaction à la France (qui s’en félicite) et à l’Allemagne. Les mesures annoncées ont finalement été adoptées par la majorité des membres de la Commission qui n’a pas réussi à faire l’unanimité, comme c’était jusqu’ici l’usage dans la plupart des décisions prises! Pour justifier sa décision, acquise après des mois de débats et l’étude de d’analyses scientifiques contradictoires (1), la Commission a qualifié les deux sources énergétiques de «formules de transition».
Une réaction allemande et un «label vert»
Celles-ci sont acceptées, compte tenu des besoins et faute de moyens de substitution et dans l’attente d’une renonciation (notamment dans le traitement des déchets d’origine nucléaire) que permettraient la recherche et les évolutions technologiques. Les deux sources sont, en outre, soumises à un certain nombre de conditions limitant leur mise en œuvre ou leur prolongation à un calendrier strict: l’utilisation des centrales à gaz naturel est acceptée jusqu’en 2035, les centrales nucléaires bénéficieront du «label vert» si leur permis de construire est signé d’ici à 2045, l’extension des lieux de production existants devant être autorisée jusqu’en 2040.
La réaction allemande a été immédiate après la publication du «décret» européen: «Nous avons clairement dit et nous le répétons, qu’intégrer l’énergie nucléaire dans la taxonomie est une faute lourde», a commenté Robert Habeck, le Ministre de l’Economie et du Climat qui avait annoncé que l’Allemagne s’opposera à la mesure. Un communiqué signé du Ministre et de Steffi Lemke, sa collège (également du parti des Verts), Ministre de l’Environnement, rappelle la position allemande. Anna Luhrmann, Ministre adjointe (Verts) aux affaires européennes et au climat, s’était risquée précédemment à souligner (alors que le pays venait de fermer trois des six dernières centrales à «l’atome»): «L’énergie nucléaire n’est pas une énergie durable parce que nous ne savons pas ce qu’il adviendra des déchets nucléaires… L’Allemagne anti-nucléaire accepte d’être en désaccord avec la France pro-nucléaire… cela ne fragilisera pas nos relations!» Le parti libéral FDP, membre de la coalition au pouvoir à Berlin, est, lui, favorable au nucléaire tandis qu’on attend la position du chancelier qui aurait manœuvré au moment de la négociation du contrat de coalition pour que le risque du différend franco-allemand ne puisse pas paraitre à travers le texte signé!
Conseil et Parlement Européen: quelle décision?
A l’opposition allemande, se joignent notamment le Danemark, l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède, le Luxembourg, l’Espagne. La position (favorable) française est soutenue par la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque, la Slovénie, la Finlande, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie (tous des pays soucieux de construire des centrales nucléaires ou à gaz naturel pour renoncer au charbon).
Pour être rejetée par le Conseil de l’Union, la proposition de la Commission doit réunir les voix des représentants de 20 des 27 membres représentant 65% de la population de l’UE. Compte tenu de cette disposition, un blocage a peu de chances d’être réalisé et le texte sera adopté. Le Parlement européen, par contre, peut rejeter le texte à la majorité: c’est dire le lobbying qui a commencé auprès des parlementaires de l’assemblée de Strasbourg pour éviter que le texte ne soit rejeté. Rien n’est joué à ce stade.
Et si les deux étapes – Conseil + Parlement européen – étaient franchis, il restera sans doute un dernier obstacle: l’Autriche a annoncé qu’elle entendait engager une procédure contre «l’acte délégué» devant la Cour de Justice de l’Union européenne.
Industries d’Avenir: groupes de travail franco-allemands
Un marathon de 4 à 6 mois, éventuellement prolongé par les délais qu’imposerait la justice, s’est donc engagé et décidera de l’avenir de la proposition de taxonomie proposée par la Commission de Bruxelles. Le débat est suivi avec d’autant plus d’intensité en France au moment où, parce que ses centrales vieillissent et que la demande d’énergie ne cesse de progresser, alors que certaines unités nucléaires sont à l’arrêt (pannes, révisions), Paris veut relancer son nucléaire.
Mais un différend franco-allemand qui dégénérerait serait peu compatible avec l’annonce par les ministres de l’économie français et allemand de la création prochaine de groupes de travail pour accélérer les projets industriels communs dans les secteurs des semi-conducteurs, du cloud, de l’Espace ou des batteries électriques.
Alain Howiller est chroniqueur pour Eurojournalist.eu, ancien rédacteur en chef des Dernières nouvelles d’Alsace / Photo: Bâtiment de la Commission européenne à Bruxelles / Photographe: Lukasz Kobus / Union européenne, 2021 / Source: EC – Service audiovisuel
© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.