Un 9 mai quasi insipide et mortifère du côté de Moscou. Un 9 mai plein d’espoir et d’annonces du côté de Strasbourg : projet de refonte des traités européens, annonce du soutien de la Commission en juin à l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Ukraine, projet embryonnaire de création d’une Communauté politique européenne initié par Emmanuel Macron sur le modèle mitterrandien ; et un bébé, fruit d’une communication politique plus ou moins subtile orchestrée par Ursula von der Leyen, comme pour montrer l’opposition grandissante entre deux modèles de société.
On attendait beaucoup de ce 9 mai moscovite. Pas grand chose de ce 9 mai strasbourgeois. Dans le premier cas, à l’occasion de la «Fête de la victoire», date anniversaire de la capitulation de l’Allemagne nazie, une nouvelle hausse de ton de Vladimir Poutine, dans son combat acharné contre l’Ukraine et, au-delà contre le bloc occidental. Une mobilisation générale, synonyme d’officialisation d’une guerre encore cyniquement qualifiée d’«opération spéciale militaire», voire, pour certain, le recours à l’usage d’armes nucléaires tactiques. Dans le second cas, quelques drapeaux européens naïvement agités et quelques grands discours europhiles sans grands lendemains à l’occasion d’une «fête de l’Europe» ; une cérémonie de clôture, dont on n’attendait pas grand chose, des travaux d’une Conférence sur l’avenir de l’Europe, largement ignorée par les médias nationaux au cours de cette année de travail contre deux annoncées, crise du Covid oblige. Au petit matin du 9 mai, là en étaient les attentes, sinon les craintes.
Poutine, enfermé dans son récit narratif
S’il avait été un pari à faire à ce moment, les bookmakers auraient annoncé une cote sans égale en faveur de Vladimir Poutine. Miser sur Strasbourg plutôt que sur Moscou, aurait presque relevé de la folie. Quelques heures après, c’est un tout autre résultat auquel l’on assistait. Une fois n’est pas coutume, mieux aurait fallu ne pas parier. A croire que Vladimir Poutine semble parfois prendre un malin plaisir à contrecarrer les pronostics, à prendre les occidentaux à revers. Là où l’on attendait un homme fort, belliqueux, menaçant, l’on aura finalement vu que l’ombre de celui-ci, presque détaché des événements, indifférent à ce que le monde pouvait craindre de lui. Au mieux, s’est-il contenté de rappeler que «tous ceux qui ont vaincu le nazisme lors de la grande guerre patriotique nous ont donné une leçon des vainqueurs et nous allons suivre leur exemple». Que l’«opération militaire spéciale» lancée dans «le Donbass» le 24 février dernier ne faisait que répondre à «une menace absolument inacceptable [qui] se constituait, directement à nos frontières», qu’elle n’était qu’une «riposte préventive». Qu’elle n’avait pour d’autre fin que d’honorer cette «dette» qui était de «garder la mémoire de ceux qui ont écrasé le nazisme […] et de faire tout pour que l’horreur d’une guerre globale ne se répète pas».
L’absence remarquée de Valeri Gerasimov
Enfermé dans un récit narratif décliné en boucle depuis le déclenchement de la guerre, c’est un Vladimir Poutine coupé du monde réel et autre que russe que l’on aura finalement eu à voir, entouré sur la tribune présidentielle de seuls quelques généraux à la retraite ou en passe de l’être, avec l’absence remarquée, même, de son chef d’Etat major Valeri Gerasimov, pourtant considéré comme le n°3 dans la planification de l’invasion de l’Ukraine, après le ministre de la Défense Sergueï Choïgou. Une absence qui ne cesse encore, au lendemain de la parade du 9 mai, d’interroger de nombreux experts. Gerasimov a-t-il été touché dans le Donbass? Poutine, à l’heure où, certains spéculent sur des dissensions grandissantes entre les services du FSB – l’ancien KGB – et l’armée, est-il de plus isolé, ou ne fait-il désormais plus grand cas des spéculations occidentales à son encontre, tant le monde lui paraît déjà irrémédiablement coupé en deux. Seul le temps, post 9 mai, saura sans doute y répondre. Mais en une phrase, ce 9 mai moscovite pourrait se résumer à un détournement de titre romanesque: A l’Est, rien de nouveau. A voir, néanmoins quels enseignements seront à tirer des silences de ce jour du chef de l’Etat russe. Certains silences, parfois, peuvent en effet être lourds de sens, même si, sur le moment, ils peinent à être expliqués.
Exercice «yogique»
A près de 2500 kilomètres de la Place rouge, autre salle, autre ambiance. Après avoir suivi la parade moscovite sur mon écran télévisé, je me retrouve assis dans le siège 753 de l’hémicycle parlementaire strasbourgeois. L’inauguration de la clôture de la Conférence sur l’avenir de l’Europe a quelque chose de surréaliste: une cinquantaine de danseurs amateurs se déhanchent sur une chorographie que l’on imaginerait pensée par un maître Yoga. Le tout sur un texte improbable les appelant à «regarder d’un côté, puis de l’autre», à ressentir «les lianes [qui] s’enroulent autour de [leurs] bustes, de [leurs] hanches, puis de [leurs] jambes et viennent jusqu’au sol». «Redresse-toi, fais quelques pas. Tu es face à un rideau de lumière. Avec une main, écarte le rideau. Tu retrouves la cascade. Attrape un arc. Redresse-toi pour viser la citadelle…».
De gauche à droite, mes voisin.e.s se regardent, s’interrogent et se demandent ce qu’ils font là. La fête de l’Europe s’annonçaient cette année encore une ubuesque énigme de communication citoyenne et politique. La Conférence sur l’avenir de l’Europe offrait pourtant aux citoyens européens une occasion unique de débattre des priorités de l’Europe et des défis auxquels elle est confrontée. Dans un dialogue inédit entre panels de citoyens venus de toute l’Europe, avec le Parlement, la Commission et le Conseil, la Conférence devait repenser l’Europe, lui redonner du souffle, voire lui donner enfin un ancrage dans la réalité quotidienne des gens. L’exercice «yogique» annonçait le pire quant aux résultats d’un tel exercice. Et pourtant…
«49 objectifs à réaliser et plus de 300 propositions concrètes»
Premier à prendre la parole, Guy Verhofstadt annonce un brin ému que cette Conférence, qui réunissait notamment 4 panels de 200 citoyens européens choisis de manière aléatoire dans les 27 pays membres, aura eu pour premier effet de définir «49 objectifs à réaliser et plus de 300 propositions concrètes». Mieux, ces travaux «nous ont appris qu’il existe bien plus de cohérence dans nos sociétés que nous le pensions. Presque tous les citoyens aiment l’Europe mais sont en même temps extrêmement critiques envers le fonctionnement de l’Union», poursuit le co-président pour le Parlement de la Conférence. «Les citoyens veulent que les choses changent, arrivent maintenant». «Cette Conférence est un processus humain et démocratique inédit. La démocratie a changé pour toujours. Trois institutions ont travaillé main dans la main avec les citoyens», souligne quelques instants après Dubravka Suica, autre co-présidente, cette fois pour le compte de la Commission. Et Clément Beaune, Secrétaire français des affaires européennes d’enfoncer le clou, lorsqu’il s’adresse à celles et ceux qui ont travaillé sur ce projet un an durant: «Vous avez fait le choix de la démocratie!», «l’Histoire vous donnera raison», lançant une référence à peine voilée à Vladimir Poutine.
«Un exemple pour le monde»
Directement ou indirectement, dans les propos tenus, l’Ukraine s’invite dans le débat et chacun des orateurs y va de sa petite phrase en réponse à Poutine: lui, fait le choix de la guerre, de l’autocratie, de l’isolationnisme; nous, de la paix, d’une démocratie renforcée et citoyenne, de l’ouverture, entend-t-on en substance. «Un exemple pour le monde», pour Clément Beaune, le «tournant d’une citoyenneté active», pour Roberta Metsola, Présidente du Parlement. L’élue maltaise, pourtant décriée pour ses positions anti-avortement lorsqu’elle fut élue au perchoir, prend depuis quelques semaines une nouvelle envergure. Venue à Kyiv, tout comme la présidente de la Commission européenne, elle ne cache pas que «l’avenir de l’Europe est lié à celui de l’Ukraine» et que le prix «de l’échec serait immense», tant sur le champ de bataille qu’au sein des réformes internes attendues de l’Union par ses propres citoyens.
«Nous ne sommes pas des experts de la politique, c’est vrai. Mais nous sommes des experts de la vie réelle»
«L’avenir de l’Europe n’a pas encore été écrit et notre avenir dépend de vous tous», souligne-t-elle. «Ce débat s’est concrétisé le 24 février quand le Président Poutine a donné l’ordre à son armée d’envahir l’Ukraine. Un acte médiéval. L’unité et la solidité de notre action a fait taire les critiques mais des bombes continuent à tuer, des femmes sont toujours violées, des gens sont piégés. Les Ukrainiens se tournent vers l’Union et il n’y a pas d’alternative à l’Europe». Et les conclusions de cette Conférence en posent les bases, discerne-t-on à mesure que les prises de parole se multiplient, associant représentants politiques et citoyens, à commencer par l’Italienne Laura Maria Cinquini: «Nous ne sommes pas des experts de la politique, c’est vrai. Mais nous sommes des experts de la vie réelle. Nous connaissons et partageons les problèmes du quotidien. Nos propositions sont en faveur d’un changement réel de qualité. Ce travail reflète des mois de sacrifices, d’engagement, et ce travail doit être respecté», lance-t-elle aux institutions. «Sans distorsions, sans opérer un choix selon vos intérêts ou vos agendas politiques. Ces propositions dessinent une nouvelle Europe à laquelle nous croyons, dont nous avons besoin aujourd’hui. Ne nous décevez pas, parce que nous ne nous sommes jamais sentis aussi européens et confiants qu’aujourd’hui».
«Notre projet n’est peut-être pas parfait, mais il est un bastion de libertés», poursuit la présidente du Parlement Roberta Metsola. «Cette Conférence prouve également qu’il y a un fossé entre les attentes et la situation actuelle. Des questions ne peuvent plus attendre», à commencer par la définition d’une «nouvelle politique de sécurité et de défense», d’une accélération du développement des «énergies renouvelables qui sont source de protection de l’environnement et de sécurité» face à la dépendance actuelle de l’Union envers la Russie. Sur le plan institutionnel, Metsola prône l’abandon sur de nombreux dossiers du vote à l’unanimité au profit de celui à la majorité qualifiée, «pour que l’UE soit plus efficace, plus flexible», défend Konstantinos Andreadakis, jeune citoyen grec membre des panels.
Cette Conférence est un «Game changer»
De Camila Jensen (Danemark), Dorien Nijs (Belgique) à Stephanie Hartung (Allemagne), Jorge Pazos (Espagne) ou encore Thilde Karlsson (Suède), Kacper Parol (Pologne), les témoignages, les propositions concrètes issues des panels se multiplient, qui couvrent l’ensemble des champs d’activité des citoyens européens, et qui vont de l’urgence climatique, de la solidarité intergénérationnelle, aux politiques de santé publique, à l’emploi, à l’accueil des populations étrangères, en passant par les questions digitales ou l’agriculture. Cette Conférence est un «Game changer» note le benjamin tchèque de l’étape, âgé d’à peine de 16 ans. Camille, sa collègue française du même âge, dit son souhait de pouvoir dire à ses futurs petits-enfants, à l’aube de ses 80 ans, que c’est ce jour, depuis Strasbourg, qu’une nouvelle Europe est née, plus démocratique, plus citoyenne, plus ancrée dans les réalités du quotidien. Et que ce jour-là, elle faisait partie de celles et de ceux qui ont changé la donne, aux côtés des institutions européennes.
La réouverture des traités se précise
«Votre message a été bien reçu et il est temps de fournir des actions concrètes; nous pouvons faire tout cela ensemble», répond en écho Ursula von der Leyen. «Dans certains domaines, vos propositions nous donnent un élan pour aller encore plus vite comme dans le cas du Green deal européen, pour sortir du carburant fossile, pour avancer sur le salaire minimum». Dans certains domaines, des avancées ont déjà été entreprises, à commencer par la constitution progressive d’un espace de santé européen. «D’autres, demanderont des actions nouvelles et je les annoncerai dès septembre, dans mon discours de septembre sur l’état de l’Union», promet la Présidente de la Commission. Rebondissant également sur les propos Roberta Metsola, Ursula von der Leyen confirme: «Le vote à l’unanimité dans certains domaines clé doit être révisé. En matière de démocratie, nous devons la renforcer de manière permanente. Je vais proposer qu’à l’avenir le panel citoyen ait les moyens de travailler plus en amont de nos propositions. Il nous faudra aussi modifier les traités, le cas échéant. L’UE n’est pas passée de mode mais doit s’adopter». Le Parlement, soutenu par la France, entend d’ailleurs sur ce point lancer une Convention dont on imagine qu’elle pourrait donner naissance à un profond remaniement des traités. Seule ombre au tableau, pour les locaux de l’étape, en rouvrant lesdits traités, Strasbourg pourrait perdre son siège parlementaire, contesté de longue date par une large majorité de ses élus et quelques Etats au profit de Bruxelles. En gagnant, l’Union pourrait paradoxalement faire perdre la ville de son siège démocratique.
Ouverture des négociations d’adhésion avec l’Ukraine en juin
Déterminée, combative, à l’écoute des panels, sinon à l’unisson avec eux, Ursula von der Leyen n’en oublie pas l’Ukraine, à l’instar de chacun des orateurs. Tout bien au contraire: ce qui se passe aujourd’hui, depuis Strasbourg, est «une image bien plus puissante que tout autre parade militaire», lance-t-elle à son auditoire, comme un nouveau message politique à Vladimir Poutine. «Aujourd’hui, ce rêve européen est plus que jamais dans le cœur de ces personnes qui sont à Kyiv, Kharkiv, Marioupol. Dans les métro, dans chaque village, dans les yeux de tous ces Ukrainiens qui ont trouvé une maison pour les accueillir en Europe». «Ce matin, confie-t-elle, j’ai eu une visio avec le Président Zelensky: il souhaitait nous transmettre les 5000 pages de sa demande de candidature d’adhésion». «L’avenir de notre démocratie est l’avenir de votre démocratie, de l’Ukraine», lance-t-elle à destination de l’Ukraine. «C’est un avenir que nous avons construit depuis plus de 70 ans. C’est une page, maintenant, que nous écrivons ensemble, amis ukrainiens». Et d’annoncer que la Commission donnera, dès le mois prochain, en juin, un avis favorable à l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Ukraine.
Pour l’Ukraine, combattre ses vieux démons
Chacun le consent néanmoins de Strasbourg à Kyiv: s’engager dans le processus d’adhésion ne signifie pas être encore en capacité d’adhérer. Le chemin sera long, tant les obstacles sont encore nombreux, de la guerre à la reconstruction du pays, en passant par la stabilisation de ses frontières, la (re)constitution d’une économie solide et de l’éradication d’une corruption longtemps profondément ancrée dans ce pays. La fin de la guerre, si elle vient à cours terme, ce auquel nul ne semble honnêtement encore oser espérer, ne sera que le début d’un long processus qu’il appartiendra avant tout aux Ukrainiens de rendre viable, dans un pays où, dans de nombreux pans de la société, deux salaires coexistaient encore avant guerre: l’un officiel et l’autre sous forme d’ «enveloppe» en cash, échappant aux taxes et autres statistiques; où, en dépit des premières réformes mises en place sous Zelensky, de grands groupes nationaux fantômes, de l’aveu même des Ukrainiens, continuaient à percevoir des subventions d’Etat; où, pour échapper à son devoir fiscal, de nombreuses entreprises modifiaient leur statut juridique tous les deux mois avec la complicité d’agents du Trésor. Tout cela sera à revoir en profondeur, et la tâche ardue, tant ce système était accepté et généralisé encore avant la guerre, de l’ouvrier au responsable politique. D’aucuns tablent sur au moins une vingtaine d’années d’efforts pour se mettre à niveau. Les responsables politiques ukrainiens en poste, plus volontaires – au moins dans le discours – entendent rejoindre l’Union d’ici cinq ans, bien mois probables.
«Renoncer à la tentation de l’humiliation et de l’esprit de revanche»
D’ici là, des solutions intermédiaires devront être trouvées face à la menace russe. Prenant la parole, le Président français Emmanuel Macron rappelle sur ce point que «notre devoir est d’être aux côtés de Ukrainiens pour obtenir un cessez-le-feu, pour rétablir la paix et pour reconstruire l’Ukraine». Mais il faudra veiller, au regard des enseignements de l’Histoire, à ne jamais non plus «céder à la tentation de l’humiliation et de l’esprit de revanche», envers la Russie. Le Traité de Versailles et ses conséquences sur le déclenchement de la Seconde guerre mondiale sont encore ici dans toutes les mémoires. «L’Ukraine, par son combat, insiste-t-il, est déjà membre de cœur de notre Union européenne. Mais même si nous lui accordons demain le statut de candidat à l’adhésion, cela prendrait sans doute plusieurs décennies sauf à baisser nos standards. L’Union, compte tenu de son niveau d’ambition et d’intégration, ne peut dès lors pas être le seul format en Europe» et il «nous faut très clairement ouvrir la voie pour penser notre Europe, notre unité, notre stabilité sans fragiliser l’unité bâtie et ouvrir, de ce fait, une réflexion historique sur l’organisation de notre continent».
«Communauté politique européenne» et retour des années Mitterrand
Reprenant à son compte le projet de Confédération politique européenne lancée en 1989 par le président français François Mitterrand dans des heures en partie similaires, le président français veut croire en la constitution d’une «Communauté politique européenne» qui «permettrait à ces pays de trouver un nouvel espace de coopération politique», notamment en matière en matière de sécurité. La réalisation d’un tel projet «ne préjugerait pas des adhésions futures de ses membres à l’UE», explique-t-il, «ni ne serait fermé à ceux qui l’ont quittée» – comprendre le Royaume-Uni.
Le contenu reste flou, mais Emmanuel Macron promet d’«aller consulter» ses homologues européens sur ce point. Si cette ambition venait à les séduire, il importera néanmoins de veiller à ne pas répéter les erreurs du passé, qui ont conduit la première tentative mitterrandienne à l’échec: l’inclusion de la Russie – qui ne semble pas être cette fois-ci à l’ordre du jour -, l’ingérence des Etats-Unis – un point qui ne manquera pas de se poser au regard des financements déjà colossaux investis par les Américains dans la guerre d’Ukraine, dont on se doute qu’ils appelleront, en tant de paix, une contrepartie -, et une forme de sentiment de rejet des Etats d’Europe centrale et orientale désireux de rejoindre l’Union qui pourraient, comme d’autres par le passé, ne voir dans cette proposition qu’une manœuvre visant à les laisser durablement sur le bord de la route vers l’adhésion. Bien que très différente, l’expérience de la Turquie, promenée depuis les accords d’Ankara de 1963, devra également faire office de leçon pour les Européens: à trop promettre, à trop laisser espérer, à trop faire attendre, et à manquer autant de rendez-vous avec l’Histoire, le risque de voir fondre l’idéal européen n’est, si l’Union n’y prend garde, un risque à ne pas sous-estimer.
Un bébé comme message envers Poutine
Reste qu’en ce 9 mai strasbourgeois, la fête de l’Europe n’a peut-être jamais aussi bien porté son nom. L’Union n’a peut-être jamais été autant ambitieuse, institutions et panels citoyens réunis. Ne s’est jamais autant souciée de son avenir et de son modèle démocratique. Peut-être, d’ici quelques années, Camille, cette française de 16 ans membre des panels, pourra effectivement dire à ses petits-enfants que, ce jour-là, quelque chose s’est passé à Strasbourg, pendant que Vladimir Poutine ne voyait pas d’avenir au-delà de ses chars. Peut-être que ce bébé de cette autre participante que s’est longuement mise à tenir Ursula von der Leyen dans un acte de communication politique soigneusement pensé envers le Kremlin et au-delà, verra cette autre Europe que nombre de citoyens de l’Union, d’Ukraine, de Molavie, ou de Georgie appellent de leurs vœux. Celle d’une Europe de paix, solidaire, durable, souveraine et co-construite avec ses populations.
«Si, en tant que membres des panels citoyens, nous avons en un an réussi à tracer cette voie, vous le pouvez aussi!», engage les élus Jorge Pazos. Et les jeunes danoises Camila Jensen et allemande Stephanie Hartung de conclure à l’adresse de ces mêmes responsables politiques présents à Strasbourg, en un: «Maintenant, c’est à vous de prendre vos responsabilités! Saisissez cette chance» ; «Ne nous décevez pas!». Le repli mortifère d’un côté, l’espoir et la vie de l’autre, c’est peut-être cela qui, finalement, sera à retenir de ce 9 mai 2022 entre Moscou et Strasbourg. Deux salles, deux ambiances.
Christophe Nonnenmacher est directeur du Pôle européen d’administration public (PEAP) / Photo: DR
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