Le choc énergétique provoqué par la guerre en Ukraine rappelle avec brutalité l’impérieuse nécessité pour l’Europe d’accélérer sa transition écologique. C’est là une nouveauté: le changement de paradigme auquel les Etats membres doivent désormais se conformer n’est plus seulement lié au changement climatique qu’il faut contenir, mais désormais également à des considérations géopolitiques.
La récente controverse qui a opposé en début d’été les principaux énergéticiens TotalEnergies, EDF et Engie, et le commissaire européen Thierry Breton sur la nécessaire réduction de la consommation d’énergie s’inscrit dans un contexte d’hésitation pour nos décideurs entre boycott du gaz russe et risque d’aggravation de la crise économique et sociale. Comment sortir de ce dilemme sans déstabiliser les sociétés occidentales, au premier rang desquelles figurent les Etats membres de l’Union européenne? A n’en pas douter en étant plus sobre, mais surtout en étant plus efficace dans nos consommations d’énergie.
La seule incitation à la sobriété énergétique ne saurait tenir lieu de politique publique
Certes, manifestant une conscience aiguë de l’enjeu que représente le conflit ukrainien, une majorité de Français, et pas seulement les plus aisés, se disent prêts à accepter une baisse de leur pouvoir d’achat comme contribution à l’effort de guerre selon un récent sondage d’Harris Interactive – Euros/Agency Group. L’autre variable d’ajustement pourrait être dans les usages car jamais l’adage «l’énergie la moins chère est celle que nous ne consommons pas» n’aura été autant d’actualité. La seule incitation à la sobriété énergétique ne saurait toutefois tenir lieu de politique publique. Plus que jamais, il est impératif de tout mettre en œuvre pour aller plus loin dans le soutien aux dispositifs d’efficacité énergétique et ainsi baisser les consommations dans le bâtiment, non seulement des particuliers, mais surtout dans les secteurs non résidentiels (industrie, tertiaire, transport, agriculture), où les gisements d’économies sont considérables. L’adage doit devenir «l’énergie la moins consommatrice et la moins polluante est celle que nous ne consommons pas (inutilement)».
Sortir des politiques «court-termistes»
Force est de constater que les pouvoirs publics peinent à avancer des réponses structurelles aux vulnérabilités mises en lumière par la guerre en Ukraine. Bouclier tarifaire pour lisser la hausse du prix du gaz et contenir celle de l’électricité, «plan de résilience économique et sociale» en mars dernier, projet de loi «pouvoir d’achat» cet été…
Pensées pour limiter les impacts sur le pouvoir d’achat des ménages et les factures énergétiques des entreprises, ces mesures prises dans l’urgence et très coûteuses ne suffiront pas à nous protéger sur le long terme. Elles sont davantage le symptôme d’une politique «court-termiste», qui ne s’est pas affranchie de la dépendance aux énergies fossiles et qui oublie que de l’efficacité énergétique dépend notre autonomie stratégique. Elles sont à rebours de l’ambition forte de réduction de la consommation d’énergie impulsée par l’Union européenne depuis plusieurs années.
Pour une ambition européenne de l’efficacité énergétique, pour une déclinaison française exemplaire
Les Européens ont aujourd’hui l’opportunité de faire avancer le «Green Deal», le moyen le plus sûr de mettre fin à leur dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles russes, tout en répondant à l’urgence sociale et climatique. A condition de mettre en œuvre à l’échelle européenne des politiques publiques structurelles, contraignantes et ciblées, une orientation qui passe par la fixation d’objectifs d’efficacité énergétique à l’échelle européenne. Il faut par conséquent se féliciter de l’ambition fixée par la Commission européenne de réduire a minima de 39% la consommation d’énergie finale de l’UE d’ici 2030. Un objectif initialement de 32,5%, revu à la hausse en mai dernier. Cette volonté affichée devrait être déclinée concrètement à l’échelon national français qui se doit de conserver son leadership énergétique et environnemental européen.
Trois axes pour changer de paradigme
La révision des textes européens doit être une opportunité pour que l’Union européenne fixe une ligne claire autour de trois axes majeurs.
Le premier fait aujourd’hui consensus: il faut inciter les opérations à plus fort gain énergétique. Pour le résidentiel, on le sait désormais, doivent être privilégiées les rénovations globales et performantes réalisées en une fois, plutôt que des rénovations par étape.
La deuxième porte sur la décarbonation de nos économies, condition de notre autonomie stratégique. Concrètement, il s’agira d’intégrer plus encore le principe de l’économie circulaire aux travaux de rénovation énergétique des bâtiments. Il pourrait être ainsi proposé de favoriser sur le plan européen l’utilisation de matériaux biosourcés et produits localement, notamment pour les achats publics.
Enfin, parce que c’est le nerf de la guerre, il faudra dans un premier temps renforcer les dispositifs d’incitations financières existants, en particulier par un quasi-triplement de l’objectif du dispositif des Certificats d’Economies d’Énergie, principale aide financière privée aux travaux d’économies d’énergie depuis 2006, qui fonctionne sur le principe du pollueur payeur. Il faudra ensuite expérimenter des financements innovants pour le «reste à charge», notamment via le tiers-financement pour des opérations de rénovation énergétique lourde des bâtiments.
Une prise de responsabilité comme pré-requis pour l’atteinte d’économies d’énergie réelles
La prise de responsabilité des acteurs de l’efficacité énergétique dans l’atteinte des économies d’énergie estimées a priori d’un chantier est un pré-requis pour assurer des économies d’énergie réelles. Ayons des dispositifs ambitieux d’incitations à l’efficacité énergétique, maîtrisés par des acteurs prenant leurs responsabilités grâce à leur expertise métier. Evitons une multiplicité d’acteurs intervenant sur la chaîne de responsabilité de l’efficacité énergétique, multiplicité qui déresponsabilise.
Au-delà du bouclier tarifaire mis en place par les pouvoirs publics, c’est par conséquent d’un véritable bouclier énergétique et de moyens de long terme dont les ménages et les entreprises ont besoin pour massifier les opérations d’efficacité énergétique et maîtriser leur consommation. Le conflit ukrainien nous montre que notre dépendance aux hydrocarbures n’est plus tolérable, ni politiquement, ni économiquement, ni environnementalement. Il est désormais vital que l’Europe et la France se dotent d’une stratégie d’efficacité énergétique commune et ambitieuse. Les Européens sont aujourd’hui prêts à l’entendre, à nous Français d’être à l’avant-garde!
Pierre Maillard est Président Directeur Général Hellio / Photo illustration: Service audiovisuel Commission européenne / 30/01/2021 / Photographe: Claudio Centonze
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