« Le 9 février 2014, le peuple suisse acceptait l’initiative d’un parti politique, l’Union démocratique du centre (UDC), dite « contre l’immigration de masse », lors d’un de ces scrutins dont la Suisse a le secret et qu’elle nomme « votation populaire »», souligne François Longchamp, Président du Conseil d’État de la République et canton de Genève. Une initiative qui, selon lui, «vise à établir des contingentements non seulement applicables aux ressortissants de pays extra-européens mais également aux ressortissants des pays européens» et «contraire aux principes de la libre circulation établie entre les pays de l’UE». Pourtant, au-delà de l’onde de choc politique et économique des résultats de cette votation, François Longchamp voit paradoxalement dans ce scrutin une opportunité de relancer la construction européenne, chantier pour lequel la Suisse « paraît parfaitement qualifiée ». Analyse.
On se fait beaucoup d’idées fausses sur la Suisse et sur Genève, cette composante parfois atypique de la Confédération. Fausses ou, pour le moins, incomplètes. D’abord, il est inexact d’imaginer une Suisse que l’Europe laisserait indifférente au point que, repliée, elle bétonnerait ses frontières. La réalité est plus subtile et plus complète. Ensuite, il est permis de rappeler que la Suisse moderne doit ses contours à l’Europe. Il y a deux siècles exactement, elle avait charge de contenir des convoitises impériales et gagnait, pour cela, du territoire négocié à Paris, Vienne et Turin. Enfin, il est singulier d’observer que Genève dispose de frontières plus étendues avec la France (103 kilomètres) qu’avec la Suisse (4,5 km), et gère pour l’ensemble de la région un aéroport international. Cela induit des responsabilités particulières. La relation du canton avec la Confédération suisse, bien sûr, mais aussi avec la France frontalière – que nous appelons « voisine » – font l’objet d’attentions permanentes. Genève est une petite République encastrée dans un bassin qui lui échappe. La frontière naturelle, ce sont le Salève et le Jura. Le bassin commun accueille une population d’un million de personnes dont la moitié environ vit en Suisse. L’administration de ce territoire est compliquée. Et d’un pays à l’autre, parfois, les débats se ressemblent. A l’heure où la France repense ses régions, Genève repense les relations intérieures entre l’Etat et les communes. Même objectif : simplifier. Et à l’heure où les médias de l’Europe entière commentent une décision populaire suisse portée par la peur de l’immigration, force est de constater que les électorats européens, en privilégiant des partis eurosceptiques et nationalistes lors des élections de mai 2014, expriment des inquiétudes et interrogations de même nature.
« Votations » : les règles du jeu
Trois mois donc avant les élections européennes de mai 2014, le 9 février 2014, le peuple suisse acceptait l’initiative d’un parti politique, l’Union démocratique du centre (UDC), dite « contre l’immigration de masse », lors d’un de ces scrutins dont la Suisse a le secret et qu’elle nomme « votation populaire ». Cette initiative vise à établir des contingentements non seulement applicables aux ressortissants de pays extra-européens, comme c’est le cas déjà aujourd’hui, mais également, désormais, aux ressortissants des pays européens. Cette décision est contraire aux principes de la libre circulation établie entre les pays de l’UE et que, par le biais d’accords bilatéraux, la Suisse accepte aussi. En Europe, cette décision a connu un grand retentissement en raison de son caractère explicitement « anti-immigration ». En Suisse, ce scrutin a frappé aussi les esprits. Non seulement en raison de son résultat, mais aussi parce que, dans une configuration rare, la totalité des partis (exceptés de droite extrême) et tous les syndicats, tant patronaux qu’ouvriers, ont assuré d’une même voix: « attention, danger, refusez l’autogoal ». L’initiative a cependant passé, de peu (approbation nationale: 50,34%) et pas à Genève (refus: 60,9%).
Pour comprendre le scrutin, il faut connaître le mécanisme civique propre à la Suisse. Brièvement: en Suisse, il existe des dispositions par lesquelles un parti ou un groupe d’opinion peut saisir le peuple et lui demander son avis sur à peu près tout, pour autant que le cadre légal de telles consultations – et de leurs effets potentiels – soit respecté. Concrètement, le lancement d’une initiative (proposition) ou d’un référendum (contestation d’une décision) implique que les proposants s’annoncent à l’autorité concernée (niveau communal, cantonal ou fédéral, selon l’objet) et que, dans un laps de temps imposé par la loi, ceux-ci récoltent le nombre de signatures imposée par l’exercice. S’ils y parviennent, l’autorité fixe une date de « votation ». S’agissant d’un objet de portée constitutionnelle fédérale, il est exigé, pour sa réussite, à l’issue du scrutin, une double majorité: celle du peuple – plus de 50% – et celle de la majorité des 23 cantons. Cette disposition pondère le pouvoir des grands cantons urbains, comme Genève ou Zurich, lesquels, en l’espèce, ont voté contre l’initiative de l’UDC. Il est intéressant d’observer que tous les cantons romands (francophones) ont refusé de même cette initiative. Outre Genève: Vaud, Jura, Neuchâtel, Fribourg et Valais. Dans la sphère alémanique, les grands centres, Zurich, Berne, Lucerne ou St-Gall, ont refusé de même. Et pareillement Bâle-Ville et Zoug, cantons qui détiennent ces points communs avec Genève: l’un est frontalier et l’autre constitue une importante place financière. Ce vote illustre une Suisse de cartes postales un peu surannées. Il reflète des tensions liées à l’essor de la mobilité et de la communication contemporaines. C’est une querelle d’anciens et de modernes. De conservateurs et de progressistes. De ruraux et d’urbains. C’est l’expression d’une crainte systémique des changements de société. Mais au-delà d’une dichotomie identitaire, l’analyse du scrutin révèle aussi des différences de vote selon le statut socioéconomique, avec l’expression de préoccupations matérielles, comme en témoigne le fort soutien à l’initiative des catégories les moins aisées et professionnellement plus précaires.
Le cas genevois
Avant de présenter les conséquences du scrutin, il importe de présenter le contexte, le terreau. Genève en effet peine à se reconnaître dans de tels réflexes identitaires. La contrariété est d’autant plus grande que Genève, qui a favorisé les Lumières, vit par, pour et avec le monde. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Aux XVe et XVIe siècles, Genève a rehaussé ses maisons pour accueillir les huguenots pourchassés. De grandes familles genevoises portent des noms à consonance française ou italienne datant des Refuges. Autre figure, célébrée chaque année pour l’héroïsme par lequel elle a contribué à sauver Genève de la convoitise des ducs de Savoie, Catherine Cheynel, dite Mère Royaume, fut en son temps (autour de 1600) ce que l’on appellerait aujourd’hui : une réfugiée politique. Les Genevois se réclament d’elle et non de Guillaume Tell, cette figure romantique à laquelle, d’un mythe, Schiller a donné corps. Genève, c’est aussi Rousseau. Et encore Voltaire qui, malicieusement, note que « la République a donné en (sa) faveur une entorse à sa loi » en l’autorisant, catholique, à acquérir des biens en terre réformée. Genève, c’est le lieu de naissance de « l’Esprit des Lois », que Montesquieu imprime pour la première fois, en 1748, chez les imprimeurs Cramer & Barillet. Genève, c’est Germaine de Staël, fille de Jacques Necker, ministre de Louis XVI, qui accueille en ses salons des beaux esprits. Ou Jean-Jacques de Sellon, initiateur de la Société de Paix et précurseur des combats abolitionnistes de la peine de mort. Genève, c’est la patrie de Lefort, amiral du Tsar, et de Gallatin, créateur du dollar américain. C’est le pays d’Henry Dunant, inventeur de la Croix-Rouge (1864), et celui encore où naîtra l’arbitrage interétatique privé, avec l’affaire dite de l’Alabama (1872), lorsque la Grande-Bretagne accepta un jugement privé la forçant à dédommager les Etats-Unis ensuite d’épisodes navals de la Guerre de sécession.
Connaître le monde
En 1814, les nations d’Europe ont voulu une Suisse forte. Un Etat-tampon destiné à protéger les royaumes et les empires de Napoléon. Défait en 1813 et obligé de quitter Genève, qu’il occupait, le Corse restait capable de soubresauts. Ainsi, la Genève d’aujourd’hui, bastion d’une Suisse érigée en rempart, cette Suisse-là a été créé par et pour l’Europe. Longtemps l’Europe a d’autant mieux veillé à sa neutralité qu’elle a voulue.
Aujourd’hui encore, Genève – 40% d’étrangers, le double de la moyenne suisse – vit par et pour le monde. La Société des Nations y est née. Près de trois mille chefs d’Etat, de gouvernements ou ministres y passent chaque année. L’Organisation des Nations Unies y compte son deuxième centre mondial avec à ses côtés 24 organisations intergouvernementales (OI) dont, depuis 1919, l’Organisation internationale du Travail. On y rencontre 250 ONG disposant d’un statut d’observateur au Conseil économique et social de l’ONU, plus celles qui n’y tiennent pas. Et 172 missions permanentes. Au total 27’000 emplois (mars 2014) découlent de cette seule « Genève internationale ». Les Organisations intergouvernementales (OI) injectent plus de cinq milliards de francs de l’économie locale. Une communauté de 46’500 personnes affiche 184 nationalités. Genève demeure premier centre de coopération multilatérale du monde, avant New York.
La place économique et financière
La riche histoire de Genève et sa culture de l’accueil expliquent également son développement économique, commercial et financier. Le repli du 9 février n’est pas inscrit dans ses gènes. La position géographique particulière de Genève, au carrefour de l’Europe, en fait aux XIVe et XVe siècles une des principales villes de foires. De nombreux marchands et négociants s’y rendent. Ces derniers développent des activités nouvelles, comme le crédit, le prêt avec intérêt, le change ou la remise d’ordres de paiement et deviennent ainsi banquiers.
Au cours des XVIe et XVIIe siècles, Genève ouvre ses portes à de nombreux protestants italiens et français. Hommes d’affaires, banquiers, artisans, ces nouveaux venus accroissent le dynamisme de la ville. Ils y développent des activités financières, commerciales et manufacturières qui inscrivent Genève dans les circuits économiques internationaux et créent une industrie travaillant pour l’exportation. Le XVIIIe siècle, celui de la prospérité économique, bénéficie particulièrement de l’influence et de l’apport des étrangers, notamment dans l’industrie horlogère et dans les activités de la banque et du commerce, les fleurons de l’économie genevoise. A son tour Genève, contribue au développement économique européen. Dès le XVIIe siècle, ses banquiers financent la Compagnie hollandaise des Indes ou la Banque d’Angleterre. Des marques connues dans le monde entier naissent à Genève. En 1911, le père de Zino Davidoff, fuyant la Russie pré-révolutionnaire, y ouvre un magasin de tabac. En 1920, l’Allemand Hans Wilsdorf, s’y installe après un passage par Londres et développe la montre Rolex.
Aujourd’hui, la place économique et financière genevoise est caractérisée par le niveau de qualification de sa main d’œuvre et par la présence d’entreprises extrêmement innovantes. 130 sociétés multinationales ont leur siège à Genève. Leurs effectifs se composent à hauteur de 40% de personnes expatriées, venant travailler quelques années au siège en vue d’y apporter des connaissances issues de leur pays d’origine et d’y retourner ensuite.
Ainsi, l’économie genevoise ne fonctionnerait pas sans l’apport des travailleurs résidant hors de ses frontières. Un tiers environ des emplois à Genève est occupé par des personnes habitant en dehors du canton. Parmi elles, 70’000 travailleurs frontaliers, dont le nombre n’a cessé d’augmenter ces dernières années tandis que, en regard de son niveau il y a dix ans, le taux de chômage a régressé.
Les travailleurs étrangers sont actifs dans tous les secteurs. Certaines activités dépendent fortement de cette main d’œuvre. A titre d’exemple, plus de la moitié des collaborateurs des Hôpitaux Universitaires de Genève (52%) est de nationalité étrangère.
La force académique
Fondée par un étranger, Jean Calvin, l’Université de Genève reste attachée au nom de nombreux immigrés comme, par exemple, au XIXe siècle, le zoologiste Carl Vogt, réfugié politique allemand, ami de Marx (avec lequel il se brouillera) et fondateur de l’école de médecine. Riche d’une histoire longue de plus de 450 ans, cette institution jouit d’un grand rayonnement international. Sur ses 16’500 étudiants, elle compte plus de 6’000 étrangers de 153 nationalités différentes. Les chercheurs, quant à eux, participent à près de 250 projets du programme-cadre européen 2007-2013, dont 19 coordinations et 35 bourses du Conseil européen de la recherche. Autre fleuron, depuis 1927: l’Institut des Hautes Etudes Internationales. Laboratoire d’enseignement et de recherche consacré entièrement aux études des affaires internationales, il a accueilli au fil des années des milliers d’étudiants étrangers, dont l’ancien secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan. Devenu Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement après sa fusion avec l’Institut universitaire des études du développement, il accueille aujourd’hui 1200 étudiants, dont 84% d’origine étrangère.
Un coup très dur
Résumons. 70’000 frontaliers, une communauté de presque 50’000 personnes liés à la Genève internationale – ou « la Suisse internationale par Genève » comme on se plaît à le dire à Berne –et encore : des dizaines de milliers d’expatriés dans des sociétés multinationales, des milliers d’étudiants et chercheurs étrangers… Voilà le résultat, logique, tangible, fructueux, d’une histoire riche et marquée par l’ouverture et d’une position géographique particulière.
Genève connaît le monde et ses apports. Elle a donc naturellement rejeté l’initiative de l’UDC C’est dire combien les conséquences du scrutin sont brutales.
A court terme d’abord. Attachée au principe de libre circulation des personnes, et dans l’attente de voir comment la Confédération entend mettre en œuvre les principes de l’initiative, l’UE a gelé les négociations en vue d’une participation entière de la Suisse aux programmes d’innovation et recherche (Horizon 2020) et d’échanges pour les jeunes (Erasmus +). La Suisse perd ainsi le statut de pays pleinement associé à ces programmes et se découvre désormais traitée comme « pays tiers ». Ceci implique un accès limité et des frais financiers et administratifs supplémentaires. Pour les institutions universitaires de Genève, traditionnellement très compétitifs au niveau international, c’est un coup dur, de nature à générer une diminution tangible des projets européens, des subsides et des échanges.
A moyen terme ensuite. Les nouveaux articles constitutionnels entrés en vigueur au lendemain de l’acceptation de l’initiative fixent le principe des contingents mais pas le détail. C’est au législateur de régler les aspects concrets de mise en œuvre et de préparer la nouvelle réglementation. Il dispose pour ce faire de trois ans. Autrement dit, les modalités d’application de l’initiative sont encore loin d’être claires. D’un point de vue économique, cette incertitude nuit à la réputation de stabilité des conditions-cadres de la place suisse. Corollaire, certaines entreprises, notamment celles comptant une part importante de personnel étranger, adoptent une attitude très prudente, aujourd’hui, en matière d’embauche et de planification d’investissement. Une fois de plus, par la particularité de son tissu économique, Genève en paie le prix fort.
Actions et réactions
Nous restons attentifs aux dispositions de mise en œuvre de l’initiative. Dès le résultat du scrutin connu, le gouvernement genevois (Conseil d’Etat), que je préside, a multiplié les démarches auprès des conseillers fédéraux (membres du gouvernement suisse), des parlementaires cantonaux et des autres cantons. Au cœur de nos préoccupations: la sauvegarde des intérêts de la Genève internationale et académique, avec, au besoin, un traitement privilégié pour les personnes ayant un lien avec les organisations internationales, les organisations non gouvernementales, les organisations intergouvernementales et les instituts universitaires et de recherche. Les besoins spécifiques du secteur privé doivent être pris en compte aussi d’une manière adaptée, en termes de marché du travail. La question des travailleurs frontaliers ou liés aux flux migratoires spécifiques dans les sociétés multinationales, avec taux de rotation du personnel étranger élevé, exige la mise en place d’un système d’admission efficace et non bureaucratique.
A cela s’ajoute l’importance que nous accordons au respect des droits humains. Siège du Comité International de la Croix Rouge, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, et dépositaire des majeures conventions internationales en matière de droits de l’homme et de droit humanitaire, Genève met en garde contre de possibles restrictions du droit au regroupement familial et du statut de réfugié.
La parade est délicate à mettre en place. De manière générale, le nouveau système de contingents, quelle que soit la formule à choisir, court un grand risque d’inefficience économique et d’incompatibilité avec le principe de libre circulation des personnes, élément fondamental pour l’Europe et socle des accords bilatéraux engageant la Suisse.
Oxygéner les « bilatérales »
Le résultat du scrutin du 9 février a plongé la Suisse et Genève non seulement dans l’incertitude économique mais, aussi, dans une crise politique interne et externe.
Interne, d’abord, parce que le résultat du scrutin, très serré, a démontré un clivage net entre villes et campagnes. Il a confirmé aussi une incompréhension tenace entre une Suisse dynamique et décomplexée et une Suisse qui perçoit l’ouverture comme perte d’identité portant atteinte à ses valeurs. Externe, ensuite, parce que pour la première fois depuis qu’il a emprunté la voie bilatérale avec l’Union européenne, le Conseil fédéral, en la matière, a été désavoué par le peuple. Certes, le scrutin concernait principalement l’immigration et ne touchait qu’indirectement les relations entre Berne et Bruxelles. Il n’en demeure pas moins que cette approche bilatérale est désormais remise en question par les « initiants » victorieux.
La voie bilatérale, ce n’est pas rien. L’invention de la méthode limitait les effets d’un refus exprimé en 1992 par le peuple – toujours – à l’adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen. Il y a une certaine ironie à constater que ce rejet s’était déjà effectué à 50,3% des récalcitrants alors que Genève, ainsi que les autres cantons romands et les principales villes alémaniques, s’exprimaient largement pour l’ouverture. La voie bilatérale, si soigneusement tissée, a fini par devenir au fil des années un procédé ; une formule ordinaire avec laquelle on a pris l’habitude de se mesurer à l’Europe. Il s’est révélé fructueux. On lui doit plus d’une centaine d’accords sectoriels recouvrant un large éventail de domaines dont, notamment, la participation de la Suisse au marché intérieur.
Cette méthode montre aujourd’hui ses limites. Elle se heurte, bien sûr, au blocage généré par le résultat du 9 février. D’une certaine manière, elle avait déjà été remise en question par l’Union européenne qui, il y a quelques années, manifestait la volonté d’améliorer l’architecture institutionnelle des relations bilatérales en établissant un cadre global plus clair. Berne et Bruxelles cherchent depuis 2013 des solutions institutionnelles, comme l’adaptation dynamique au droit européen des accords, leur surveillance et leur interprétation, ainsi que le règlement des différends. Ce nouveau coup de froid ne favorise pas les négociations.
Le bilatéralisme pourtant n’est pas mort. Il y aura toujours des relations bilatérales entre deux partenaires si proches. Mais sa conception actuelle est désormais dépassée. Il faudra un appel d’air dans les discussions, une bonne dose de créativité et, surtout, du courage politique pour trouver la quadrature du cercle entre des valeurs essentielles, telles que la souveraineté suisse et la liberté de circulation européenne. Dans ce contexte, la mise en œuvre de l' »initiative anti-immigration », inexorablement incompatible avec le cadre actuel des relations Suisse-UE, devrait se soumettre à une stratégie globale visant à façonner de manière durable nos relations. Si l’adhésion ne constitue plus une demande, ni même un débat majeur dans notre pays, il n’en demeure pas moins que nous devons trouver la voie d’une formule inédite, ambitieuse et durable pour établir nos nouvelles relations avec l’UE. Sans complexes d’infériorité et sans nombrilisme!
Questions et conclusion
Finalement, la question fondamentale consiste à savoir où et comment nous défendrons le mieux nos intérêts. Ceux liés à notre place économique et ceux, aussi, qui relèvent de nos valeurs? Oui, où et comment? Après tout, il n’est pas illégitime de se demander si l’indépendance de la Suisse – donc sa précieuse souveraineté – est mieux défendue en restant à la marge de l’Union européenne, acceptant l’isolement, ou en participant activement, au contraire, au processus européen dans un esprit constructif. De quel droit, avec quelle insolence, pouvons-nous nous désengager de la construction européenne qui, depuis 70 ans, confère à notre continent paix et stabilité? Savons-nous d’ailleurs à quoi sert l’Europe?
A l’inverse, au risque de passer pour impertinents, nous pouvons aussi poser quelques questions à l’Europe. En effet, la Suisse, pays de 8 millions d’habitants, accueille 1,9 millions d’étrangers, dont 1,3 millions de ressortissants européens. 16% de la population suisse est donc ressortissante d’un pays européen alors que cette proportion – chiffres 2011 – n’est que de 2,5% à l’échelle de l’UE. Quel pays européen, hormis le Luxembourg, pratique de manière autant intense la libre circulation des personnes? Doit-elle être durablement illimitée? Finalement, la liberté économique, ancrée dans notre constitution, connaît des limites. La définition des libertés – des uns, des autres, selon quels critères et quelles priorités – apparaît au cœur des sociétés humaines et sous-tend ces interrogations.
On constate au total que le vote suisse aura permis de faire émerger d’utiles questions. Tôt ou tard, nous devrons y répondre – d’autant que les urnes ont récemment confirmé que le scepticisme face à la construction européenne n’est pas un phénomène propre à la Suisse. Nous ne devons pas fuir le débat européen. Ni en Suisse ni ailleurs. Au contraire! Il faut expliquer le sens de la construction européenne, ce projet politique, culturel et social porteur de valeurs telles que la dignité humaine, la démocratie, le respect des droits de l’homme et des libertés – y compris la liberté de circuler à travers le continent.
La Suisse, pays hôte du Conseil des droits de l’homme, du Haut-commissariat de Nations Unies pour les réfugiés et de l’Organisation internationale des migrations, la Suisse, Etat fédéral doté d’une longue histoire et d’une pratique éprouvée du consensus, la Suisse paraît parfaitement qualifiée pour contribuer à un tel chantier.
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À propos de l’auteur : François Longchamp : Né en 1963, titulaire d’une licence en droit, François Longchamp a exercé ses talents au secrétariat du Parti radical genevois. Puis à 29 ans, il devenait secrétaire général du plus gros département du canton, celui de l’Action sociale et de la santé. Dix ans plus tard, il rejoint le quotidien Le Temps en qualité de chef de la rubrique régionale puis exerce diverses responsabilités dans une grande banque privée genevoise. De 2002 à 2005, il a dirigé la Fondation Foyer-Handicap, qui gère le dispositif d’accueil des personnes handicapées physiques pour l’ensemble du canton. En 2004, il accédait à la présidence du Parti radical. Élu une première fois au Conseil d’Etat le 13 novembre 2005, il est réélu en novembre 2009 pour un deuxième mandat. Il est en charge du Département de la solidarité et de l’emploi jusqu’à fin juin 2012. Le 29 février 2012, suite à la démission du conseiller d’Etat chargé du département des constructions, il en assume l’intérim en attendant l’élection complémentaire. Le 10 décembre 2013, François Longchamp prête serment pour une 3e législature au Conseil d’Etat. Il en devient le premier président pour une durée d’une législature complète.
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