Epilogue de quatre années de combat politique, la Fondation Soros a fait le choix mi-mai de se replier de Budapest vers Berlin. Une victoire à première vue pour Victor Orbán, face à un symbole de l’opposition gouvernementale, mais pour combien de temps?
Fin de partie pour la Fondation Soros sur le sol hongrois. Annoncée mercredi 15 mai par l’Open society Foundations (OSF), la décision de transférer les activités de sa structure locale et une centaine d’employés de Budapest vers Berlin est désormais effective et justifiée par ses représentants par «un environnement politique et juridique de plus en plus répressif en Hongrie», rendant «impossible de protéger la sécurité des opérations et du personnel contre l’ingérence arbitraire du gouvernement». En cause, notamment, la campagne menée lors des dernières élections législatives d’avril par Victor Orbán contre son fondateur György Soros, à l’issue desquelles l’homme fort du pays a été reconduit pour la troisième fois consécutive à la tête de l’Exécutif hongrois, et l’adoption d’un paquet législatif baptisé «Stop Soros». L’objectif de ce paquet législatif, dénonce l’OSF est bien de de taxer les ONG «qui soutiennent l’immigration» et de permettre aux services de renseignement de «faire surveiller leur personnel».
De mécène à nouvel «ennemi»
«Ne laissez pas Soros rire le dernier» : le ton avait déjà été donné en amont des législatives d’avril, par voie d’affichage public. Partout, sur les murs de Hongrie, fleurissaient des panneaux contre celui que le candidat Orbán qualifiait ouvertement d’«ennemi caché, rusé, et malhonnête» de la nation. Le même qui, quelques années plus tôt, en 1989, permit pourtant à l’homme aux trois mandats de partir à l’Ouest pour financer ses études en science politique et en histoire de la philosophie libérale britannique au Pembroke College de l’université d’Oxford, sous la direction du philosophe polonais Zbigniew Pełczyński.
Un an plus tard, celui dont les fonctions s’étaient jusqu’alors limitées à celles de stagiaire au ministère de l’Agriculture, se portait candidat aux premières élections législatives post-communistes et débutait une carrière qui le mènera au bras de fer actuel avec son ancien mécène. Explication avancée par la Fondation Open Society quant au durcissement des relations entre les deux hommes: la volonté du Premier ministre hongrois de faire taire toute critique envers sa politique gouvernementale, remise notamment en cause par Transparency International, le Comité Helsinki hongrois et l’Union hongroise des libertés civiles ; trois structures financées par le philanthrope américain et dénonçant, depuis 2014, un repli identitaire et une volonté de l’appareil d’Etat «de mettre fin à l’immigration par tous les moyens». «Alors que les systèmes de santé et d’éducation sont en perdition et que la corruption s’étend en Hongrie, relève la fondation créée en 1979 par l’ancien mécène d’Orbán, le gouvernement actuel cherche à créer un ennemi de l’extérieur pour faire diversion et tromper les citoyens […] Il a choisi György Soros dans ce but
Le virage Trump
Véritable grain de sable dans la conduite du plan d’action gouvernemental, György Soros n’est pourtant que relativement inquiété jusqu’en novembre 2016 et l’issue des élections américaines. Appui financier de la campagne d’Hillary Clinton, Soros perd alors le soutien de Washington avec la victoire de Donald Trump. Washington désormais rallié à sa cause, Victor Orbán voit l’horizon se dégager et se saisit de l’instant pour engager une série de mesures législatives visant à faire taire les critiques et lancer une campagne «anti-Soros» au motif que celui-ci et les institutions qu’il finance encourageraient les migrants musulmans à s’installer en Hongrie et en Europe et menaceraient ainsi l’identité chrétienne du continent. Un axe politique désormais en adéquation avec les nouvelles positions d’une Maison Blanche dont Soros ne peut plus se prévaloir du soutien.
Premières attaques législatives
Le mot d’ordre passé, commencent alors au printemps 2017 les premières attaques législatives contre Soros. Avec le soutien de sa majorité parlementaire du Fidesz, Victor Orbán fait ainsi passer le projet de loi «Lex CEU» au Parlement. Cible principale du texte : l’Université d’Europe centrale (CEU), un établissement bilingue américain d’éducation supérieure siégeant à Budapest, fondé et financé par György Soros lui-même et dont la particularité est de délivrer un double diplôme américain et hongrois. Or, selon la proposition de loi soutenue par le Premier ministre, il sera désormais interdit aux universités hors UE d’accorder des diplômes nationaux sans un agrément du gouvernement. Comprendre: sans le soutien de Victor Orbán, lui-même. Pis: tout établissement étranger exerçant en Hongrie devra également disposer d’un campus dans son pays d’origine, soit, dans le cas de la CEU, sur le sol américain: «une atteinte inacceptable à la liberté académique» pour Michael Ignatieff, président de la faculté et ancien professeur à Harvard, et une manière indirecte, pour les détracteurs du texte, de fermer l’Université de György Soros, considérée comme un contre-pouvoir au régime autoritaire de Victor Orbán.
Riposte vaine de Bruxelles
Virulente, l’attaque contre la CEU ne marque cependant que le début des hostilités envers Soros. Quelques semaines après s’ajoute l’adoption d’une autre proposition de loi, le 13 juin, visant cette fois à renforcer le contrôle de l’Exécutif sur les ONGs dont, en premier lieu, celles bénéficiant encore du financement de György Soros. Le principe est simple: toute ONG recevant annuellement plus de 24.000 euros de fonds étrangers sera dans l’obligation de fournir une liste annuelle de ses principaux soutiens financiers étrangers et de se présenter explicitement comme «organisation bénéficiant de financements étrangers». Si celle-ci n’obtempère pas, elle se heurtera au risque de dissolution. Une forme de casus belli pour la Commission européenne; cette loi violant selon elle «le droit à la liberté d’association et le droit à la protection de la vie privée et des données à caractère personnel consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union», car entraînant «une discrimination indirecte à l’égard des dons aux organisations de la société civile provenant de l’étranger et restreignant ceux-ci de manière disproportionnée». Des déclarations, suivies du lancement d’une procédure d’infraction contre Budapest, couplées à des manifestations de rue à l’échelle nationale, qui ne feront néanmoins pas plier Budapest. Bien au contraire.
Fédérer autour d’une rhétorique anti-immigration
A un an des législatives d’avril 2018, Victor Orbán s’en prend directement à György Soros, désormais officiellement désigné comme «bête noire» du pays, et dont l’objectif ne serait ni plus ni moins que d’affaiblir la Hongrie et l’Union européenne en y favorisant l’implantation d’une immigration africaine et moyen-orientale. De là naît la campagne d’affichage mettant en exergue un philanthrope arborant un sourire effronté sous-titrée du slogan «Ne laissez pas Soros avoir le dernier mot», et une consultation nationale appelant à empêcher le milliardaire de «permettre l’intégration plus rapide des immigrants illégaux». «Ces déclarations contiennent des falsifications et de purs mensonges qui visent à tromper les Hongrois sur l’opinion de György Soros concernant les migrants et les réfugiés», ripostait alors l’Open Society Fondation, non sans un certain succès, seuls 2,3 millions d’électeurs sur 8 millions décidant de participer à ce vote, qualifié d’opaque, voire entaché d’irrégularités. Mais un succès tout relatif, l’objectif premier de ce scrutin étant ailleurs, de l’aveu même de Mráz Ágoston, politologue et directeur de l’Institut Nézőpont – proche du gouvernement Orbán. Véritable objectif, selon lui: fédérer la base électorale du Fidesz, quatre mois avant les élections législatives de 2018 et légitimer la rhétorique anti-immigration du parti au pouvoir.
Une «stratégie de diversion» payante
Mi-échec, mi-victoire, selon le point de vue adopté, cette consultation permet néanmoins à Victor Orbán de présenter à la mi-février 2018 le dépôt d’un nouveau projet de loi intitulé «Stop Soros», visant directement les ONGs hongroises soutenues par le philanthrope et menaçant d’expulsion tout citoyen aidant des migrants à entrer sur le territoire national. «Soros a dépensé une fortune pour sa croisade anti-hongroise, mais l’administration Orbán refuse légitimement de céder aux pressions de l’UE et à l’implantation des migrants», justifie alors le quotidien pro-gouvernemental Magyar Idők pour qui «les activistes de Soros n’ont pas réussi à déclencher la guerre civile qu’ils désiraient».
Plus critiques, certains journaux comme le HVG et Magyar Nemzet, relèvent qu’«avec ce projet arbitraire et pernicieux», déposé à de seules fins électoralistes, tant celui-ci pourrait de la même manière être utilisé contre les activistes anti-corruption ou les opposants au projet nucléaire Paks II financé par Moscou, «le gouvernement accule les ONGs dans la catégorie des méchants menaçant l’intégrité du pays». Une analyse en partie recoupée par les propos mêmes du candidat Orbán qui, dans l’exercice de ses fonctions de Premier ministre, présentait le 6 avril dernier une vision relativement binaire de la scène politique nationale, résumée en deux options: «l’une est incarnée par les candidats de György Soros (les partis de l’opposition, ndlr), – l’autre par les candidats du Fidesz». D’un côté figure une opposition pro-migrants que Viktor Orbán présente comme manipulée telle une marionnette par György Soros; de l’autre, un parti au pouvoir garant de l’identité nationale et ethnique du pays. Une «stratégie de diversion» qui fonctionne parfaitement, déplore alors Ferenc Gyurcsány, ancien Premier ministre socio-démocrate et candidat pour la Coalition démocratique (DK): «Tout le monde ne parle que de Soros et des migrants. Selon un récent sondage, près de 8 Hongrois sur 10 sont préoccupés par les réfugiés, alors qu’ils sont si peu nombreux que la plupart de mes compatriotes n’en ont jamais vus de leur vie! Mais rien n’y fait: il est impossible de provoquer un débat sur l’éducation, la santé ou la corruption».
Au soir du 8 avril, les urnes confortent l’analyse. La «croisade anti-Soros» et la mobilisation nationale contre «l’ennemi public n° 1», pour reprendre les termes de Charles Haquet, envoyé spécial de L’Express en Hongrie, s’avère payante. Le Fidesz obtient les deux tiers des sièges au Parlement – suffisamment pour être en mesure de modifier la Constitution – et Victor Orbán se voit reconduire à la tête du pays pour un troisième mandat consécutif. Cinq semaines après, la Fondation Soros annonce son repli vers Berlin avec pour presque dernière question en suspens: à défaut d’«ennemi extérieur» représenté sur le sol hongrois, Budapest pourra-t-elle encore échapper longtemps aux questions politiques et sociales cachées tout ce temps sous le tapis de sa politique anti-migratoire?
Eszter Karacsony est diplômée de Sciences Po Strasbourg, Master 2 «Politiques européennes et Affaires publiques».
Photo: György Soros / Central Europe University under creative commons
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