Elisabeth-Morin Chartier : « Nous sommes encore très éloignés d’une égalité sociale »
Rencontre organisée à Strasbourg, le mercredi 14 janvier 2015 à l’occasion du débat d’ouverture du Cycle 2015 des Petits déjeuners européens de l’ENA consacrés à l’Europe sociale.
Fiscalité, temps de travail, salaire minimum européens… « Nous devons aujourd’hui avancer beaucoup plus vite en matière de politique sociale européenne», avance la rapporteure pour le Parlement européen sur le Fonds social européen. Ces thématiques, Elisabeth Morin-Chartier (3) avoue y «être arrivée par hasard», il y a maintenant sept ans de cela alors qu’elle prenait ses premières fonctions à Strasbourg et Bruxelles. Mais, surtout, d’»y être restée engagée par convictions personnelles» et par urgence, alors que le taux de chômage en Europe touche 23,9% des 15 à 25 ans et autant la tranche des 25-30 ans.
Fiscalité, temps de travail, salaire minimum européens… «Nous devons aujourd’hui avancer beaucoup plus vite en matière de politique sociale européenne», avance la rapporteure pour le Parlement européen sur le Fonds social européen. Ces thématiques, Elisabeth Morin-Chartier avoue y «être arrivée par hasard», il y a maintenant sept ans de cela alors qu’elle prenait ses premières fonctions à Strasbourg et Bruxelles. Mais, surtout, d’»y être restée engagée par convictions personnelles» et par urgence, alors que le taux de chômage en Europe touche 23,9% des 15 à 25 ans et autant la tranche des 25-30 ans.
Face à son auditoire, la députée européenne, égraine les exemples illustrant l’urgence des politiques restant à mener en matière sociale et les difficultés afférentes. L’harmonisation du temps de travail en Europe, par exemple, où, lorsque certains Etats membres limitent cette durée «à 39 ou 42h, d’autres, comme la Pologne, autorisent la signature de trois contrats de travail simultanés pour une même personne avec des horaires pouvant atteindre les 70h hebdomadaires». Un décalage non sans conséquences sur le marché de l’emploi européen, relève-t-elle. Certes, une proposition d’harmonisation en ce domaine a bien été posée sur la table en 2008 mais elle fut aussitôt mise de côté puis «passé à la trappe entre 2009 et 2014, comme s’il ne s’agissait là pas d’un sujet fondamental de l’égalité des droits».
L’harmonisation du temps de travail au programme de la Commission Juncker
Petite lueur d’espoir, avec le changement d’exécutif européen, «ce sujet devrait néanmoins revenir prochainement à l’agenda parlementaire», confie Elisabeth Morin-Chartier. Un projet qu’aurait partagé avec elle le 13 janvier, veille de sa venue à l’ENA, Marianne Thyssen, la Commissaire européenne à l’emploi, aux affaires sociales aux compétences et à la mobilité. Un projet que l’ancienne Vice-présidente du Conseil régional de Poitou-Charentes estime essentiel à la mise en conformité de notre législation sociale avec la Charte européenne des droits fondamentaux qui «impose justement une égalité des droits et, de fait, de protection sociale, de retraite, de temps de travail, ou encore de salaire entre Européens. Une égalité, elle ne s’en cache pas, « dont nous sommes encore très éloignés».
Mais quand bien même l’annonce de Marianne Thyssen se vérifierait-elle dans les prochains mois, tendre vers cette égalité sociale ne sera pas aisé, nuance Elisabeth Morin-Chartier. Les exemples d’avancées avortées ne manquent pas au cours des dernières années. Le cas du congé maternité en est une illustration. Les Etats membres avaient marqué leurs lignes rouges: aller au-delà de 16 à 18 semaines ne serait pas envisageable. Raison invoquée par les chefs d’Etat et de gouvernement: le coût économique total par naissance* d’un allongement du congé maternité à 20 mois. Un coût de 1,4 milliard d’euros par an pour la France, et de près de trois milliards d’euros pour la Grande Bretagne, selon une étude d’impact de la société Ramboll Consulting, présentée le 5 octobre 2010 au Parlement européen, qui ne tiendra finalement pas compte de l’avertissement. Sans grande surprise, le texte reste depuis bloqué par les Vingt-huit, empêchant toute harmonisation sociale par le haut. Un exemple parfait de texte qui aurait pu poser les bases de réelles avancées sociales mais empêché parce que «pris en otage», déplore Elisabeth Morin-Chartier, par une majorité hétéroclite composée d’»une gauche sociale qui voulait plus et d’une droite traditionnaliste», elle aussi favorable aux 20 semaines mais pour de toutes autres raisons: favoriser le retour des femmes à la maison et de privilégier ainsi l’accès du travail aux hommes en période de crise. «Pour vous donner un exemple, l’un des représentants de la droite traditionnaliste alla même, en plus des 20 semaines, jusqu’à proposer un congé complémentaire d’allaitement de deux ans!», illustre l’élue PPE.
« Une concurrence salariale intra-communautaire déloyale »
Autre exemple de blocage, la question du salaire minimum européen oscillant entre « 1800 euros par mois en Suède, contre 180 euros en Hongrie ou 150 euros en Bulgarie». Conséquence directe, analyse Elisabeth Morin-Chartier, «les mouvements de travailleurs de l’Est de l’Europe vers les pays européens à hauts revenus créent une concurrence déloyale de main d’œuvre et encouragent des entreprises de l’Ouest à s’installer à la charnière entre les anciens PECO et des Etats membres plus riches, comme l’Autriche, située à trois pas de pays à bas coût de main d’œuvre». Là encore, tout un chacun au sein des Etats membres, de la Commission ou du Parlement, s’accorde à dire que cette situation ne peut durer, tant elle favorise un certain dumping social. Pourtant, une fois encore, les Etats peinent à s’entendre, au point de ne laisser espérer au mieux une avancée sur ce dossier «qu’à l’horizon 2019, en fin de mandature». Un point que l’on pourrait également transposer à l’harmonisation fiscale du coût du travail. «Tant que nous n’avancerons pas sur cet autre dossier, cela ne fonctionnera pas», ajoute Elisabeth Morin-Chartier, citant en exemple les charges patronales afférentes à l’embauche d’un assistant parlementaire: 19,1% dans le cadre d’un statut européen basé à Bruxelles, 56%, dans le cas d’un assistant local de droit français. Un différentiel illustrant, dans cet exemple comme dans d’autres, l’ampleur du fossé…
« Nous allons progressivement vers du mieux disant »
Temps de travail, salaire minimum, harmonisation fiscale, égalité des droits… autant de piliers non exhaustifs de ce que devrait être ce modèle social européen sur lequel nul n’arrive finalement encore à s’accorder. Pourtant, des outils existent et fonctionnent, relativise Elisabeth Morin-Chartier, cherchant à nuancer ce sombre tableau. Parmi ceux-ci, le Fonds social européen qu’il s’agirait enfin d’utiliser pleinement pour adapter les salariés, «tout au long de la vie aux nouveaux besoins des entreprises et d’anticiper, ainsi, des pertes d’emplois en préparant, bien en amont, les reconversions futures». Autre exemple, le Fonds d’ajustement à la mondialisation, dont ont notamment pu bénéficier les salariés des filières textile au Portugal ou informatique en Irlande, suite à la fermeture de Dell à Limerick. L’insertion grandissante, également, de «clauses sociales» dans les appels d’offres, qui est un autre outil à ne pas négliger, celui-ci permettant progressivement de réduire le poids des prestataires privilégiant le dumping social. Des mesures sans doute encore marginales et insuffisantes mais qui, conclut Elisabeth Morin-Chartier, permettent de vérifier que s’«il y a certes eu du moins disant, nous allons malgré tout progressivement vers du mieux disant».
* Coût totalisant la valeur de la «perte de production» par naissance et l’impact sur la fiscalité, minoré des économies réalisées dans les dépenses de garde d’enfants.
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À propos des auteurs :Christophe Nonnenmacher est chargé de mission au Pôle européen d’administration publique de Strasbourg (PEAP). Journaliste spécialisé sur les questions européennes, il a notamment travaillé pour La Semaine de l’Europe, La Quinzaine européenne et l’Européenne de Bruxelles, avant de diriger, jusqu’en 2009, le site Europeus.org, qu’il cofonda en 2004 avec Daniel Daniel Riot, alors directeur de la rédaction européenne de France3. Il a également travaillé cinq ans au Parlement européen. Natacha Ficarelli est rédactrice en cheffe adjointe de la Revue Etudes européennes.
Copyright: Études européennes. La revue permanente des professionnels de l’Europe. / www.etudes-europeennes.eu – ISSN 2116-1917
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