D’après les dernières données du baromètre de la Direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) plus de six Français sur dix de 18 à 24 ans seraient favorables à l’allongement de ce congé, actuellement de onze jours et mis en place en janvier 2002. Si ce souhait, susceptible de s’appuyer sur les modèles scandinaves, devenait réalité, il pourrait améliorer de façon considérable la vie des femmes.
Dans la conception traditionnelle de la spécialisation, de la séparation et de la complémentarité des tâches entre les femmes et les hommes, les hommes se voient assigner les activités dites de production (participation rémunérée au marché du travail), alors que les femmes sont destinées aux tâches dites de reproduction (tâches domestiques et de soins aux personnes proches – que l’on nomme aussi le « care », exercées à titre gratuit).
Cette conception définit aujourd’hui encore des stéréotypes, des attentes, une organisation sociale (le temps, l’espace), des institutions qui façonnent les «rôles de genre» dévolus aux hommes et aux femmes.
Des femmes toujours cantonnées aux rôles de genres
Les statistiques témoignent de la difficulté de faire évoluer les rôles de genre. Si l’on constate, en France, un engagement croissant des femmes sur le marché du travail, les modalités de cet engagement diffèrent de celles des hommes (temps partiel, retraits plus fréquents, etc.).
Les modalités et le degré de participation différents des femmes et des hommes sur le marché du travail se traduisent par un revenu moins élevé pour les femmes, plus dépendantes que les hommes des revenus de leur conjoint et se répercutent, en cas de problème, sur le montant de leurs prestations sociales respectives.
En parallèle, l’implication des hommes dans la sphère familiale évolue très lentement, alors qu’on sait que ce facteur est déterminant pour favoriser la participation des femmes au marché du travail. C’est dans cette dynamique que s’ancrent profondément les inégalités de genre.
Transformer le cercle vicieux
L’enjeu politique est donc de transformer ce cercle vicieux. Aux côtés de la fiscalité, de l’organisation du temps de travail, et des solutions d’accueil, la protection sociale est l’un des instruments efficaces de transformation des rôles de genre. La fonction de la protection sociale est en effet double : elle permet aux femmes et aux hommes de se retirer du marché du travail ou maintient leur revenu lorsqu’ils sont confrontés à certaines éventualités (maladie et soins de santé, chômage, vieillesse, arrivée d’un enfant, maternité). Elle peut aussi encourager, par différents moyens, leur réinsertion sur le marché du travail.
À partir de la Seconde Guerre mondiale, et pendant des décennies, la protection sociale française a été marquée par une ambition nataliste et, par un jeu de gratifications sous forme d’augmentation des prestations, a encouragé les femmes à mettre au monde au moins trois enfants et à demeurer au foyer, ce qui a consolidé les inégalités de genre.
Dans les années 1990, des études ont montré qu’encourager la participation des femmes au marché du travail comme le faisait la Suède favorisait mieux la natalité.
La France a alors mis en place une série de dispositifs pour encourager la participation des femmes au marché du travail (et a relevé son taux de natalité, avec cependant une chute importante au cours des trois dernières années) : subventions pour l’engagement de gardes d’enfants, augmentation des places de crèches, etc.
Un «problème de femmes»?
La protection sociale, et la politique de conciliation de la vie familiale et professionnelle restent marquées par l’idée que cette question est un «problème de femme».
Elles favorisent l’activité professionnelle des femmes en négligeant l’importance, pour réduire les inégalités de genre, d’encourager la participation des hommes à la vie familiale.
On sait que la présence du père auprès de ses enfants nouveau-nés est essentielle pour mettre en place des habitudes de partage équitable des soins entre les parents des deux sexes. Toute mesure dans ce domaine devrait, comme en Suède, être adoptée en réfléchissant à son impact simultané sur le travail professionnel des femmes et l’engagement familial des hommes.
Repenser le congé parental
À côté de solutions d’accueil des enfants accessibles, la configuration des congés parentaux et de paternité apparaît à cet égard déterminante, et les études montrent que le comportement des pères est sensible à certains facteurs comme le montant de l’allocation, ou la possibilité de fractionner le congé ou de le prendre à temps partiel.
En France, par exemple, le congé parental d’éducation est indemnisé de manière forfaitaire et peu élevée. Or, au sein du ménage, le revenu d’un homme est en général plus élevé que celui d’une femme, et la perte pour le ménage, dans ces conditions, serait trop importante si l’homme interrompait son activité.
En définitive, ce sont plutôt les femmes peu insérées ou qui disposent de salaires modestes qui y recourent. Il conviendrait de mettre en place une indemnisation proportionnelle au salaire, qui couvre une période plus longue qu’aujourd’hui, et de favoriser la prise de congés fractionnée et à temps partiel. La durée du congé de paternité, qui lui est bien indemnisé, pourrait être augmentée et le congé rendu obligatoire : beaucoup d’hommes qui souhaiteraient y recourir en sont en effet dissuadés par leur entourage professionnel.
Modèle suédois
Le modèle suédois de congé parental est favorable à l’égalité : chaque parent dispose de 480 jours par enfants à répartir entre les parents, sous réserve de 90 jours qui ne sont pas transférables d’un parent à l’autre.
La sécurité sociale – et non l’employeur – couvre 80 % du salaire pendant les 390 premiers jours et environ 18 euros par jour pendant les 90 jours qui suivent, en plus d’un large accès à des solutions d’accueil pendant la première année de l’enfant.
Il a inspiré un projet européen de directive sur la conciliation entre vie privée et vie professionnelle destinée à favoriser un meilleur partage des responsabilités familiales entre les femmes et les hommes.
La France opposée à plus d’ouverture
Cependant, et notamment en raison de l’opposition de la France, les vingt-huit ont réduit de 4 à 2 mois la durée minimale du congé non transférable à l’autre parent, ainsi que la durée minimale d’indemnisation (de 4 à 1,5 mois), et aucune référence à une indemnisation minimale n’a été retenue.
En l’état, ce projet tendra donc à renforcer la spécialisation des rôles masculins et féminins dans la famille et sur le marché du travail, plutôt qu’à assurer un meilleur partage des tâches.
De manière plus fondamentale, faire dépendre les droits à la sécurité sociale de la citoyenneté plutôt que du statut de travail permet d’éviter que les inégalités professionnelles se répercutent sur les allocations sociales.
Ce principe, au cœur des systèmes scandinaves de sécurité sociale, est un facteur important de leur réussite dans la réduction des inégalités de genre… À condition toutefois d’être mis en œuvre dans le cadre d’une politique globale de promotion de l’engagement des hommes dans la famille (en imposant, par exemple, des congés de paternité suffisamment longs) et des femmes sur le marché du travail (solutions d’accueil financièrement accessibles et de qualité, organisation du temps de travail favorable aux parents).
En définitive, la pertinence de genre d’une politique sociale peut s’évaluer à l’aune de sa capacité à permettre à chaque individu, homme ou femme, même isolé, de participer au marché du travail et d’assumer ses obligations familiales, tant dans leurs dimensions financières que temporelles.
Pascale Vielle est Professeure de droit social à l’Université de Louvain, IEA de Nantes, Réseau français des instituts d’études avancées (RFIEA). Article initialement publié sur le journal de RFIEA, Fellows n°48 et The Conversation, sous licence creative commons. Photo : Pxhere CCO Domaine publique
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