Le 1er mars 2019, la France a commencé à assurer la présidence du Conseil de sécurité des Nations unies (CSUN). Cela se produit tous les quinze mois, puisque la présidence change tous les mois entre les quinze membres du Conseil, en suivant l’ordre alphabétique du nom des membres en anglais. Cependant, pour la première fois de l’histoire, la France présidera avec l’aide de l’Allemagne – qui est actuellement un membre non permanent élu pour la période 2019-2020 – l’un des organes les plus importants de l’ONU. Cette expérience historique sera renouvelée le mois prochain lorsque l’Allemagne exercera à son tour la présidence.
Il est important de comprendre qu’il s’agira d’une « présidence jumelée », et non pas une «co-présidence» ou «présidence commune». Qu’est-ce que cela signifie ? Une co-présidence aurait impliqué de modifier les règles de fonctionnement du Conseil de sécurité, qui stipulent qu’un État est chargé de définir le programme du Conseil, ainsi que d’organiser et de présider ses réunions.
Au lieu de cela, la France en mars – et l’Allemagne en avril – resteront chacune présidente, mais les deux pays ont convenu de coordonner leurs programmes de travail. Ils ont défini trois priorités:
- la protection des personnels humanitaires et du respect du droit international humanitaire ;
- la résolution des conflits et l’engagement pour la paix ;
- la défense des femmes et leur participation accrue aux processus de paix.
La France préconise l’élargissement du Conseil de sécurité à l’Allemagne, mais également à d’autres puissances régionales telles que le Japon ou le Brésil, depuis les années 90.
Alors pourquoi cette initiative a-t-elle lieu maintenant ? La réponse la plus évidente est, bien évidemment, que l’Allemagne siège en ce moment au Conseil de sécurité et ce, jusqu’au 31 décembre 2020 – ce qui n’est pas arrivé depuis son mandat en 2011-2012. Cependant, si cela explique pourquoi cette présidence jumelée est possible, cela ne nous dit pas pourquoi elle a lieu.
«Plus qu’une puissance moyenne»
Afin de comprendre cette décision, nous devons examiner le contexte dans lequel a pris place cette décision et, plus spécifiquement, il convient de prendre en compte l’influence du Brexit. La décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne a en effet joué un double rôle.
Premièrement, si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, cela signifiera que la France sera le seul membre permanent européen au Conseil et, par conséquent, certains ont affirmé qu’elle devrait céder son siège permanent afin de permettre qu’il devienne un siège européen. Cette proposition a notamment été faite par le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz, en novembre 2018.
Le siège permanent de la France à l’ONU est un élément essentiel de sa politique étrangère, mais également de son identité. Aux yeux des différents présidents français, c’est l’un des facteurs depuis la fin de la Guerre froide permettant à leur pays de rester «plus qu’une puissance moyenne», qui l’aide à promouvoir son «rang» et sa «grandeur».
Par conséquent, cette présidence jumelée permet à Paris de contrer ce qui était perçu comme une proposition inconcevable, tout en l’aidant à rendre plus légitime son siège permanent, à un moment où elle se sentait une nouvelle fois contrainte de le justifier.
«L’Allemagne et la France doivent assumer leurs responsabilités…»
Deuxièmement, l’influence de Brexit se lit dans le moment où la décision de cette présidence jumelée a été prise. C’était en effet l’une des mesures approuvées par le président français Macron et la chancelière allemande Merkel lors du traité d’Aix-La-Chapelle. Ce dernier fut signé en janvier 2019 afin d’approfondir la coopération franco-allemande en vue de bâtir une Europe plus forte.
Comme le soulignait Emmanuel Macron lors de la signature du traité:
«Au moment où notre Europe est menacée par les nationalismes qui se développent en son sein, où notre Europe est bousculée par un Brexit douloureux, où notre Europe est inquiète des grands changements internationaux… dans ce monde et cette Europe, l’Allemagne et la France doivent assumer leurs responsabilités et montrer la voie.»
Bien que cette décision soit une bonne nouvelle pour l’Union européenne, puisque «ces deux mois permettront de porter les priorités et valeurs de nos deux pays, ainsi que celles de l’Union européenne», on ne peut en dire autant pour le Royaume-Uni.
Cela ne fera que contribuer à isoler encore plus le pays au sein du Conseil, à un moment où des experts ont déjà fait valoir dans leur rapport Global Britain in the United Nations que l’influence du pays à l’ONU avait d’ores et déjà souffert de sa décision de quitter l’UE.
Eglantine Staunton est Research fellow, University of Leeds /article publié initialement dans The Conversation / Photo: Emmanuel Macron au siège des Nations-Unies, New York – UN audiovisual service
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