«Une bataille pour la dignité et le respect»: c’est en ces termes qu’Antonio Tajani, a ouvert jeudi la réunion interparlementaire consacrée au pouvoir des femmes en politique. Feuille de route du président du Parlement européen: «Continuer à travailler pour que davantage de femmes soient présentes» dans ce secteur d’activité. Mais si celles-ci occupent désormais 36,1% des rangs de l’institution, contre 15,2% en 1979, la seule mise en place de quotas ne suffira pas à tenir un objectif de parité.
Dans la salle de travail bruxelloise accueillant la réunion interparlementaire consacrée au «pouvoir des femmes en politique», membres de la commission des droits des femmes et de l’égalité des genres, ainsi que plus de vingt parlementaires nationaux venus de quinze États membres de l’Union et de Norvège échangent. Associées aux débats, la commissaire chargée de la justice, des consommateurs et de l’égalité des genres, Věra Jourová, la Cheffe de la diplomatie de l’Union, Federica Mogherini, et le vice-président de la commission des droits des femmes, João Pimenta Lopes, plaident «pour une plus grande participation des femmes à la prise de décision, pour que les hommes s’engagent dans la lutte pour l’égalité des genres et pour que les législations existantes relatives à cette question soient dûment appliquées». D’autres dénoncent des obstacles «très concrets», parmi lesquels les conditions de travail précaires, les revenus inférieurs, l’absence de congé de paternité, qui ne «favorisent pas l’émancipation des femmes dans le champ politique». Autre élément, mis en avant par par Kolinda Grabar-Kitarović, un certain plafond de verre qui pèse sur la carrière des femmes. La première femme élue Présidente de Croatie n’hésite pas à illustrer son propos en soulignant combien elle avait dû elle-même se battre pour sa place, tant dans sa vie personnelle qu’en politique. «Le point de départ doit être un changement de mentalité», insiste-t-elle: «nous devons construire une culture politique qui mène à la participation égale des femmes». Mais pour cela faut-il encore un pré-requis: que les femmes aient «foi» et «croient en elles, en leurs valeurs, en leur force et en leurs capacités». C’est «leur détermination qui fera tomber tous les obstacles qui subsistent».
Les partis politiques en ligne de mire
Si nul ne remet en question ces affirmations, tous s’accordent sur le fait qu’il en faudra néanmoins bien plus pour rééquilibrer la balance, rejoignant en ce sens les travaux portés en marge de la réunion par Martina Schonard, coordinatrice de l’étude «Women in political decision-making in view of the next European elections» pour le compte du Policy Department for Citizens’ Rights and Constitutional Affairs du Parlement européen. Bien plus que de louables intentions, son travail de recherche souligne ainsi qu’une remise en question du fonctionnement interne des partis politiques en Europe, dont dépendent directement l’attribution des candidatures et des positions sur les listes électorales, sera l’un des piliers de ce changement. «Les données internationales, souligne-t-elle, suggèrent que les meilleurs résultats sont obtenus lorsque les partis s’engagent dans des programmes d’action ambitieux, multidimensionnels et coordonnés, qui visent à modifier leurs pratiques et cultures internes». Et, de ce point de vue, force est de constater que la prise de conscience est loin d’être partagée dans la pratique. Rien qu’au Parlement européen, l’un des plus féminisés au monde, en avril 2018, seuls sept Etats membres sur vingt-huit disposaient de délégations parlementaires européennes comptant plus de 40% de femmes.
Changer les mentalités
Entre autres solutions proposées, une politique stricte de quotas, souvent mise en avant, lors de la constitution des listes électorales, mais très largement insuffisante. Mauvaise élève de la classe européenne avec seulement 25% d’élues au Parlement européen, la Pologne est un cas éclairant pour Martina Schonard: «Si certains partis de gauche et les Libéraux ont adopté des règles prônant la parité entre les premières places sur leurs listes ou l’obligation de placer au moins une femme et un homme parmi les trois premières positions sur la liste et au moins deux femmes et deux hommes parmi les cinq premières positions sur la liste, les partis conservateurs se limitent encore à ne respecter que les quotas de sexe, indépendants du positionnement des candidats sur leurs listes, dont dépend véritablement leurs chances d’être élues».
Plus subtil, l’engagement de longue date au sein d’un parti, peut tout autant nuire à la représentation féminine, comme l’illustre le cas espagnol, bien que ce pays frôle l’égalité de représentation au Parlement européen avec 48% d’élues. «L’un des facteurs qui limite l’offre de candidates dans la vie politique espagnole est que les partis traditionnels comme le PP et le PSOE ont toujours choisi leurs candidats en fonction de leur loyauté envers le parti, qui se manifeste généralement par une longue carrière en son sein, analyse Martina Schonard. En revanche, de nouveaux partis comme Ciudadanos et Podemos recrutent de manière proactive des talents extérieurs au parti, dont de nombreuses femmes, pour diriger leurs programmes». De quoi, certes équilibrer la balance des genres, mais qui, au moins pour les partis traditionnels, appelle tout autant à un changement de mentalités, en cassant le principe de prime à l’ancienneté, tant, du moins, que les femmes ne pourront justifier d’autant d’années de dévouement partisan que leurs homologues masculins.
Ce que veulent les femmes
Reste qu’en matière de changement, la vie politique doit-elle même évoluer, note l’étude parlementaire, tant au sein des Etats membres que des institutions européennes. A cet effet, plusieurs autres données doivent êtres prises en compte: le niveau de revenus des femmes restant inférieur à celui des hommes, investir dans une campagne électorale leur reste bien moins aisé, poursuit le groupe d’auteurs coordonné par Martina Schonard, qui appelle notamment à la création, au sein des partis politiques, d’un fonds de soutien électoral dont pourraient bénéficier les femmes désireuses de s’engager dans une campagne électorale. Autre recommandation, leur mise à disposition de programmes de formation, de réseautage et de mentorat, visant à faciliter leur accompagnement dans le champ politique. Et, peut-être plus important encore: repenser l’exercice politique afin de favoriser une meilleure adéquation entre vie politique et privée. «Un changement de culture des partis est de ce point de vue fondamental», témoigne sous couvert d’anonymat une élue suédoise européenne, citée dans l’étude. «Adopter une telle stratégie d’équilibre entre travail et vie personnelle ferait une véritable différence». «En fait, confie-t-elle, je suis horrifiée, par la façon dont nous devons nous adapter à un petit nombre d’hommes qui gouvernent le jeu. Siéger en réunion jusqu’à 23h, au détriment de votre vie familiale, ne fait pourtant pas de vous un meilleur politicien! Mais aucun d’eux n’accepte d’adapter sa façon de travailler aux engagements familiaux. Mes collègues masculins ont des femmes au foyer. Mon mari a une carrière». Quelle autre issue, pour une femme désireuse de concilier vie familiale et vie politique que de jeter l’éponge, si ni son parti, ni le Parlement ou son époux ne prend en considération cette réalité? Ceci plus encore si des postes à plus haut niveau lui étaient potentiellement accessibles.
Plafond de verre
Résultat des courses, et même si l’on se rapproche progressivement d’une représentation paritaire aux postes de vice-présidence du Parlement et de présidence de commissions, sur les huit groupes parlementaires siégeant au Parlement, deux, seulement, ont pour président une femme: la Gauche unitaire, avec Gabi Zimmer, les Verts avec Rebecca Harms, qui partage le siège avec le Philippe Lamberts. Au sein du PPE et du S&D, Manfred Weber et Frans Timmermans – deux hommes – devraient là encore faire office de Spitzenkandidat au poste de Président de la prochaine Commission. Côté têtes de listes hexagonales aux élections européennes de mai prochain, seule, parmi les grandes forces politiques, La France Insoumise a confié sa campagne à une femme, Manon Aubry. Non moins significatif, la Commission européenne ne compte à ce jour que 14 femmes sur 67 directeurs généraux ou chefs de service. Le Conseil de gouverneurs de la Banque centrale européenne, 2 sur 27. Le cabinet du Conseil européen… aucune. A défaut de repenser les règles de la vie politique, en s’appuyant notamment sur les recommandations de l’étude coordonnée par Martina Schonard, nul doute pour Dimitrios Papadimoulis, vice-président du Parlement et président du groupe de haut niveau sur l’égalité des genres de réformes profondes: «Au rythme que nous suivons actuellement, nous n’atteindrons l’égalité des genres que dans 182 ans!».
Christophe Nonnenmacher est ancien journaliste, chargé de mission auprès de la présidence du Pôle européen d’administration publique de Strasbourg (PEAP) / Photo: Borgen, une femme au pouvoir.
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