Ce n’est pas la construction d’un système impérial totalitaire et centralisé du type de l’URSS qu’attendent les citoyens européens mais une nouvelle forme de gouvernance qui respecte la dignité et la liberté de chacun.
L’histoire de la construction de l’Union a commencé il y a 70 ans. Nous avons achevé la construction de l’Europe économique avec l’Union monétaire, mais l’Europe politique reste à réaliser. Les Pères Fondateurs ont voulu une Europe unie pour éviter de nouvelles guerres. Le 9 mai 1950, Robert Schuman, en faisant sa déclaration, pensait aux trois guerres entre la France et l’Allemagne, celle de 1870, la Première Guerre Mondiale 1914-1918 et la Seconde Guerre mondiale 1939-1945. Il avait compris le caractère impératif de la réconciliation franco-allemande comme moteur de la construction européenne et garantie de paix. Le Président Charles de Gaulle et le Chancelier Konrad Adenauer feront de l’amitié franco-allemande une priorité de leur politique. A la même époque, dans l’immédiat après-guerre, s’abattait sur l’Est de l’Europe un autre système, totalitaire, policier et arbitraire. La construction européenne autour de la France et de l’Allemagne de l’Ouest était aussi un moyen de s’opposer à l’expansion du système soviétique.
Je suis arrivé en Ukraine, il y a huit ans, invité au départ par un cousin éloigné, j’ai de la famille en Ukraine et en Russie. Je suis venu à Kiev pour construire une école de commerce avec des standards européens. La première année n’a pas été simple, les lourdeurs administratives et surtout la corruption ont retardé et annulé mon projet. La Révolution est arrivée et, très rapidement, j’ai rejoint mes amis ukrainiens. J’avais déjà donné plusieurs conférences sur l’Union européenne dans les universités à Kiev avant que ne commence la révolution ukrainienne. C’est donc tout naturellement que je suis devenu un activiste européen dans cette révolution! Je suis intervenu plusieurs fois sur la scène de Maidan, devant plusieurs centaines de milliers de personnes – plus de 300.000, le 8 décembre 2013. J’ai organisé les voyages à Kiev sur la Place Maidan de mon ami Henri Malosse, Président du Comité Économique et Social Européen de 2013 à 2015.
Changement de paradigme
Pourquoi ai-je fait la révolution en Ukraine? J’ai simplement observé dès le départ que mes amis ukrainiens se battaient pour les valeurs auxquelles je crois, et j’ai vu, à côté du drapeau ukrainien, flotter le drapeau de l’Union européenne, mon drapeau! J’étais le plus souvent du temps à la Maison des Syndicats (incendiée fin février 2014), je suis aussi allé sur la Place de l’Indépendance, j’ai discuté avec les gens sur les barricades. J’ai compris rapidement que cette révolution était d’abord une révolution pour l’Ukraine, une révolution pour changer de système. Ce combat n’avait pas uniquement pour objet d’aller vers l’Union européenne, ni même de s’opposer par principe à la Russie. Il était un combat pour l’Ukraine, pour une nouvelle Ukraine! L’enjeu, pour le Kremlin n’en est toutefois pas anodin : plus rapidement l’Ukraine sera en capacité de s’affranchir du système porté par Moscou, plus rapidement celui-ci sera susceptible d’être à son tour contesté et menacé jusqu’en ses terres. Soutenue par la Russie, l’enclenchement d’une guerre fratricide au Donbass entre pro-Kiev et pro-russes peut, d’une certaine manière, être considérée comme une réponse indirecte de Moscou à ce changement de paradigme appelant à des réformes profondes du système en place: à défaut de réussir à dominer encore Kiev, l’affaiblir pourrait éviter tout effet de «contagion». Ceci, encore plus, au regard des événements aujourd’hui en cours en Biélorussie.
«Révolution de la Dignité»
Dans ce contexte, il importe que l’Europe apporte une réponse unitaire et pacifique, pour être constructive. L’exemple de l’amitié franco-allemande doit nous aider à construire dans la paix une Europe unie et à résoudre le conflit entre l’Ukraine et la Russie. C’est pourquoi nous devons dès à présent travailler à cet objectif d’une paix pour tout le continent européen de l’Atlantique à l’Oural, comme l’appelait de ses vœux le Général Charles de Gaulle, et réunir, enfin, comme le souhaitait Saint Jean-Paul II, les deux poumons de notre continent. L’Europe ne construira son unité qu’autour de sa diversité, dans une réflexion dynamique. Ce n’est pas la construction d’un système impérial totalitaire et centralisé du type de l’URSS qu’attendent les citoyens européens mais une nouvelle forme de gouvernance qui respecte la dignité et la liberté de chacun. N’oublions pas que la révolution ukrainienne est aussi appelée «Révolution de la Dignité». Et qu’est-ce que la dignité si ce n’est, pour chaque citoyen, de ne pas être uniquement perçu ou considéré comme une simple statistique, un simple consommateur ou un esclave d’un système totalitaire et corrompu.
Les citoyens et la société civile, représentés notamment par les associations mais aussi par les ONGs et les fondations, peuvent contribuer dès maintenant à une nouvelle forme de gouvernance. C’est cette société civile qui a initié la révolution en Ukraine et c’est aussi elle qui se bat en Russie contre l’autoritarisme. Elle est le moteur d’un renouveau démocratique, elle est porteuse de changements dans la gouvernance même des États. Il y a, dans une forme de co-gouvernance entre la société civile et les Etats, un grand débat d’idées à commencer, où la place de la morale, de l’éthique dans les domaines politiques et économiques devra être discutée de façon approfondie et responsable. On pourrait aussi s’inspirer dans cette recherche d’une nouvelle gouvernance de la Doctrine Sociale des Eglise Catholique et Orthodoxe qui sont si proches.
Quelle gouvernance?
L’objectif de cette nouvelle forme de gouvernance est de se rapprocher de l’optimum politique et de garantir par là un exercice efficient et efficace de gouvernement. C’est se résoudre à une approche globale dans l’exercice du pouvoir qui passe par davantage de dialogue, la recherche du consensus et la prise en compte d’intérêts multiples. Cette approche intégrée a été abordée pendant la révolution ukrainienne notamment avec la multiplication des assemblées comme la Rada de Maidan avec une participation de toutes les couches sociales de la société ukrainienne.
L’Europe doit proposer une civilisation fédératrice et l’élaboration d’une nouvelle société. Sa constitution doit s’inscrire dans cette démarche si elle veut mieux être comprise et acceptée. C’est pour notre continent une chance historique à saisir. Beaucoup de nations sont dans la recherche de nouveaux modèles. Nous devons proposer un projet qui combatte la précarité, qui respecte l’environnement et permettra à chacun des citoyens de s’épanouir dans sa propre recherche du bonheur. Nous devons admettre de façon pragmatique que l’économie de marché est la seule qui fonctionne, mais que l’on doit l’aménager pour que ce soit l’économie qui serve l’homme et non l’inverse.
La mise en place des moyens techniques de réalisation de cette gouvernance fédérative apparaît aujourd’hui comme aisée à réaliser avec les moyens de communication moderne dont nous disposons, en particulier grâce aux ressources offertes par l’Internet qui a largement démontré ses capacités de mobilisation comme nous avons aussi pu le vivre lors de la Révolution ukrainienne. C’est là, pour l’Europe, un chantier extraordinaire pour une modernisation de la démocratie, laquelle pourrait représenter, une fois le travail achevé, le véritable apport de l’Europe au débat démocratique mondial, une des composantes de ce «European way of life!» qu’il nous faut encore trouver. C’est aussi la leçon donnée à l’Europe par la révolution ukrainienne et par les pro-européens Ukrainiens, Biélorusses, Russes, Azéries, Georgiens Arméniens que j’ai rencontrés lors de la révolution et qui combattent dans leurs pays respectifs pour les valeurs européennes.
Olivier Védrine est Professeur (h.c.), rédacteur en chef de Russian Monitor, Directeur de New Europeans / Photo: Yann Merlin via Olivier Védrine – tous droits réservés.
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