Alors qu’après un rebond vigoureux de l’activité économique débuté au printemps de l’année dernière et poursuivi sans relâche jusqu’au début de l’automne, la croissance européenne, de l’aveu même de la Commission, a ralenti au dernier trimestre 2021 à 0,4%. En cause: l’impact de la pandémie, la flambée des prix de l’énergie, les goulets d’étranglement de chaînes d’approvisionnement (notamment relatives aux pénuries de semi-conducteurs et de certains métaux). Pourtant, la France évoque pour cette année un taux de croissance de +4% et interpelle quant à la réalité de ces prévisions à quelques semaines des présidentielles.
La polémique, mère nourricière de tous les débats franco-français (surtout en période pré-électorale!), fait rage: d’après les derniers chiffres de l’INSEE, l’économie française aurait connu, en 2021, une croissance de l’ordre de 7%, chiffre atteint au-delà de toute attente: «L’économie française dépasse désormais nettement son niveau d’avant la Covid», commente l’INSEE et Bruno Le Maire, le Ministre de l’économie, des finances et de la relance de rajouter: «C’est un rebond qui efface la crise économique!»
Un commentaire qui vient appuyer l’effet d’une donnée publiée précédemment: la France a connu, malgré la crise sanitaire, une baisse historique du chômage atteignant un niveau qu’on n’avait pas connu depuis 2012! «2021 a été une année exceptionnelle pour l’emploi… A cela s’ajoute», souligne dans une interview Elizabeth Borne, la Ministre du Travail, «un taux de chômage au plus bas depuis près de 15 ans et un taux d’emploi au plus haut depuis 1975, des records d’embauches et la création de 1 million d’emplois depuis 2017!»
Entre Prix Nobel et Premier Ministre Britannique!
A moins de trois mois d’une élection présidentielle âprement disputée, ces données presque trop belles pour être vraies, ne pouvaient que susciter la polémique. Il y a eu Paul Krugman, Prix Nobel d’Economie (2008), qui a estimé que «la France s’en est mieux tirée que les autres pendant la pandémie!». Il y a eu des polémistes pour rappeler ce propos d’un ancien Premier Ministre britannique (Benjamin Disraeli) qui disait: «Il y a le mensonge, le sacré mensonge et la statistique!»
D’autres ont parlé de manipulations, avant de s’incliner, finalement, devant la réalité des chiffres publiés par des instances officielles et indépendantes: avec le constat que les créations d’entreprises ont été plus nombreuses et les faillites plus rares, les chiffres se sont imposés, même si les ministres (c’est leur travail, en tant que représentants du gouvernement en place!) en disposent à travers leurs commentaires! Il est vrai que face à des données qui traduisent -nolens, volens- la dynamique d’une sorte d’exception française, il n’est pas inutile de se rappeler que le PIB avait chuté, en 2020, de 8% à cause de la pandémie et qu’il reste à -1,6% en deçà de son niveau moyen de 2019!
Qui et comment payer les dettes
Les résultats ont certes été favorisés par les milliards (140!) que l’état a engagés pour préserver l’activité et l’endettement qui a suivi l’action des pouvoirs publics au nom du principe du «quoi qu’il en coûte», et qui posera, tôt ou tard, le dilemme du «comment» et «à quelle échéance» rembourser une dette que certains considèrent comme étant, dans les faits, …un investissement! Les résultats ont eu un effet inattendu: les recettes fiscales ont été supérieures à ce à quoi on s’attendait! La TVA a rapporté 3,6 milliards d’euros de plus qu’attendu et l’impôt sur le revenu a généré 1,6 milliard supplémentaire!
Le Ministre de l’Economie a souligné qu’une partie de ces recettes sera consacrée au remboursement de la dette. Après les présidentielles, quelle majorité se sentira engagée par cet engagement, après des élections qui dégageront peut-être d’autres priorités (l’augmentation du pouvoir d’achat par exemple) ?
Quelle croissance pour 2022?
Au-delà du poids de l’environnement politique (résultat électoral en France, mais aussi, par exemple, cohésion de la coalition en Allemagne engagée dans un lourd débat sur l’obligation vaccinale!), l’effet que pourrait avoir un rebond de la pandémie n’est pas à écarter, lorsqu’on aborde les perspectives de 2022. La France évoque pour cette année un taux de croissance de +4%. En Allemagne, Robert Habeck, le Ministre de l’économie (et du climat), vient d’évoquer un taux de +3,6%, alors que les instituts de prévisions avançaient encore, il y a peu, +3,9%.
Dans sa dernière note de conjoncture, la Banque de France, interrogeant son panel de chefs d’entreprise, mettait en relief la prudence de ses interlocuteurs: s’ils attendent une légère progression d’activité, les industriels font toujours état (52% d’entre eux) de difficultés de recrutement, alors que 53% d’entre eux contre 56% précédemment, constatent une amélioration dans les approvisionnements. C’est le cas notamment dans le Grand Est. Les semaines qui viennent souligneront, au-delà des polémiques, le sort de cette exception française évoquée plus haut.
Alain Howiller est chroniqueur pour Eurojournalist.eu, ancien rédacteur en chef des Dernières nouvelles d’Alsace / Photo: Bruno Lemaire et Maroš Šefčovič, vice-président de la Commission européenne chargé des Relations interinstitutionnelles et de la Prospective / Paris, 8 février 2022 / Photographe: Nicolas Kovarik / Union Européenne, 2022 / Source: EC – Service audiovisuel
© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.