«La Gauche veut envoyer des soldats hongrois au front. Nous ne le permettrons pas. Nous ne laisserons pas la gauche entraîner la Hongrie dans cette guerre! Nous ne laisserons pas la Gauche faire de la Hongrie une cible militaire […]!» prônait Viktor Orban, en faisant allusion à la guerre en Ukraine, sans ouvertement condamner l’agression Russe dans son discours du 15 mars. Une Gauche que le Premier Ministre présente comme favorable au conflit, contrairement à son propre parti conservateur, le Fidesz, qu’Orban entend décrire comme garant de la paix et de la sécurité, en amont des élections législatives qui se tiennent ce weekend. Selon Orban, le peuple hongrois se doit aujourd’hui de choisir entre la Droite, «qui incarne la paix, ou la Gauche qui est le parti de la guerre […]; [entre] la [c]onstruction ou la démolition». «Nous préservons la paix et la sécurité de la Hongrie. Qui votera pour la paix et la sécurité votera pour le Fidesz».
Se présenter comme le seul protecteur de la nation contre l’ennemie intérieur et extérieur, n’est pas une stratégie nouvelle dans la boîte à outils du Premier Ministre. Par le passé, il l’a déjà utilisée contre Bruxelles, György Soros, les réfugiés et migrants en 2015. Dans la dernière ligne droite des élections, il l’utilise à nouveau, cette fois contre une opposition politique qu’il résume de manière assez simpliste et réductrice en «la Gauche», quand bien même celle-ci rallierait des sociaux-démocrates, écologistes, libéraux, jusqu’à l’extrême-droite. Un front uni qui, le sait Orban, pourrait mettre en péril sa réélection. Lui, qui désire désormais faire oublier sa politique ouvertement favorable au Kremlin avec lequel il souhaitait développer des liens resserrés. Lui, qui au travers de sa réthorique ukrainienne, cherche désormais à se présenter dans les urnes comme garant impartial de la paix, non sans certaines chances de succès quant à cette approche.
«L’heure n’est pas aux amateurs»
Face aux craintes d’instabilité et de désordre que pourrait engendrer la guerre en Ukraine, la réthorique de Viktor Orban est loin d’être inaudible au sein de la population hongroise. Comme ce dernier ne cesse de le marteler dans son discours, «il est dans notre intérêt de ne pas être victime de la guerre d’autrui. Nous n’avons rien à gagner dans cette guerre, mais avons tout à y perdre. Nul Hongrois ne peut s’interposer entre l’enclume ukrainienne et le marteau russe. Nous n’enverrons donc ni soldats ni armes sur les champs de bataille. Nous devons rester en dehors de cette guerre!» Faire le choix électoral d’une opposition unie face à faire un choix inverse: celui d’un avenir imprévisible et dangereux: «Nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve. Il nous faut être prêt à toute éventualité. Pour ce faire, nous avons besoin d’un gouvernement qui ne surprenne pas, qui ne s’aventure pas sans expérience en eaux profondes. L’heure n’est pas aux amateurs, aux dilettantes».
Selon un récent sondage de Médiane (un institut de sondages indépendant, en Hongrie), mené en février 2022, le message d’Orban semble passer au sein de la population. La popularité de la coalition gouvernementale Fidesz-KDNP de Viktor Orbán conserverait la tête des intentions de votes avec 49% contre 43% pour le front d’opposition. Mais pour présente qu’elle soit dans ces données, la question ukrainienne n’explique pas à elle seule ce soutien. D’autres facteurs pourraient tout aussi bien contribuer à la réélection de Viktor Orban.
«Open bar» électoral
Sur le plan économique, le programme du Premier ministre promet un 13ème mois pour les retraités, des avantages fiscaux pour les jeunes de moins de 25 ans, le remboursement de l’impôt sur le revenu de l’année 2021 pour les familles ayant un ou plusieurs enfants de moins de 18 ans ou encore scolarisés. Une panoplie d’avantageuses mesures économiques accordées aux différentes tranches d’âge et classes sociales, et sorties de terre au début de cette année, quelques mois à peine avant l’ouverture des élections législatives, et rendues visibles à grand renfort de communication via, notamment, les organes de presse dirigés et / ou détenues par les proches du Premier Ministre. Sans que ne soit soit évidemment abordée la légitimité qu’il y aurait à conserver la TVA la plus élevée de l’Union européenne (27%), qui s’applique sans distinction de ressources à l’ensemble des ménages. Ou plus encore la question de qui paiera la note de ces nouvelles mesures, l’élection une fois passée.
La mainmise du pouvoir sur le paysage médiatique n’est bien évidemment pas étrangère à ce silence. Selon le Rapport 2021 sur l’Etat de droit en Hongrie de la Commission européenne, «bien qu’un grand nombre de médias continuent d’opérer en Hongrie, la diversité du marché des médias est mise à mal par la concentration de leur propriété dans les mains de quelques hommes d’affaires pro-gouvernementaux et par le manque d’indépendance éditoriale qui en découle». En découle que toute équité médiatique quant au débat d’idée devient quasi impossible, et que la voix de l’opposition est réduite à peau de chagrin sur la scène médiatique.
Mais expliquer une certaine forme d’«inaudibilité» de l’opposition auprès d’une part de la population au travers de ce seul prisme serait négliger un changement sociétal majeur, entamé à l’issue des années 1990, période de libéralisation d’une économie qui, au cours de cette période, a eu pour effets la fin du plein emploi, des revenus stables ou encore la privatisation d’usines et d’autres biens nationaux. Alors jeune libéral, Orban prit activement part à cette mutation, mais finit par revenir sur cet engagement, considérant que ces années n’apportèrent en fait que chaos. Et celui-ci d’entamer alors sa mue discursive et de se construire un personnage d’homme fort, seul capable de rétablir et de maintenir l’ordre, la sécurité et la prospérité économique de la nation.
«La nation ne peut être en opposition»
Sa défaite aux législatives de 2002, face au candidat socialiste Péter Medgyessy, fut de ce point de vue un tournant pour Orban, qui se détourna de son discours initial pour revêtir les atours du protecteur de la nation et de l’identité nationale et de déclarer que «la nation ne peut être en opposition». Une formule aux relents de pierre angulaire de sa nouvelle philosophie politique et du concept de démocratie illibérale qui repose sur l’idée que l’intérêt de la nation est un bien et une valeur commune, supérieur à tout. Ce faisant, tant les libertés que l’État de droit doivent, selon cette doctrine, être soumis à la valeur suprême qu’est la nation. Donner une identité et le respect de soi au peuple hongrois tout en présentant la démocratie illibérale comme un outil nécessaire pour atteindre cet objectif, légitimise les actes de Viktor Orban. Des actes desquels découle l’érosion progressive de la séparation des pouvoirs, la création d’une «législation sur mesure» et la ré-allocation des biens communs aux proches du Premier Ministre et de son parti, au nom de «l’intérêt» premier de la nation.
L’espoir Márki Zay
Au cœur d’un contexte guerrier qui tend à renforcer l’unité autour d’un personnage qui se dit garant de la sécurité et de la stabilité de la nation hongroise, l’opposition – la «Gauche», selon Orban – n’a pourtant nullement renoncé à redonner de l’élan à une vision plus démocratique et respectueuse de l’Etat de droit en Hongrie. Mieux, de manière inédite, six partis d’opposition se sont alliés pour présenter un candidat unique contre celui du Fidesz, dans chacune des circonscriptions du pays, et pour constituer une liste unique, avec un même chef de file, élu lors de primaires à l’automne 2021. De ce scrutin interne aux partis d’opposition, est sorti vainqueur le chrétien conservateur Péter Márki Zay. Maire de Hódmezővásárhely, ville de province et ancien bastion de Fidesz, l’homme pourrait de surcroit attirer un certain nombre d’électeurs du parti d’Orban, notamment les électeurs conservateurs vivant dans les villes et zones rurales. Le front uni d’opposition et Márki Zay savent que le scrutin de ce weekend ne sera pas aisé en dépit de l’unité affichée. Mais une dynamique s’est créée : a l’occasion de son discours du 15 mars dernier, et en réaction à des sondages qui lui étaient peu favorables, Márki Zay ne relevait-il d’ailleurs pas: «Je n’ai certes jamais gagné un sondage, mais je n’ai également jamais perdu une élection». Car là est peut-être l’une des forces de ce leader d’opposition: gagner quand personne ne l’attend. Jusqu’à aujourd’hui, pas un combat, pas une vitoire électorale ne lui a échappé. Des élections municipales en 2018 à Hódmezővásárhely jusqu’aux primaires de l’opposition. De quoi, en ce weekend de scrutin, peut-être laisser encore place à l’espoir au front d’opposition anti-Orban.
Eszter Karácsony est alumna du Collège d’Europe – Bruges / Photo: Viktor Orban / Photographe : Photo: Annika Haas (EU2017EE) / Source: EU2017EE Estonian Presidency Press service
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