Ursula von der Leyen :«En mettant nos forces en commun, nous disposerions de l'une des plus grandes armées du monde»
L’Europe ne peut-elle se construire qu’au regard des crises qu’elle traverse? Oui, répond en substance Ursula von der Leyen, lors de son intervention à l’Ecole nationale d’administration devant les auditeurs de la promotion 2016 du Cycle des hautes études européennes. Un constat quelque peu amer que la Ministre fédérale allemande de la Défense et vice-présidente de la CDU appelle à inverser. Ceci en tirant les leçons du passé et en anticipant, plutôt qu’en subissant. Une vision qu’elle porte notamment en matière de sécurité et de défense européenne qu’elle appelle, tout comme Jean-Claude Juncker, à mettre en place sans attendre.
Terrorisme, crise financière, crise migratoire : « Nous voyons à l’aune des crises, là où nous ne sommes pas allés jusqu’au bout, là où cela nous paraissait trop épuisant de réformer, là où nous n’avions pas la force de convaincre nos peuples de peur de la controverse ou parce que nous pensions à court terme et où des succès rapides nous suffisaient jusque-là. Or, les expériences que nous faisons maintenant sont parfois amères, mais nous pouvons en tirer des leçons ». Ministre fédérale allemande de la Défense depuis décembre 2013, Ursula von der Leyen affiche un volontarisme rare sur la scène gouvernementale européenne. « Prenez l’exemple de l’Europe monétaire : nous voulions l’Euro, la France et l’Allemagne en tête. Nous savions tous alors que son introduction nous apporterait d’énormes avantages économiques, pour les citoyens, aussi. Néanmoins, nous avons mis en place une monnaie commune en omettant de construire parallèlement une architecture financière commune, souligne la marraine de la promotion 2016 du Cycle des hautes études européennes de l’ENA. Nous ne sommes alors pas allés jusqu’au bout de la logique parce que cela nous semblait trop fastidieux. Et, à peine dix ans plus tard, nous pouvions voir les conséquences de nos commodités : la crise de l’Euro. Il a fallu une crise de l’Euro pour nous pousser à construire une architecture financière appropriée, pour nous amener à compenser les défauts du système et à nous pencher sur les questions désagréables ». Autre dossier brûlant, l’Espace Schengen, « considéré comme l’un des succès majeurs de l’Europe, complété par les accords de Dublin, signés par 32 Etats européens et visant à éviter qu’un requérant ne sollicite l’asile dans plusieurs pays membres. Or, « nous n’avons pas résolu la question du système d’asile européen commun », pointe-t-elle, avec pour conséquence de fragiliser les zones géographiquement les plus proches des routes migratoires, Italie, Grèce, Espagne en tête, dans l’attente de la mise en place d’une solidarité européenne qui tarde à prendre corps dans la pratique. A contre-courant des discours eurosceptiques qui grandissent à travers l’Europe, la vice-présidente de la CDU ne s’en cache pas : « Oui il nous faut plus d’Europe et il serait préférable de ne pas nous laisser porter par des événements rattachés à d’autres crises existentielles » pour compléter l’édifice européen et le rendre véritablement fonctionnel. Tant sur ces thématiques que sur celle de la défense et de la sécurité commune dont les attentats de Paris et de Bruxelles ne font que renforcer l’urgence d’une mise à plat, comme l’appelle parallèlement de ses vœux le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker depuis sa prise de fonctions.
«Après les attentats du 13 novembre dernier à Paris, le Président français a formulé une demande d’assistance aux partenaires européens sur la base de l’article 42§7 du traité de Lisbonne. Soit à l’Union et non à l’OTAN», souligne à cet effet Ursula von der Leyen. Un enjeu majeur pour la ministre allemande qui pourrait sensiblement faire avancer cet autre dossier, relançant ainsi l’un des débats fondateurs de la construction européenne mis en échec par le rejet du Plan Pleven en 1954. «L’activation de l’article 42§7 revêt une importance majeure parce que, ce faisant, les Vingt-huit ont affirmé avec la plus de clarté que l’Europe était également une Union pour la sécurité et la défense» au regard de «menaces terroristes globales » qu’aucun Etat membre n’était « capable de combattre seul», poursuit-elle. Des menaces sur le sol européen, mais également à ses frontières extérieures, qu’il s’agisse de la Syrie, de la Libye ou Mali. Or, «en mettant nos forces en commun, nous disposerions de l’une des plus grandes armées du monde, de l’un des plus importants budgets militaires également. Et, avec une coordination accrue et une planification commune, nous pourrions renforcer notre efficacité. Nous pourrions être plus performants, plus stratégiques et plus visibles», au travers de la mise en place d’une «coopération structurée permanente», en complément des collaborations bilatérales et multilatérales entre nos armées», que celles-ci intitulent Brigade franco-allemande ou Corps européen.
Une stratégie globale sur la politique étrangère et de sécurité attendue pour juin 2016
De ce point de vue, l’appel à la clause de solidarité contenue dans l’article 42§7 pourrait être un élément moteur de ce nouveau paradigme, confirme une récente étude des services du Parlement européen conduite par Jérôme Legrand, membre de la cellule Think Tank de l’institution : bien que cet article «ne mentionne pas explicitement les institutions de l’Union, la France a bel et bien sollicité le déploiement d’un instrument européen» en se fondant sur cet article, analyse l’auteur.
«Concrètement, le choix de la France de faire appel à l’Union européenne peut contribuer à stimuler et à accélérer le débat en cours sur l’évolution de la Politique de Sécurité et de Défense commune (PSDC) et sur les actions entreprises au titre de cette politique, en particulier les actions de préparation et de prévision ainsi que les capacités et la passation de marchés, poursuit l’étude. En ce qui concerne le secteur de la défense européenne, l’activation de l’article 42§7 pourrait en outre être propice à la mutualisation et au partage des ressources, autrement dit à l’ «interopérabilité», en accélérant la mise en œuvre des actions ou des projets déjà convenus ou en précipitant des décisions sur des dossiers toujours en débat ». Et Jérôme Legrand de conclure: «Dans ce contexte, il serait surprenant que les événements de Paris n’aient aucune incidence sur l’élaboration, par Madame Mogherini et ses équipes, de la stratégie globale sur la politique étrangère et de sécurité». Un document attendu pour juin 2016 que semble prêt à soutenir Berlin et sa ministre de la Défense. Resterait néanmoins à convaincre les autres Etats membres du bien fondé d’investir dans une telle réforme, ceci dans une conjoncture budgétaire difficile, couplée au fait que le Royaume-Uni pourrait parallèlement à la même période se désolidariser de l’Union alors qu’il représente, avec la France, le seul Etat membre à disposer d’une véritable capacité d’intervention militaire au-delà des frontières de l’Union.
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