Cet accord, obtenu vers 22 heures vendredi 19 février, est relativement complexe. Les conclusions du Conseil européen des 18-19 février fournissent la liste de l’ensemble des dispositions «pleinement compatibles avec les traités», regroupées dans sept annexes et qui ont pour but de répondre aux préoccupations du Royaume-Uni. Dans la perspective d’un accord lors du Conseil européen, son Président, Donald Tusk, avait précisé les quatre questions à propos desquelles un accord devait être trouvé: la gouvernance économique, la compétitivité, la souveraineté, les prestations sociales et la libre circulation.
Si les Chefs d’État ou de gouvernement réunis au sein du Conseil européen sont parvenus à adopter un «nouvel arrangement pour le Royaume-Uni dans l’Union européenne», que complètent un projet de décision sur l’intégration de la zone euro et un ensemble de déclarations du Conseil européen et de la Commission, la procédure utilisée est discutable. Elle a permis l’obtention d’un compromis régressif favorable aux seuls intérêts du Royaume-Uni et, plus grave, lui accorde sans vraiment le dire un statut particulier – ce qui constitue un saut dans l’inconnu pour l’Union.
Une procédure discutable
La procédure utilisée pour parvenir au nouvel arrangement avec le Royaume-Uni est très critiquable. Même si un certain formalisme semble avoir été respecté, il est possible de considérer que les négociations ne se sont pas déroulées sur la bonne base, c’est-à-dire l’article 48 du TUE qui est relatif à la révision des traités. Eu égard à l’importance des questions soulevées par le Royaume-Uni, la procédure de révision ordinaire était la bonne. Or, elle prévoit notamment la notification d’un projet de révision aux Parlements nationaux, la consultation de la Banque centrale européenne pour «les modifications institutionnelles dans le domaine monétaire», ou encore la convocation d’une Convention, comme celle qui avait précédé l’adoption du traité établissant une Constitution pour l’Europe. On en est loin!
Le Conseil européen des 18-19 février 2016 vient en effet de modifier les traités par une procédure qu’ils ne prévoient pas, ce qui incline à penser que 27 États membres ont cédé face au Royaume-Uni, dans l’espoir qu’il puisse demeurer membre de l’Union. Une telle révision est contra legem disent les constitutionnalistes et il semble bien que le Conseil européen, soucieux avant tout de parvenir à un accord politique, ait statué ultra petita! C’était certainement le seul moyen de parvenir à un compromis acceptable par le Royaume-Uni, mais c’est tout de même capituler face à son chantage.
Un compromis régressif
Très soucieux de limiter les prestations sociales accordées aux travailleurs migrants, le Royaume-Uni a obtenu gain de cause sur ce point hypersensible, sans susciter trop de réactions de la part des États membres de l’Est, directement concernés par les risques de discrimination introduits. Le principe d’un mécanisme de sauvegarde (emergency brake), qui pourra être appliqué pendant une période de sept ans, est entériné pour «faire face aux situations caractérisées par l’afflux d’une ampleur exceptionnelle et pendant une période prolongée de travailleurs en provenance d’autres États membres». Une déclaration de la Commission européenne estime que le Royaume-Uni «connaît aujourd’hui le type de situation exceptionnelle auquel le mécanisme de sauvegarde (…) devrait s’appliquer».
Le Royaume-Uni se voit reconnaître le droit de ne pas accorder pour une durée de quatre ans certaines prestations sociales (prime pour l’emploi ou allocation logement), ainsi que celui d’indexer les allocations familiales «sur les conditions qui prévalent dans l’État membre où l’enfant réside». Elles vont par conséquent pouvoir être réduites et concerner ainsi jusqu’à 100.000 enfants polonais restés en Pologne.
Une autre déclaration de la Commission précise qu’elle entend modifier la directive 2004/38/CE relative à la liberté de circulation des citoyens, afin de la limiter et prendre – sans le dire – le contre-pied de l’arrêt Metock de la Cour de justice. Cet arrêt a admis que le conjoint non européen d’un citoyen de l’Union pouvait séjourner avec ce citoyen et circuler librement dans l’Union, bien qu’il n’ait pas vécu légalement dans un État membre.
La vision britannique de la construction européenne est entérinée. Tant dans l’arrangement que dans la Déclaration du Conseil européen sur la compétitivité, le caractère primordial du marché intérieur, la simplification et l’allègement de la législation – basé sur le programme pour une réglementation affûtée et performante, REFIT – sont mis en avant. Un nouveau mécanisme de «carton rouge» permettant à des Parlements nationaux représentant plus de 55% des voix de bloquer une législation européenne en cours d’adoption renforce la portée du principe de subsidiarité.
Un des rares points où le Royaume-Uni n’a pas totalement obtenu gain de cause est la gouvernance économique, car il ne pourra pas freiner une intégration plus poussée de la zone euro en y opposant un veto. Il a tout de même réussi à réintroduire la philosophie du compromis d’Ioannina de 1994, permettant de prolonger les débats afin de parvenir à un accord. Il ne participera pas non plus aux fonds de secours de l’euro.
Cet ensemble de dispositions traduit incontestablement un retour en arrière par rapport aux traités existants. Mais, plus grave, David Cameron s’est félicité que le Royaume-Uni obtienne un «statut spécial» au sein de l’Union européenne, et que son pays ne soit jamais membre d’un «super-État européen».
Un statut particulier
Arc-bouté sur la souveraineté de l’État britannique, David Cameron a fait clairement admettre qu’un approfondissement de l’UEM était «facultatif pour les États membres dont la monnaie n’est pas l’euro», afin de préserver la livre et la City. Il a obtenu que «les références à une union sans cesse plus étroite ne s’appliquent pas au Royaume-Uni» – ce qui le dispense de progresser dans cette direction avec les autres États membres, cette expression étant pourtant un des fondements de l’idée européenne inscrits dans les traités depuis 1957.
Tout aussi important, si ce n’est plus, l’arrangement précise encore que «les références à une union sans cesse plus étroite entre les peuples sont donc compatibles avec la possibilité pour les différents États membres, d’emprunter différentes voies d’intégration, et elles n’obligent pas l’ensemble des États membres à aspirer à un destin commun». David Cameron peut se montrer satisfait, car l’Europe à la carte n’est plus virtuelle mais une réalité tangible. Un État membre, le Royaume-Uni, est parvenu à ses fins: il peut choisir les dispositions qu’il ne veut pas appliquer, avec le consentement plus ou moins réel des 27 autres États membres.
Il ne s’agit donc pas de dispositions dérogatoires comme le Danemark en avait obtenulors du Conseil européen d’Édimbourg des 11-12 décembre 1992, afin de faciliter sa ratification référendaire et permettre l’entrée en vigueur du traité de Maastricht. Le Danemark avait alors pu émettre des réserves de nature interprétative que le Conseil européen avait acceptées. Le Royaume-Uni a obtenu beaucoup mieux: des concessions juridiques bien plus importantes que des réserves à un traité, précisant ses conditions spécifiques d’appartenance à l’Union, ce qui équivaut à une renégociation de ses conditions d’adhésion.
La construction européenne va pouvoir se poursuivre, le Royaume-Uni – bientôt rejoint par d’autres États membres? – restant en retrait. Le démantèlement de l’Union n’est pas loin. Malgré des sondages serrés, il reste à espérer que le peuple britannique refuse le Brexit lors du référendum du 23 juin 2016. Si ce n’est pas le cas, David Cameron devra sans doute en affronter un deuxième, car l’Écosse souhaite demeurer dans l’Union européenne. Bon courage Monsieur Cameron !
Première publication dans The Conversation sous creative commons
À propos de l’auteur : Yves Petit est Professeur de droit public, Université de Lorraine
Photo: © European Union , 2016 / Source: EC – Audiovisual Service / Photo: Etienne Ansotte
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